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LE DANDYSME (Histoire de la littérature)

Publié le 22/11/2018

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DANDYSME. Si depuis longtemps le Cratyle ne nous avait mis en garde, nous pourrions chercher l’essence du dandy dans son nom même : non point notre Dandin, celui de Molière, ou le Dandino de Rossini, dans la Cenerentola, un niais devenu roué; mais le dandy anglais, un mot à la grâce un peu lourde, à la molle élégance. Lord Byron l’employait déjà en 1813, dans Beppo, pour se définir lui-même : « Je ne suis qu’une espèce de personne sans nom, un dandy brisé commençant à peine ses voyages ».

 

Le dandy ne serait qu’un autre masque. Son nom est absence de nom. Et y a-t-il lieu de rechercher la vérité d’un mensonge?

 

On ne peut pourtant pas dire qu’historiquement le dandysme soit un phénomène dépourvu de signification. Sans doute les premiers écrivains français qui parlent du dandy restent-ils singulièrement méprisants. Les dandies sont, pour Stendhal, « des espèces de jocrisses qui ne savent que bien mettre leur cravate ». Et Balzac écrit, dans le Traité de la vie élégante, qu’en se faisant dandy « un homme devient un meuble de boudoir, un mannequin extrêmement ingénieux qui peut se poser sur un cheval ou sur un canapé, mais un être pensant... jamais ». Pourtant Barbey d’Aurevilly, en éclairant les origines du dandysme, fera mieux comprendre ce qu’il est dans son essence; Baudelaire en dévoilera la signification existentielle et l’entraînera sur la pente de cette Décadence qui, paradoxalement, a cru être son apogée [voir Décadence].

 

Le dandysme selon Barbey

 

Du dandysme et de George Brummel (1845)

 

Le dandysme est, par son nom même, un produit d’Angleterre. Le bifteck aussi, c’est vrai, et pourtant Barthes a montré qu’il était devenu un mythe français. La différence, si l’on en croit Barbey, c’est que le dandysme est un phénomène spécifiquement anglais, donc inexportable. C’est « la forme (...) d’une vanité particulière et très particulière : de la vanité anglaise. Voilà pourquoi le mot “dandysme” n’est pas français. Il restera étranger comme la chose qu’il exprime (...). C’est la force de l’originalité anglaise, s’imprimant sur la vanité humaine — cette vanité ancrée jusqu’au cœur des marmitons (...) —, qui produit ce qu’on appelle le dandysme. Nul moyen de partager cela avec l’Angleterre. C’est profond comme son génie même ».

 

Et Barbey de s’employer alors à montrer la différence qui existe, selon lui, entre le vrai dandy, George Brummel, et les Français qu’on a voulu décorer de ce nom. Brummel est un dandy, alors que le duc de Richelieu (1696-1788) n’est qu’un fat; il n’a pas le tempérament adéquat (il est nervo-sanguin au lieu d’être lymphatique); il n’a pas vécu dans la même société (la société française du xvme siècle était ouvertement dissolue, la société anglaise était hypocrite). Quant au comte d’Orsay (1801-1852), il a eu beau faire de l’Angleterre sa seconde patrie, de miss Blessington sa femme et de lady Blessing-ton sa maîtresse, il a continué de plaire en plaisant, au lieu de plaire en déplaisant, comme le vrai dandy; il a été trop passionné, trop chevaleresque, trop artiste.

 

George Brummel a vécu de 1778 à 1840, et, pour Barbey, le phénomène dandy reste circonscrit entre ces deux dates, ou entre celles du règne du roi dandy George IV qui, né en 1762, régna de 1811 à 1830. Sans

 

doute faut-il remonter jusqu’à la réaction antipuritaine qui se manifesta au moment de la restauration de Charles II Stuart. Mais les « Beaux », dont le dernier fut Nash (1674-1762), n’étaient que des épigones des Français et ne seront jamais que les prédécesseurs des dandys.

