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« Je me montre mais c’est pour mieux me cacher ». En vous appuyant sur des exemples précis, vous analyserez et discuterez cette réflexion de Michel Leiris sur l’écriture autobiographique.

Publié le 16/06/2012

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leiris

Ainsi, Philippe Lejeune dans son Pacte autobiographique insistait sur le fait que l’autobiographie est « un récit rétrospectif «. De cette façon, l’auteur nous rapporte des faits passés, parfois même très lointains. Apparaît alors le problème de la mémoire. Peut-on faire confiance à la mémoire de l’auteur ? Les faits racontés se sont-ils vraiment passés comme l’autobiographe l’écrit ? On remarque ainsi l’importance de l’enfance dans les autobiographies, sorte de passage obligé dans ce genre. Le lecteur peut alors douter : peut-on se rappeler avec autant d’exactitude des faits de son enfance ? D’autant plus que l’auteur écrit souvent son autobiographie à la fin de sa vie, pour faire une sorte de bilan. On peut alors imaginer que l’auteur invente pour combler les vides. Aussi, l’écrivain peut croire que cela s’est passé comme il le décrit alors qu’il s’agit de sa mémoire qui transforme l’événement ainsi. Le temps transforme souvent la réalité vécue. D’ailleurs ne dit-on pas, pour parler de tel ou tel événement, « avec le temps… « ou « avec du recul… « ?

leiris

« rapporte des faits passés, parfois même très lointains.

Apparaît alors le problème de la mémoire.

Peut-on faire confiance à la mémoire de l'auteur ? Les faitsracontés se sont-ils vraiment passés comme l'autobiographe l'écrit ? On remarque ainsi l'importance de l'enfance dans les autobiographies, sorte de passageobligé dans ce genre.

Le lecteur peut alors douter : peut-on se rappeler avec autant d'exactitude des faits de son enfance ? D'autant plus que l'auteur écritsouvent son autobiographie à la fin de sa vie, pour faire une sorte de bilan.

On peut alors imaginer que l'auteur invente pour combler les vides.

Aussi, l'écrivainpeut croire que cela s'est passé comme il le décrit alors qu'il s'agit de sa mémoire qui transforme l'événement ainsi.

Le temps transforme souvent la réalitévécue.

D'ailleurs ne dit-on pas, pour parler de tel ou tel événement, « avec le temps… » ou « avec du recul… » ? Le temps a ainsi la capacité de modifier lesévénements.

Le ressenti à propos d'une chose peut être différent au moment où on la vit et quelques années plus tard.

Dans une autobiographie, il sembleraitqu'il y ait trop d'années entre le temps de la narration et le temps de l'écriture.

Par exemple, Simone de Beauvoir commence les Mémoires d'une jeune fillerangée en feuilletant un album de famille.

Elle n'y trouve aucun fait exact à raconter sur son enfance et l'amène au contraire à douter.

Elle affirme alors « Aussiloin que je m'en souvienne, j'étais fière d'être l'aînée ».

On a ici un exemple du souvenir personnel en contradiction avec le témoignage des proches.

En effet,ses parents se souviennent qu'elle était jalouse et aurait voulu être plus petite.

Le souvenir n'est donc pas une science exacte et la fiabilité de l'auteur est ainsiremise en cause.Donc, comme le dit Michel Leiris l'auteur peut « se montrer pour mieux se cacher ».

Toutefois, la dissimulation, contrairement à ce qu'il laissait penser, n'est pasforcément volontaire.

Ainsi, l'autobiographie, par la nature même du genre, amène l'auteur à se dissimuler ou à transformer la réalité.

Aussi, cettedissimulation, volontaire ou non, est-elle totale ? Ne peut-on pas découvrir l'auteur dans une autobiographie ? Enfin, l'auteur peut en effet « se montrer » tout en « se cachant », mais ne peut-on pas inverser les propos de Michel Leiris ? N'est-il pas possible de dire :l'auteur « se cache mais c'est pour mieux se montrer » ? Ainsi, si le lecteur a conscience que l'auteur peut se cacher derrière ses propos autobiographiques, ilpeut déchiffrer les transformations afin de mieux connaître l'auteur.Ainsi, parfois le mensonge est paradoxalement le meilleur moyen d'exprimer la vérité.

En effet, la réalité ne permet pas toujours d'exprimer la vérité ou tout dumoins la vérité de l'auteur.

Par exemple, dans D'un château l'autre de Céline qui peut être considéré comme une autobiographie, l'auteur transforme la réalitémais pour mieux exprimer sa vérité.

En effet, il invente l'épisode de la promenade de Pétain.

Des gens du peuple, affamés, se sont regroupés devant le châteauduquel doit sortir Pétain car le bruit a couru qu'il donnerait du pain.

Le maréchal sort et ne donne rien au peuple.

Celui-ci au lieu de se révolter acclame Pétain.Céline montre de cette façon l'autorité et le pouvoir de Pétain qui semble alors le fasciner.

Il exprime donc une vérité en transformant le réel.

Cette modulationdu réel exprime avec plus de force ce qu'il voulait montrer.

L'anecdote inventée a plus d'impact qu'une simple explication théorique de son sentiment.

L'auteurpeut donc « se cacher mais pour mieux se montrer ».

Le plus important dans l'autobiographie ne serait donc pas de peindre la réalité mais de la faire percevoirau lecteur tel que l'auteur l'a vécue.Aussi, ce que transforme ou tait l'auteur nous renseigne sur sa personnalité.

