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LA FIGURE (Histoire de la littérature)

Publié le 06/12/2018

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FIGURE. La notion de figure résulte d’une conception du langage qui remonte à l’Antiquité gréco-romaine : si le langage sert à communiquer un certain nombre d’idées et de représentations, l’expression de celles-ci peut correspondre directement à la pensée : c’est le langage littéral. Mais un même sens peut être exprimé de diverses façons, être porteur de significations différentes (esthétiques, impressives, idiolectales, etc.) : le recours au langage figuré permettrait donc, tout en s’écartant légèrement du sens propre, de transmettre différentes informations qui ne relèvent pas du lexique ni de la grammaire mais de la rhétorique et qui constituent globalement les marques de ce que l’on est convenu d’appeler le style. La rhétorique est une technique ambiguë (ne serait-ce qu’au niveau de son fonctionnement socioculturel et de son rôle dans l’enseignement) qui comble l’hiatus creusé entre le langage en tant que code et le langage en tant qu’art.

 

Le sens figuré

 

La rhétorique classique (Aristote [voir Aristote], Cicéron, Quintilien) s’intéresse autant aux figures de diction, de construction, de pensée, qui concernent essentiellement l’art oratoire, qu’aux figures de mots, qui ressortissent au style proprement dit. Les rhéteurs néo-classiques comme Dumarsais, Beauzée, Fontanier ne retiennent guère que les « figures en un seul mot » ou

 

« tropes proprement dits », selon l’expression de Fontanier; tout leur effort de classification et de logique porte sur le système lexical de la langue tant sont grandes l’influence de l’académisme et la croyance en l’adéquation du mot et de la chose, de la pensée et de la réalité. Pour le courant néo-rhétorique contemporain (inspiré par l’analyse linguistique d’un Genette ou la sémiostylisti-que de Molino, Soublin, Tamine, Tamba-Mecz à la suite de Benveniste, Jakobson et des structuralistes), seule l’étude des paramètres morpho-syntaxique, phonétique, sémantique et de leurs corrélations permet de déboucher sur une description du sens figuré.

 

Hormis les cas où il est nécessité par une absence de mot propre (catachrèses, néologismes, emprunts à un idiolecte différent), l’emploi du sens figuré a longtemps été considéré comme une méprise, une impropriété volontaire, par rapport au sens littéral qui sert de norme. Il « veut dire » la même chose, mais il le fait différemment. Le supplément de signification apporte davantage de motivation à un signe a priori arbitraire en concrétisant généralement un mot abstrait et en connotant diverses valeurs contenues dans la plurivalence potentielle de l’emploi contextuel. Pour résumer, le mot est abstrait, arbitraire, univoque : il dénote; la figure est concrète, motivée, polysémique : elle connote (Gérard Genette, Figures).

 

Est-ce à dire que sens propre et sens littéral coïncident forcément? Sans qu’il y ait de figure, le sens propre peut déjà être une énigme : c’est la caractéristique de tout occultisme de donner à des signes courants un au-delà ésotérique (cas des paraboles et des « signes cachés » de la Révélation). Inversement, le sens littéral peut être tropologique : il suffit que l’intonation, les circonstances de son élocution le détournent de son sens primitif : ainsi l’ironie est-elle particulièrement difficile à cerner au niveau de son fonctionnement rhétorique.

 

Mais au lieu de considérer le sens figuré comme un écart par rapport au sens propre, il est possible d’envisager l’existence de deux systèmes sémantiques parallèles, l’un purement lexical appartenant au domaine de la langue : inventaire clos et paradigmatique du dictionnaire; l’autre sémiotique et dépendant du code plus ou moins équivoque des représentations mentales institutionnalisées ou originales : répertoire de stéréotypes culturels surgissant au gré des associations syntagmatiques du discours; dans le pire des cas, symboles éculés, clichés et cacologies dignes de figurer en bonne place dans le Dictionnaire des idées reçues. Dans l’exemple suivant, extrait d’un poème de Boris Vian : « Là-haut entre les quatre murs / La sirène chantait sans joie », on voit que le sens figuré éventuel n’a pas pour foyer exclusif le lexème « sirène », mais que, par rétrolecture, l’entourage sémantique (et notamment le mot « chanter ») ou le contexte général du genre poétique autorisent une double interprétation du mot « sirène », correspondant à la fois et simultanément à l’isotopie dénotative du signal d’alarme déclenché par l’évasion du prisonnier et à l’isotopie mythique des personnages féminins légendaires qui le hantent. Le sens figuré résulte bien du jeu opéré sur les mots au niveau de l’enchaînement syntagmatique.

 

Origine et fonction des figures

 

Si les tropes n’ont été inventés, comme le prétendait Cicéron, que « par nécessité, à cause du défaut et de la disette des mots propres », il faut entendre par sens tropologique non pas le sens figuré mais le sens « extensif ». Cette conception mécaniste et utilitariste a cependant rapidement été dépassée dans le sens d’une idéalisation du processus. L’écart qui existe entre terme propre et terme figuré aurait, pour la majorité des rhéteurs, une fonction ornementale, et Beauzée associe encore les

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« notions de beauté du discours et de « violation de la grammair e>>.

S'il se fait, suivant la formule classique, plus de figures un jour de marché à la Halle qu'il ne s'en fait en plusieurs jours d'assemblées académiques, il faut avouer que l'attention des linguistes s'est davantage pen­ chée sur les modèles littéraires que sur les expressions populaires.

Ainsi Fontanier considère-t-il que le rôle des tropes est, entre autres, de donner au langage plus de « noblesse et de dignité >>.

