La satire (Histoire de la littérature)
Publié le 15/11/2018
Extrait du document

La même colère se retrouve au cours du siècle suivant chez Juvénal (60-130). Cet auteur se caractérise par un mot, l'indignation. Son recueil de seize satires donne une idée précise de l'homme : il apparaît comme réactionnaire, nostalgique de l'époque où le goût de l'effort et la simplicité des mœurs existaient paisiblement. Si les premières satires s'inspirent de faits d'actualité, Juvénal choisit pour les suivantes des thèmes intemporels. Sa colère s'apaise et il traite les personnages qu'il critique avec prudence, les désignant par des périphrases ou à demi-mots afin d’éviter les poursuites. Ce qui reste de son œuvre est une écriture pittoresque, presque baroque, preuve d'un immense talent
LA REDÉCOUVERTE DE LA SATIRE
Après l'âge d'or des auteurs latins, la satire s'efface et ne réapparaît qu'au Moyen Âge, sans respecter toutefois la forme créée par Lucilius. Des écrits tels que Les Fabliaux ou Le Roman de Renart voient le jour au cours des XIe et xiie siècles. Si la forme n'est plus là, le ton est toujours mordant et âpre. Les thèmes abordés restent les mêmes que ceux déjà évoqués. La religion tient notamment une place
ENTRE HUMOUR ET CRITIQUE
Genre littéraire à part entière, venant de l'Antiquité, la satire a revêtu des formes très variées au cours des siècles. Du «pot-pourri» théâtral grec aux poèmes latins formels, des fabliaux moyenâgeux aux écrits humanistes, des journaux du XIXe siècle l'utilisant pour dénoncer une société corrompue aux romans modernes, la satire n'a cessé d'évoluer, de s'adapter aux différentes époques tout en conservant sa spécificité, celle d'un genre où l'auteur n’hésite pas à dénoncer avec audace et humour des faits critiquables observés dans la réalité, qu'ils touchent aux mœurs, à la politique, à la religion ou encore au quotidien.
LES RACINES GRECQUES DE LA SATIRE
À en croire les Romains, la satire serait un genre qu'ils auraient entièrement inventé, une création exclusivement latine. Or, si le mot satire provient effectivement du latin satura, écrit également satyra ou satira (seule graphie ayant survécu au temps), son sens désigne un pot-pourri et fait explicitement référence à des origines grecques, au moment où la comédie commençait à s'épanouir. Les comédiens faisaient quelque peu office de chansonniers, improvisant sur scène, jouant de la musique. Leurs échanges étaient emplis de railleries et de contestation, et si une règle était à respecter dans ce genre scénique dont la marque principale était bien la liberté, elle résidait dans la variété rythmique, laquelle devait être en adéquation avec le contenu.
Essentiellement orale, la satura mourut à Rome alors même qu'y naissait le théâtre. La synthèse de la satura et de la nouvelle comédie grecque,
donnant une intrigue suivie aux pièces et respectant la variété rythmique, mêlant prose et vers, se réalisa grâce aux premiers auteurs latins. Ceux-ci s'inspirèrent notamment d'auteurs comme
Cette façon bouffonne d'aborder des problèmes moraux se retrouve chez Varron, dont on ne possède que peu d'écrits. Il aura néanmoins contribué à faire vivre cette forme de satire, en employant ce ton comico-sérieux et cette écriture croisée entre forme et fond. L’esprit de la satire ménippée persiste à travers le temps, par les thèmes développés : la descente aux enfers devient une constante chez les disciples de Ménippe et influencera une partie des écrivains de la Renaissance, comme Érasme ou Rabelais.

«
LA
SATIRE SUR SàNE
Alors que la satire provient du théâtre
grec, d'un «pot-pourri • scénique
regroupant plusieurs formes
d'expression (musique, danse, chan�
déclamation), elle s'achemine
rapidement vers une mise en forme
uniquement textuelle.
C'est � l'arrivée
de pièces comme celles de Molière
au XVII' siècle, où le ridicule
de certains types de personnages est
montré sur scène, que la satire envaM
ce domaine, renouant quelque
peu avec ses
origines.
Mêlée
au comique,
la satire ne
cesse d'affleurer
chez Molière,
au travers
du Bourgeois
gentilhomme,
deL'AIIIIft,
de L'École des
femmes.
Tous les sujets sont abordés
par l'auteur, et tous les comportements
sont passés � la moulinette
de la satire: l'hypocrisie des dévots,
la sottise des puissants, la cupidité
de l'homme.
et jaloux, le na'1l ou le jeune homme
� l'agréable tournure de corps
et d'esprit.
Les humanistes tels
que Rabelais intègrent en partie
la satire dans leurs écrits pour mieux
ridiculiser certains travers de la société,
comme le jargon incompréhensible de
quelques professions.
Dans le Tiers
Livre, Ra�lais fait dérouler �
Rondibilis une série interminable
d'exposés
pour
expliquer comment
venir
�bout du désir
charnel
avant
d'arriver
a la
conclusion que le dernier remède est
de l'assouvir.
le tout afin de dévoiler
l'illogisme et le ridicule de certains
praticiens.