Reprenons l'exemple des Confessions de Rousseau.

On sait grâce à sa biographiequ'il a abandonné ses enfants mais n'en parle pas dans son autobiographie qu'il voulait pourtant sincère.

Ceci indique peut-être qu'il s'agit d'un événement tropdouloureux dont il ne peut pas discuter ou qu'il en a honte.

Ainsi, l'invention ou le mensonge ne sont pas vraiment synonymes d'éloignement du réel dansl'autobiographie.

Au contraire, le travail du lecteur sur ces omissions peut permettre de mieux connaître l'auteur, de découvrir sa personnalité.

Philippe Lejeunedans Le Pacte autobiographique ne parlait-il pas d'ailleurs de « l'histoire d'une personnalité » ? Les auteurs mettent en scène les évènements de leur existencepour leur conférer un poids correspondant au rôle qu'ils ont pu jouer dans l'histoire de leur personnalité.

Ils peuvent alors se découvrir eux-mêmes à la relecturede leurs écrits.

A la vue de ce qu'ils ont choisi d'écrire ou non ils peuvent eux-mêmes se rendre compte de ce qui a eu de l'importance et ce qui en a moins eu.Ainsi, l'auteur peut se découvrir lui-même.

En effet, à la relecture de son œuvre, il peut constater les transformations qu'il a faites, consciemment ou non, et sedécouvrir soi-même.

De cette façon, il peut se rendre compte de ce qu'il a honte, ou souhaiterait oublier à travers les choses qu'il a omises.

Au contraire, lestransformations peuvent lui indiquer sa personnalité dans le sens ou elles correspondent peut-être à un rêve, à ce qu'il désirait être.

Ainsi, le lecteur peutapprofondir sa connaissance de l'auteur en découvrant ce qu'il a voulu cacher.

L'auteur, lui, se découvre lui-même en analysant ce qu'il n'a pas voulu montrer.Nous voyons bien alors que la citation de Leiris peut être inversée : une meilleure approche de l'auteur est possible lorsqu'il se cache.Enfin, l'auteur peut choisir de se cacher derrière d'autres personnes.

C'est le cas par exemple d'Albert Cohen dans Le livre de ma mère.

Nous percevonsd'ailleurs dès le titre que l'auteur se dissimule.

De cette façon il indique que ce n'est pas son livre mais celui de sa mère.

Il tente alors de détourner l'attentionen portant les regards sur sa mère.

Pourtant, il s'agit bien d'un livre qui parle d'Albert Cohen.

Ainsi, il se servira des anecdotes de sa mère pour en fait expliquersa propre personnalité.

Le lecteur aurait-il autant compris la détresse de l'auteur après le décès de sa mère si Cohen n'avait pas mis en scène cette dernière ? Ilse cache derrière le récit de la vie de sa mère pour mieux montrer la douleur du décès, du deuil.

Se cacher était ici indispensable, le meilleur moyen pour semontrer.

Ainsi, les autobiographes peuvent se cacher derrière d'autres personnes.

On remarque alors que plus les auteurs se cachent, plus ils se montrent.

Eneffet, parler d'une autre personne est la meilleure manière de se cacher soi-même et pourtant le meilleur moyen de présenter sa personnalité.

On pourrait alorstransformer les propos de Michel Leiris : autrui « me cache mais c'est pour mieux me montrer ».Finalement, lorsque l'auteur se cache, volontairement ou non, le lecteur peut le démasquer.

Ceci est toutefois possible si nous avons une connaissance suffisantede la vie de l'auteur.

Par contre, l'autobiographe peut apprendre à mieux se connaître en découvrant ce qu'il a voulu dissimuler.

C'est peut-être d'ailleurslorsqu'il se cache que l'auteur se montre le plus. Pour conclure, comme le dit Michel Leiris, l'autobiographe « se montre pour mieux se cacher ».

En effet, chaque pacte de sincérité est mis à mal par lasubjectivité de l'auteur.

Ainsi, chacun feint de dire la vérité sur soi alors qu'il tend à donner une certaine image de soi qui ne correspond pas à la réalité.

Decette façon, les modulations du réel peuvent être volontaires et même recherchées par l'auteur.

Toutefois, elles sont souvent inconscientes : lorsque l'auteurpense dire la vérité il peut la transformer sans s'en rendre compte.

Une vérité est cependant accessible.

En effet, il ne faut pas être pessimiste : l'auteur n'estpas qu'un menteur, il dit aussi souvent la vérité.

De plus, comme nous avons tenté de l'expliquer, la personnalité de l'auteur se dévoile à travers les mensonges,omissions ou transformations.

Il est vrai qu'un certain travail du lecteur, avec notamment des données biographiques, peut permettre de mieux comprendrel'auteur en analysant ce qu'il a dissimulé.

Aussi, l'autobiographe, avec une analyse rétrospective, accède à une meilleure connaissance de lui-même.L'autobiographie sert alors à se « montrer pour mieux se cacher » mais aussi à « se cacher pour mieux se montrer ».

On retrouve bien alors la caractéristiqueprincipale du genre tel que le définit Philippe Lejeune : « l'histoire d'une personnalité ».

Finalement, toute écriture n'est-elle pas autobiographique dans le sensoù toute œuvre révèle la personnalité de son auteur ?. »

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