 

Bolingbroke, l’inventeur de la devise Nil mirari, serait le premier dandy si George Brummel n’était le seul. En effet, de cette « science de manières et d’attitudes, impossible ailleurs, (...) Brummel fut l’expression achevée et qu’on n’égalera jamais plus ». Fils d’un roturier parvenu grâce à la protection d’un grand, il avait été envoyé en 1790 à Eton, où il se fit vite remarquer par le soin de sa mise et la langueur de ses manières. Puis il entra à l’université d’Oxford, avant de devenir cornette dans le 10e régiment de hussards, commandé par le prince de Galles. Il abandonne l’armée pour vivre à Londres. Mais, entre-temps, le prince est devenu le roi George IV. Brummel jouit alors d’une faveur extraordinaire. Il fait figure d’arbitre des élégances et de roi de la société. La disgrâce vient quand le roi prend un embonpoint qui étouffe en lui le dandy qu’il voulait être. Les moqueries à son égard (« Big Ben ») ou à l’égard de sa favorite (« la Benina ») aggravent les choses. Brummel s’enfuit à Calais en 1816.

 

Ce sont ces années 1793-1816, celles qui virent le triomphe de Brummel, qui constituent pour Barbey l’apogée du dandysme. Le phénomène, pour lui, n’était pas superficiel, et il veut en découvrir en profondeur l’explication : « De 1793 à 1816, il y a vingt-deux ans. Or, dans le monde moral comme dans le monde physique, ce qui est léger se déplace aisément. Un succès continu de tant d’années montre donc que c’était bien à un besoin de nature humaine, sous la convention sociale, que répondait l’existence de Brummel ».

 

Une telle affirmation montre déjà la possibilité d’une extension et entre en contradiction avec les prémisses de l’ouvrage. Quand, dans une note du chapitre v (une note qui, selon l’auteur, est plus importante que le texte lui-même), la comparaison est faite entre l’ennui anglais et l’ennui romain, climat nécessaire à l’éclosion du dandysme, quand le dandy est défini comme un « androgyne de l’histoire », dont Alcibiade fut le plus beau type et Brummel (malgré son surnom de « Buck Brummel » [mâle Brummel]) la réalisation la plus accomplie, le phénomène brusquement dépasse l’étroite époque considérée. D’ailleurs, écrit Barbey, les dandys « attestent la magnifique variété de l’œuvre divine : ils sont éternels, comme le caprice. L’humanité a autant besoin d’eux et de leur attrait que de ses plus imposants héros, de ses grandeurs les plus austères ». Ce sont des « natures doubles et multiples, d’un sexe intellectuel indécis, où la grâce est plus grâce encore dans la force, et où la force se retrouve encore dans la grâce ».

 

Autre contradiction, autre possible extension. L’époque dandy, pour Barbey, n’est pas une époque de décadence, bien au contraire! Au chapitre x, il s’en prend aux prédicateurs méthodistes et aux moralistes de tout poil, qui ont cherché à dévaluer en même temps Brummel et son temps : une poupée sans cerveau et sans entrailles dans une société en décadence. Au contraire, pour lui, ç’a été « une grande époque », et c’est précisément pourquoi elle a permis l’éclosion du phénomène dandy, une société sans naturel, tout artifice, arrivée à un degré de civilisation raffinée. Mais cette civilisation raffinée n’allait pas sans quelque corruption secrète, et cette corruption d’une Messaline qui s’ignore encore flatte le dandy. Alcibiade contribua à la ruine de la vertu athénienne à l’époque de la guerre du Péloponnèse. L’ennui se répandit dans la Rome de la décadence. Et cette remarque faite à propos de Brummel, « il déplaisait trop généralement pour ne pas être recherché », implique on ne sait quel masochisme avant la lettre, « le besoin d’être battues

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« qui prend quelquefois les femmes puissantes et débauchées».

Le dandysme selon Baudelaire On conçoit d'ordinaire le dandysme comme lié au romantisme.