LES BUTS DE LA SATIRE
Cette exploitation du genre satirique,
hors de toute convention formelle,
procure une nouvelle dimension
�ce genre littéraire.
L'auteur dénonce
toujours des faits, des attitudes, manie
l'ironie, envoie des flèches piquantes.
Cependant, il ne s'implique pas
personnellement: il ne vise pas une
personne en particulier mais un tou�
un ensemble, comme les médecins
chez Rabelais.
Le comique n'est
ainsi jamais un hasard dans la satire.
Les humanistes, en adoptant en partie
ce ton dans leurs œuvres, montraient
leur refus d'adhérer � ce monde
où selon leurs critères la vérité
et l'ordre se trouvaient bafoués
et trahis.
Ce refus aboutit alors
� une attaque via une arme de bon
sens, le rire.
Les personnages
deviennent des caricatures: les scènes
de banquet représentent un thème
de prédilection dans les satires, On
retrouve en partie cette
dénonciation des vices humains
quelques siècles plus tard, de manière
bien plus brutale,
chez des auteurs
du XX' siècle
comme Alfred Jarry
etEIIfèJle
leftsal.
Dans
sa pièce Ubu roi
(1896), Alfred Jarry se livre� une satire
guidée par l'absurde de la soif de
pouvoir.
Une surenchère de bêtise
et de cruauté anime ses personnages,
� tel point qu'on ne sait plus si les
personnages sont excessifs dans
l'horreur ou si l'auteur n'exagère qu'�
peine la réalité.
Eugène Ionesco
se montre plus féroce 'que Jarry, mais
dépeint � sa manière les rapports
absurdes qu'entretiennent les hommes
entre eux au travers de pièces comme
Lo Cantatrice chauve, où deux couples
passent une soirée ensemble sans rien
avoir� partager.
Si ces deux auteurs
sont qualifiés d'ècrivains de l'absurde,
ils ont intégré dans leurs œuvres
la satire afin de dénoncer le désordre
et l'incohérence du monde.
et l'image du moine ripailleur
date de cette époque.
C'est ainsi
qu'en grossissant les vices et les
défauts, en poussant la dérision
à l'extrême, les satiristes estimaient
dévoiler l'incohérence du monde,
le discréditer.
Mais si le rire dans
la satire peut être méprisant, jamais
il n'implique la passion: le détachement
et la distance de l'auteur sont deux
constantes du genre.
Ces traits de la satire en perpétuelle
évolution sont repris par les grands
auteurs du
XVII' siècle :
Boileau,
Mollére
ou encore
La Fontaine
et Voltaire.
les
utilisent pour
dénoncer des
travers de leurs
contemporains.
Boiluu s'illustre
particulièrement
dans son emploi.
Il débute
sa carrière
littéraire par
ses premières Satires et s'attire des
inimitiés puisqu'il n'épargne pas ses
confrères et leur mauvais goût Sa
quête de vérité et de simplicité
passe par une moquerie railleuse
de la littérature futile et affectée.
Il parvient� discipliner le rire
en le chargeant de livrer la cible
désignée � la risée publique.
Il existe
aussi chez Boileau une utilité morale
� la sali re: elle est le miroir révélateur
des vices.
Molière emploie tout autant
la satire dans ses pièces: certaines
tendent� refléter fidèlement la réalité,
ce qui accentue encore le ridicule de
certains personnages (Les Prédeuses •
•
ridicules ou
TA R T V FF E.
Le Tartuffe).
o v Les comédies
L1MPOSTEVR.
COMB DIE.
r.u.
1 8.
P, Dl MOl.IUI.t.
se
transforment
alors en miroir
.,,, public, et le
rire satirique
remplit
parfaitement
sa fonction.
LA SATIRE DANS
LE ROMAN MODERNE
Le ridicule fait rentrer la satire dans
les romans.
Sans cesse en mouvement.
elle s'adapte parfaitement� l'écriture
en prose.
La peur du ridicule propre
au XVII' siècle a persisté au XVIII'
et s'est inscrite dans le mode
parisienne,
que l'auteur fustige en la présentant
comme une sorte de cour où il faut
rester «d'une nullité parfaite».
Selon
Stendhal, deux ridicules coexistent:
celui du héros, original
et dépourvu de conventions; et celui
du personnage satirique, inconsistant
En l'occurrence, dans son roman, Julien r--- =:""'"-...., Sorel finit par
emporter
l'adhésion des
lecteurs, qui
se gaussent
des manières
absurdes de
la société
mondaine.
Rau�rl.
avec Bouvard
et Pécuchet, son dernier roman (1881 ),
présente deux héros atteints d'une
bêtise fondamentale qui tentent
par tous les moyens d'avoir accès
� la science et qui évidemment
n'y parviennent pas.
Son livre est
en quelque sorte une satire du héros
romanesque: ici, l'intrigue n'existe
presque pas et les protagonistes sont
ridicules.