« Que 1 'on dise avec Voltaire : "Princes, moines, valets, ministres, capitaines, 1 Tels que les fils d'Jo, l'un à l'autre attachés, 1 Sont portés dans un char aux plus voisins marchés" -comme ce qui était d'abord si vil se trouve tout à coup changé en or! La pronomination a commencé le prodige; mais que deve­ nait-il cependant sans l'antonomase mythologique du nom propre Jo pour le nom commun de vache? On sait qu'Io, fille du fleuve Inachus, avait été changée en vache par Jupiter ».

Commentaire enthousiaste et nécessité de traduire s'interpénètrent.

L'obscurité du sens figuré n'est pas le fruit du hasard: l'hermétisme est une des constantes de la tradition culturelle cherchant à se protéger des intru­ sions iconoclastes.

La figure connote le genre (à la limite, à chaque genre peut correspondre un style, comme en Grèce : dorien = lyrisme; attique =drame; ionie n-éolien =: épopée) mais situe aussi le registre de langue et tient le profane à l'écart.

San Antonio s'adresse à ses aficionados, de même que Mallarmé ou Claudel sont réservés il un cercle d'initiés.

Quoi qu'il en soit, verlan, argot, jargon précieux, sublime ou mytholo­ gisme, le sens figuré est toujours -dans la perspective classique -traductible en une sorte de degré zéro de l'expression réduite à un sens primitif débarrassé des connotations esthétiques et du souci de plaire ou de convaincre.

D'où la rigueur janséniste du rationalisme militant en quête de la vérité dépouillée d'artifices, ce qui permet du même coup aux Modernes d'affirmer leur suprématie sur les Anciens dans l'éternelle querelle qui l!!S oppose : > : chacun des mots est pris au sens propre; il n'y a figure que dans la mesure où ils sont rapprochés sur le plan syntagmatique, au niveau du discours.

Le langage a en effet cette propriété -largement exploitée par la rhétorique baroque et par l'écriture surréaliste -de pouvoir rapprocher des notions antinomiques, hétérogènes ou apparemment indépendantes.

«L'or tombe sous le fer» : en associant une métaphore spontanée et une métonymie (le fer pour la faucille), Saint-Amant crée, dans son sonnet sur la moisson, une antithèse précieuse qui lui permet de récon­ cilier des oxymores dans l'ordre factice du discours.

Et dans cette formule de Paul Morand : « Le vent de la défaite soufflait sur Rome», Irène Tamba-Mecz a beau jeu de montrer que la métaphore ne porte sur aucun terme en particulier, mais que c'est «le repérage de défaite comme référent principal de l'énoncé qui prive la propo­ sition "le vent soufflait sur Rome" de tout ancrage direct à la situation énonciative et implique qu'elle se rapporte à la défaite dont il est question dans le texte ».

Si la méthode substitutive et transformationnelle qui est à l'origine de la conception selon laquelle toute figure peut se traduire en une expression « normale>>, pure et primitive, a surtout prévalu -et échoué- dans le cadre de l'étude des métaphores, Jakobson, lui, a cru pouvoir définir l'ensemble d'un genre littéraire à partir de la systématisation d'une figure de style.

Le mouvement réaliste, par exemple, correspondrait à la généralisation de la description métonymique (les détails significatifs, longtemps considérés comme pittoresques et véristes) : focalisation sur le sac d'Anna Karénine chez Tolstoï; impressiops scintillantes dans la représentation des Champs-Eiysées avec les attelages, les chevaux (réduits à leurs croupes et crinières) dans l'Éducation sentimen­ tale de Flaubert, etc.

L'expression poétique correspon­ drait, au contraire, au développement du pôle métaphori­ que du langage.

Le sens figuré est donc bien une potentialité du lan­ gage, au même titre que le sens improprement et méta­ phoriquement appelé «propre».

Si la rhétorique classi­ que s'est longtemps complu à le définir comme un écart entre le signifiant (l'écriture, le style) et le signifié (la pensée), c'est parce qu'elle considérait la pensée comme antérieure à l'outil qui sert à l'exprimer : le langage.

Les linguistes contemporains sont plus prudents.

A la suite des psychologues et des psychanalystes, ils reconnais­ sent l'ambivalence du langage ou ce que Freud appelle l'« emploi multiple des mêmes mots ».

Le sens figuré s'articule sur les schèmes de l'imaginaire linguistique qui tantôt coïncident, tantôt rompent avec les habitudes de la dénotation lexicale.

Fixer les bornes des figures et classer celles-ci de façon exhaustive relève donc de l'utopie.

Le sens figuré, comme tout système de repré­ sentation symbolico-culturelle, est à la fois trop fragile et trop riche pour se laisser appréhender dans les limites étroites de quelque taxinomie que ce soit.

[Voir aussi MÉTAPHORE, MÉTONYMIE, RHÉTORIQUE, STYLE, STYLISTIQUE, SYNECDOQUE).

TROPES Tradition antique (Aristote, Quintilien, Donat).

Métaphore, catachrèse, métalepse, métonymie, anto­ nomase, épithète, synecdoque, onomatopée, périphrase, hyperbate, hyperbole, allégorie, fable.

Soit 13 figures.

Inventaire réduit à 11 par suppression de l'épithète (homérique) et de la fable (considérée comme genre) dans les listes établies par l'enseignement des Jésuites (cf.

notamment Jouvency, Candidatus rheto­ ricae, 1892).

Beauzée, article" Trope " de I'Encyclopsdie (1765) - Similitude : métaphore (un mot ou deux); allégorie (toute l' é tend ue du discours).

- Correspondance : m étony mie, mét alep se .

- Connexion : synecdoque, antonomase, etc .

Soit trois types de figures.

Aboutissement de la taxinomie de la rhétorique clas­ s iq ue (Fontanier, les Figures du discours, 1'0 édit io n , 1821 ).. »

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