Il en est ainsi, par exemple, dans le chapitre de l'Homme révolté qu'Albert Camus a consacré à la révolte des dandys : cette forme de révolte y est présen­ tée comme la pointe extrême de la révolte romantique.

« Baudelaire, écrit Camus, a été le théoricien le plus profond du dandysme», et il a «donné des formules définitives à l'une des conclusions de la révolte romantique».

Parmi ces formules, il en est une qui semble prendre la relève de 1' essai de Barbey : « Le dandysme est le dernier éclat d'héroïsme dans les décadences».

On la trouve dans l'étude de Baudelaire consacrée à Constantin Guys, « le Peintre de la vie moderne » (novembre­ décembre 1863), et elle sera reprise dans l'Art romanti­ que en 1869, après la mort du poète.

Décadence ne dési­ gne pas ici une époque précise de l'histoire, mais le terme, ou du moins l'avant-terme d'un cycle toujours recommencé, le moment qui précède la catastrophe où tout va s'engloutir et la chaîne des événements qui précè­ dent cette catastrophe.

Or, à cette évolution catastrophique s'oppose l'effort du dandy pour conserver, pour maintenir.

Car, comme le notera encore Camus, « le dandy est par fonction un oppositionnel ».

Dans les ténèbres il essaie de faire bril­ ler un dernier éclat.

On songe à ce geste d' Andra Spe­ relli, dans Il Piacere de Gabriele d'Annunzio (1889), allumant des bougies torses, d'une couleur orangée très vive, au moment où le crépuscule expire contre les vitres.

Mais cet éclat est surtout un éclat moral, « ce qu'il y a de meilleur dans l'orgueil humain», précise Baudelaire, «ce besoin, trop rare chez ceux d'aujourd'hui, de com­ battre et de détruire la trivialité ».

Baudelaire n'est pas, comme Barbey d' Aurevilly, en quête du dandysme pur.

Il range dans la même catégorie les raffinés, les « beaux », les « lions » et les dandys, parce que tous participent du même caractère d'opposi­ tion et de révolte.

Il a davantage le souci d'un dandysme essentiel, et surtout d'un dandysme existentiel, aboutis­ sant à un acte :« Fonder une espèce nouvelle d'aristocra­ tie, d'autant .Jlus difficile à rompre qu'elle sera basée sur les facultés les plus précieuses, les plus indestructi­ bles, et sur les dons célestes que le travail et l'argent ne peuvent conférer ».

Adversaire de la décadence, le dandysme en est pour­ tant inséparable.

L'aristocratie nouvelle (que Gobineau, que Nietzsche appelleront également de leurs vœux) apparaît dans les époques transitoires où l'aristocratie traditionnelle tend à s'avilir.

Les dandys fin de siècle seront les rej.!tons de grandes familles qui s'éteignent : Dorian Gray ;;emblera porter en lui un germe étrange et empoisonné, Line tare venue de ses nobles ancêtres, tous connus pour leurs folles passions, leurs orgies ou leurs infamies.

MalS si le décadent s'abandonne à la pente de sa faiblesse, 1� dandy tel que le conçoit et tel que le salue Baudelaire e�:t « riche de force native », même s'il est « déclassé, dt::sœuvré, dégoûté ».

Barbey parlait de vanité; Baudelaire parle d'« une espèce de culte de soi-même» qui peut survivre aux déceptions et aux désillusions, mais c'est un culte de soi actif, exigeant, démonstratif.

La différence, qui est une garantie de la valeur.: est acquise, et non pas innée.

Comme le souligne Emilien Carassus, le dandy selon Baudelaire crée son propre reflet dans son miroir, au lieu de faire coïncider ce reflet avec les images qui s'y inscrivent déjà.

Le romantique perdait son ombre (Peter Schlemihl, dans le conte de Chamisso) ou la cherchait en vain dans le miroir (c'était l'histoire d'Anselme, dans les Aventures de la Saint-Sylvestre d'E.T.A.

Hoffmann); le dandy la ressuscite.