Les personnages satiriques
deviennent récurrents dans les
différentes œuvres: par le mélange
de la satire et du réalisme, on retrouve des
types comme le bouc émissaire
ou le na'il Ce dernier fonctionne
de la sorte: par le regard innocent
qu'il porte sur son environnement,
il en fait apparaître les travers,
comme le Candide de Voltaire,
précurseur de ce type de personnage.
L1NTIUSION DE LA SATIRE
DANS LA PlESSE
La création de ces galeries
de personnages, la profusion
d'ouvrages au XIX' siècle et l'accès
� la culture pour une part plus large
de la population ont facilité l'arrivée
de la satire dans les journaux
de l'époque.
La multiplication
des titres, explorant tous les domaines
intellectuels, change la vie des Français.
La satire, pour être comprise
et pour déclencher le rire, a besoin
de s'appuyer sur un certain nombre de
référents.
Au travers de la presse, les lecteurs
décryptent mieux le quotidien, l'univers
des puissants, se cultivent.
Tout peut
devenir matière � critique: les journaux
Li BAIIIETON ��
�� ����� i.
res
.......
'='·'-'' .........
g
comme
�=-::-; = ;-;; ......
...
- LeHt�nne ton,
créé en 1868,
présenté
comme
«satirique
et littéraire»,
et les
rédacteurs ont
� souvent
des
plumes acérées épaulées par le talent
de dessinateurs dont la liberté de ton
fait la renommée de publications
comme Le Rire, Psst .
.!, Le Canard
sauvage ou encore L'Assiette au
beurre.
Un hebdomadaire comme La
Caricature de Charles Philipon, fondé en
1830, était un journal redouté tant
son ton était mordant.
Les écrivains �
succès comme Balzac ou Zola sont
également nombreux � écrire dans
ces journaux.
La satire renoue finalement à cette
époque avec la tradition lucilienne,
reprenant les faits d'actualité � la façon
rageuse d'un Juvénal ou avec le sourire
d'un Horace.
Le Canard enchainé
s'inscrit dans cette veine; des dessins
de presse jusqu'aux titres � double
sens, il nécessite de la part du lecteur
un effort d'interprétation et suscite
le rire par la dénonciation de travers
contemporains, quel que soit
le domaine touché.
LA SATIRE COMME
MODE DE RÉFLEXION
Encore plus proches de nous,
les écrivains du XX' siècle ont
métamorphosé la sati re pour l'amener
� devenir un outil de réflexion,
une façon de lire le monde sur deux
niveaux.
Le mode comique est toujours
1�.
la caricature également.
Mais
l'auteur glisse de la dénonciation
détachée � une réflexion poussée
sur les mécanismes de la société
contemporaine, bien plus engagée.
Le Meilleur des mondes d'Aldous
Huxley (1932) décrit avec ironie
une société parfaite, où les individus
vivent conditionnés, incapables
de penser par eux-mêmes et donc
contents de leur sort, jusqu'au jour
où deux d'entre eux se« réveillent» ...
Cette critique et satire tout � la fois
du consumérisme et de l'emballement
des découvertes scientifiques revêt
aujourd'hui un caractère encore
plus troublant qu'� l'époque:
elle remet en cause les fondements
mêmes de la socièté moderne.
En 1945, George Orwell publie La
Ferme des animaux, une satire des
régimes dictatoriaux qui prétendent
faire le bonheur du peuple.
Des
écrivains tels que Jacques Prévert ou
Marcel Aymé, de façon moins radicale,
ont aussi poussé leurs lecteurs à
s'interroger sur l'essence des rapports
humains, au travers aussi bien de
nouvelles que de romans ou de
poèmes.
De la satura antique à la satire
moderne, ce genre n'aura jamais cessé
de faire réfléchir les hommes en
mettant en lumière leurs défauts.
SATIRE.
PAMPHLET, PARODIE ...
QUI FAIT QUOI 1
• La satire constitue une
représentation à la fois critique
et comique d'un défa� d'une attitude
observée dans la réalité, dans quelque
domaine que ce soit, autant politique
que moral ou social.
le but étant de
faire rire d'une part et de corriger le
monde de l'autre.
La satire n'est pas le
seul genre qui se targue de dénoncer
des vices: le pamphlet et la parodie
s'emploient également à cette
fonction, mais de façon bien distincte.
• Le pamphlet.
comme la satire, est
dirigé vers une cible extérieure
et attaque violemment les personnes,
les institutions.
Il est
le genre le plus engagé qui puisse
exister; mélange d'invective, d'essai,
de polémique, il tente
de révéler toutes les défaillances du
monde, de mettre au jour son
incohérence.
Par son implication
personnelle, la passion mise
dans ses ècrits, le pamphlétaire
se distingue du satiriste.
• La parodie utilise les mêmes
procédés de caricature, de miroir
déformant et d'ironie que la satire.
En
revanche, le propre
de la parodie est d'Imiter avec humour
un texte, de s'en saisir
et d'en faire ressortir tous les défauts,
de se moquer du style
de l'auteur.
Les cibles favorites
de la parodie sont des textes
classiques, des auteurs qui font
autorité.
Si la satire se nourrit du
monde qui l'entoure, la parodie
est dépendante des textes qu'elle
attaque et ne peut exister sans eux..
»
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