Crébillon - Histoire de la littérature
Publié le 25/01/2018
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désormais permis et jusqu'alors tenu coupable. La plus belle page de Crébillon
est peut-être le monologue de dans la chambre où le génie Jonquille
va la rejoindre : elle devine ici ses égarements possibles, se demande ce qu'elle est, ce dont elle est responsable, ce qui est en elle et ce qui est hors de son pouvoir, et s'il est vraiment juste qu'elle réprouve comme indignes d'elle les mouvements les plus intimes de sa sensibilité; le mythe du libre arbitre est ruiné, mais aussi celui de la voix de la conscience; profondément tentée, d'autant plus excusable qu'en se donnant à Jonquille elle assurerait le bonheur de TanzF, Néadarné est très différente des évaporées comme Célie qui ne cherchent qu'à sauver les apparences, bien qu'elle soit dans une situation analogue; sa conclusion est morale, mais a l'accent du regret : << Que seroit-ce pour moi qu'un plaisir qui me coûteroit tant de larmes; et qu'est-il auprès de cette satisfaction si pure qui ne nous abandonne jamais quand nous n'avons rien à nous reprocher ' ? & Elle se fait encore des illusions : elle sera vaincue, d'abord à la suite d'une distraction (le procédé du romancier semble trop facile, mais précisément le danger était là, dans le p moment &, dans l'attrait du vertige et la dépossession de soi-même), ensuite de son propre consentement, et Crébillon, un instant apitoyé pour elle, lui fait fabriquer tous les sophismes de la bonne conscience, comme à n'importe quelle femme séduite et de mauvaise foi : ni brisée, ni émancipée-nivelée.
>; plus que l'invraisemblance des faits, c'est l'outrance des sentiments qu'il condamne, tout ce qui tend à << éblouir >> l'homme au lieu de l'<< instruire >>. Enfin on peut voir une plaisanterie à l'adresse de Richardson et de son goût pour les petits détails (dont le félicitait Diderot) dans ce passage du Hasard du coin du feu : << Comme il y a des lecteurs qui prennent garde à tout, il pourroit s'en trouver qui seroient surpris, le tems étant annoncé si froid, de ne voir jamais mettre de bois au feu; et qui se plaindroient, avec raison, de ce manque de vraisemblance dans un point si important. Pour prévenir donc une critique si bien fondée, on est obligé de dire que, pendant l'entretien de la Marquise et du Duc, Célie a sonné, et que c'étoit pour qu'on raccommodât son feu. L'Éditeur de ce dialogue s'étant, à cet égard, mis hors de toute querelle, se flatte qu'on voudra bien le dispenser de revenir sur cette intéressante observation ' >>. Richardson est d'ailleurs nommé dans la Préface des Lettres de la duchesse : Crébillon lui manifeste quelque égard, mais regrette que les mauvais imitateurs qu'il a suscités remplissent leurs œuvres de prétendus << faits » et d'un vain bavardage (<< cailletage ») sous pré¬texte de naturel; il prétend d'autre part que les Lettres de la duchesse ne sont pas un roman et que leur authenticité est prouvée par << mille petites circonstances >> qu'un romancier eût négligées $, mais il ne faut pas le prendre au sérieux, à moins qu'il ne parle de circonstances morales, car dans Les Heureux Orphelins il fait dire par Chester aux auteurs de grands récits romanesques : << Vous ne montrez que l'exté¬rieur de l'homme [ ... ]. Moi, c'est le cœur que je développe 8 >>.\" width=\"7\" height=\"27\" align=\"left\" />Aussi a t-il ouvertement pris position contre les romanciers sentimentaux de son époque, Marivaux, Prévost, Richardson : il ridiculise le style de Marivaux par la façon dont il fait parler la fée Moustache dans L'Écumoire; on lui a rétorqué que son propre style était parfois aussi obscur ou subtil que celui de Marivaux, mais c'était ne pas voir la vraie raison de la querelle, qui n'est pas stylistique, mais morale : Crébillon reproche à Marivaux de croire et de faire croire, par ses distinctions fines, ses dosages alambiqués, à la réalité des scrupules moraux où lui-même ne voit que les déguisements de la sensualité. Chez Prévost, il a blâmé, dans la Préface des Égarements, << ces événements extraordinaires et tragiques qui enlèvent l'imagination et déchirent le cœur >>; plus que l'invraisemblance des faits, c'est l'outrance des sentiments qu'il condamne, tout ce qui tend à << éblouir >> l'homme au lieu de