Il crée à partir de rien : il « règne par les airs, dira Jules Lemaitre, comme d'autres par les talents, par la force, par la richesse ».

Et Barrès, évo­ quant la tentation du dandysme dans Sous l'œil des Bar­ bares, en parlera comme d'« un pouvoir sans nom, vrai­ ment fait de rien du tout ».

S'il fallait pourtant nommer ce pouvoir, on pourrait dire qu'il est le pouvoir de substituer 1' artificiel au natu­ rel.

Samuel Cramer, le héros de la nouvelle de Baudelaire intitulée la Fan farlo, repeindrait volontiers les arbres et le ciel.

Il semble ne pas tolérer la nudité de sa maîtresse et veut la voir habillée en Colombine.

Baudelaire, qui fait l'éloge du maquillage ( « Eh! n'oublie pas le rouge », dit encore Samuel Cramer), fait aussi l'éloge de la mode, «un symptôme du goût de l'idéal surnageant dans le cerveau humain au-dessus de tout ce que la vie naturelle y accumule de grossier, de terrestre et d'immonde, comme une déformation sublime de la nature, ou plutôt comme un essai permanent et successif de réformation de la nature ».

Cette conquête sur la nature se fera par la sobriété.

Baudelaire prend la défense de l'habit noir, et il a observé que « les grands coloristes savent faire de la couleur avec un habit noir, une cravate blanche et un fond gris ».

A Brummel il emprunterait volontiers sa réputation de froideur, ou plutôt l'inébranlable résolution de ne pas être ému.

En s'interdisant de sourire plus de deux fois par mois, le Thomas Graindorge de Taine n'est que ridicule.

La gravité du dandy baudelairien est autre­ ment profonde, elle est résistance à « un feu latent qui se fait deviner, qui pourrait mais qui ne veut pas rayonner ».

Ce feu latent est une torture, celle que ressent le poète souffrant des Fleurs du mal.

Mais, malgré la morsure du renard, le Lacédémonien ne cesse de sourire.

Baudelaire a fait de cet apologue un emblème de son dandysme, qu'il a conçu comme un héroïsme et qu'il a cru vivre comme tel.

Il implique une lutte avec les autres, mais surtout une lutte avec soi-même, la haine et l'amour de soi.

A la limite il est mortel, mais cette mort ne peut se produire que devant le miroir, comme celle du Caligula de Camus.

En définitive, le dandysme aura été le jeu de 1' amour de soi et de la mort.

La décadence du dandysme A la sobriété de Brummel ou de Baudelaire s'oppose l'excentricité des dandys fin de siècle.

Le snob, par exemple, n'est qu'un imitateu� du dandy, une falsifica­ tion.

Comme le fait observer Emilien Carassus, il cher­ che moins à faire reconnaître la différence qu'à imposer l'opinion fallacieuse de son appartenance à un niveau supérieur de la hiérarchie sociale et intellectuelle.

Le comte Robert de Montesquiou est sans doute l'exemple le plus caractéristique de la déviation du dan­ dysme.

Il met en avant ses talents, il écrase ses invités sous le poids déclamatoire de ses poèmes, les Hortensias bleus ou les Chauves-Souris.

Il attend qu'on se pâme devant ses bons mots : il se dit, par exemple, « en deuil des feuilles mortes».

Sans doute le bon mot n'est-il pas étranger au dandysme, dans la mesure où il est jeu avec la convenance et où il apporte dans le lieu convenu, le salon, et sur le mode convenu, la conversation mondaine, une touche d'impertinence.

Anatole France en rapporte encore quelques exemples dans le tome III de la Vie littéraire :« Vous regardez la Lune, mademoiselle, c'est l'astre des polissons», «Je me suis enroué en écoutant cette dame », ou, plus irrévérencieux encore, à quelqu'un qui lui fait compliment de le trouver si merveilleusement sanglé dans sa redingote : « Monsieur, si je communiais, j'éclaterais ».

Mais les jeux de mots de Montesquiou ne. »

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