l'<< instruire >>. Enfin on peut voir une plaisanterie à l'adresse de Richardson et de son goût pour les petits détails (dont le félicitait Diderot) dans ce passage du Hasard du coin du feu : << Comme il y a des lecteurs qui prennent garde à tout, il pourroit s'en trouver qui seroient surpris, le tems étant annoncé si froid, de ne voir jamais mettre de bois au feu; et qui se plaindroient, avec raison, de ce manque de vraisemblance dans un point si important. Pour prévenir donc une critique si bien fondée, on est obligé de dire que, pendant l'entretien de la Marquise et du Duc, Célie a sonné, et que c'étoit pour qu'on raccommodât son feu. L'Éditeur de ce dialogue s'étant, à cet égard, mis hors de toute querelle, se flatte qu'on voudra bien le dispenser de revenir sur cette intéressante observation ' >>. Richardson est d'ailleurs nommé dans la Préface des Lettres de la duchesse : Crébillon lui manifeste quelque égard, mais regrette que les mauvais imitateurs qu'il a suscités remplissent leurs œuvres de prétendus << faits » et d'un vain bavardage (<< cailletage ») sous prétexte de naturel; il prétend d'autre part que les Lettres de la duchesse ne sont pas un roman et que leur authenticité est prouvée par << mille petites circonstances >> qu'un romancier eût négligées $, mais il ne faut pas le prendre au sérieux, à moins qu'il ne parle de circonstances morales, car dans Les Heureux Orphelins il fait dire par Chester aux auteurs de grands récits romanesques : << Vous ne montrez que l'extérieur de l'homme [ ... ]. Moi, c'est le cœur que je développe 8 >>.
«
de l'œuvre est pessimiste et grimaçant, on y cherche en vain un élan généreux de
sentiment ou d'épicurisme qui donnerait à la critique un sens positif.
Les êtres
odieux et faux comme Fatmé (Le Sopha) ou Madame de Rindsey (Les heureux
Orpheli ns), libidineux comme Zulica (Le Soph a), impudents comme Madame de
Sénanges ou Madame de Morgennes (Les Égarements du cœur et de l'es prit) , sensuels
et frivoles comme Célie (Le Hasard du coin du feul sont démasqués et bafoués par
des cyniques, corrupteurs comme Versac (Les Égar ements) , fa ts et impuissants
comme Mazulhim (Le Soph a), froids et cruels comme Nassès (Le Sopha) , trom
peurs comme Chester (Les Heureux Orpheli ns), arrivistes comme Alcibiade (Lettres
At héniennes) : à la galerie des impostems et des vicieux s'oppose une galerie de
libertins lucides, mais aussi antipathiques, et dont aucun n'est vraiment
heureux 1•
Prévost et Marivaux, l'un avec angoisse, l'autre avec ironie, s'interrogeaient sur
le péril des passions et sur les erreurs du sentiment, en essayant de sauv�r malgré
tout le cœur, essentiellement innocent et pur dans sa spontanéité.
Crébillon partage
leur inquiétude, mais non leur confiance.
Si l'amour est au centre de son œuvre,
c'est sans doute parce que la société fait peser sur lui ses interdits et attache de la
honte au plaisir naturel, mais c'est surtout parce qu'il favorise les mystifications
les plus graves du cœur et de l'esprit.
Tout l'idéalisme de l'amour, tout ce qu'il
comporte d'émotion et d'exaltation, tous ces grands sentiments exprimés avec de
grands mots ne sont que des ruses par lesquelles la conscience ennoblit l'appétit
sensuel (, dit moqueusement le duc
à Célie, dans Le Hasard du coin du feu) ; la morale de l'amour est une duperie,
l'imagination en impose au cœur, et cet édifice illusoire s'eff ondre si, par accident
ou par l'adresse d'un séducteur, le désir physique se porte sur un autre objet que
l'être passionné llnt aimé.
Il n'y a pas de passion qui soit à l'abri d'une surprise
des sens, déclare à peu près Alcibiade dans les Lettres Athéniennes, tout dépend du
moment -ce moment qui détermine en dernier ressort tout le comportement
humain, et que le duc, dans Le Hasard du coin du feu, définit en ces termes : ) , un homme lucide n'y verra jamais que des faiblesses et un libertin
ne songera qu'à en profiter.
1.
A cette liste on peut ajouter Taciturne (dans Ah 1 quel conte!) «homme froid et caustique,
plus blessé des travers des1femmes qu'il n'étoit sensible à leurs agréments •, qui a perdu de
réputation plus de vingt prudes.
Mais, dans le roman, il fait assez risible f gure devant les
assauts de la Reine-Grue.
2.
III, p.
432.
3· III, pp.
376-377..
»
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