Devoir de Philosophie

LE PAMPHLET (Histoire de la littérature)

Publié le 28/11/2018

Extrait du document

histoire
PAMPHLET. Le pamphlet se définit plus par sa fonction et son esprit que par une forme spécifique : il existe des pamphlets en prose et en vers, des pamphlets académiques et d’autres bien vulgaires, des pamphlets en chansons, en journaux et en volumes. Cette diversité ne fait cependant qu’accroître l’intérêt historique et littéraire du genre : l’histoire des pamphlets est en effet celle des passions et l’actualité la plus aiguë s’y révèle dans une écriture qui ne peut être que tendue et polémique. Car c’est le choix d’un ton qui fait essentiellement le pamphlet, une certaine flamme, d’abord, qui joue sur l’émotion et fait entendre la voix, parfois lyrique, d’un auteur. D’où, souvent, les marques de l'oralité qui donnent au pamphlet la force d’une parole présente : interjections, ruptures de construction, apostrophes et cette ponctuation particulière qui, chez Céline, devient hyperbolique! Un tel choix, cependant, ainsi que la brièveté fréquente des pamphlets n’excluent pas l’utilisation d’une rhétorique élaborée, organisée : le pamphlet est souvent un plaidoyer ou un réquisitoire et l’on sait que la rhétorique naquit justement de la codification de ces discours judiciaires. Car l'efficacité et la virulence du pamphlet ne naissent pas forcément d’une violence anarchique, mais bien plutôt d’une démonstration qui donne à l’injure et au parti pris les allures de l'évidence, de la vérité.
 
Malgré ses excès de langage, le pamphlétaire prétend en effet dire la vérité que l’adversaire voudrait justement cacher ou censurer. Il est l'homme libre qui peut dire que le roi est nu et, au-delà de cette liberté, il devient une sorte de prophète, un « Josué rêveur », pour reprendre le mot de Hugo dans les Châtiments. Il est le vengeur et le porte-parole des victimes : l’opinion abusée, le peuple tyrannisé, les chrétiens trompés ou blessés dans leur foi, la majorité silencieuse. Le pamphlétaire peut alors renverser dans son texte (en attendant de les renverser dans la réalité!) les rapports de force existants : il invente les supplices à infliger au despote, juge et punit le juge et le bourreau, refait la société. En ce sens, le pamphlet n’est pas que polémiques, outrances et destruction : il peut être aussi le lieu d'une utopie en même temps que la revanche d’un minoritaire qui voit dans l’attaque la meilleure des défenses, la meilleure des propagandes. Le pamphlet vit de cette tension, il est l’affirmation positive de ceux qui sont contre : hérétiques, rebelles, réactionnaires ou dissidents...
L'histoire des passions françaises
La controxerse religieuse, déjà virulente au Moyen Âge [voir, pour cette période. Pamphlets (dans la littérature médiévale)], est évidemment au centre des premiers pamphlets modernes. Luther lui-même ne recule pas devant l’attaque violente et l'on doit surtout à Calvin quelques pamphlets bien sentis (les Reliques, 1543; Excuse à Messieurs les Nicodémites et Contre les anabaptistes, 1544; Contre la secte phantastique et furieuse des libertins (...), 1545). Des deux côtés, les pamphlets (et les fameux « placards ») constituent une arme redoutable, mais surtout chez les protestants qui les impriment à Genève et, de là, les diffusent partout en France; en l’occurrence, pamphlets et libelles sont bien l’arme d'une minorité agissante : si l’on réserve le cas du Cym-balum mundi (1537) de Bonaventure des Périers, les grands pamphlets sont protestants et l’on ne peut citer que quelques noms parmi ces auteurs « engagés » : E. Dolet, auteur, dans la lignée de Marot, d’un Second Enfer (1544), Th. de Bèze (l'Épître de Benoît Passavant, 1553, et des pamphlets en latin), P. Viret (le Monde à P Empire et le Monde démoniacle, 1561) et surtout H. Estienne (Apologie pour Hérodote, 1566); on pourrait évoquer aussi les Tragiques d’Agrippa d’Aubigné dont les attaques ont souvent des accents pamphlétaires. Le thème commun à toute cette production est d’abord la dénonciation sans cesse reprise des « théologastres, théo-phages et philomesses » pour reprendre le titre d’un anonyme du temps : Rome est une « paillarde babylonienne » contre laquelle il faut renverser l’accusation d'hérésie, et le clergé qui la sert, « moynes, prebstres et nonains », n'est que turpitude... La polémique proprement politique existe aussi, encore que la différence soit souvent difficile à établir : on relève au début du siècle des pamphlets sur la rivalité entre François Ier et Charles Quint, puis, plus tard, s'attaquant aux Guises (le Tygre de Hotman, 1560) et à Catherine de Médicis (le Discours merveilleux des déportements de Catherine, 1574); à Henri III, aussi, et à ses mignons (l'Isle des hermaphrodites, s.d.). Vers la fin du siècle, la Satyre Ménippée (1594) s’en prend à la Ligue et à ses alliances étrangères, avant que d'autres n'attaquent ou ne défendent le Béarnais : chaque événement, chaque personnage suscite une floraison nouvelle et le pamphlet, en l’absence de toute presse, constitue un élément essentiel, utilisé par tous les partis, dans la formation de l’opinion publique.
S'il existe des pamphlets officiels ou officieux, on est plus sensible à ceux qui vitupèrent le pouvoir en place et ses figures : les Concini (le Magot de Conchine, la Vie, ruse, cautèle, trespas et obsèques du marquis d'Ancre), Richelieu (l'impiété sanglante du cardinal de Richelieu) et bien sûr Mazarin avec ces milliers de mazarinades dont l’apogée se situe vers 1649-1651 [voir Mazarinades]. Signes de crise sociale lorsque la Fronde ébranle l'autorité royale, les pamphlets ne disparaissent pas avec l’établissement d'un pouvoir fort : simplement, et encore plus qu’avant, les risques sont grands pour les rédacteurs. Certes, les cibles ne manquent pas, à commencer par les mensonges des jésuites (les Provinciales de Pascal et les autres pamphlets jansénistes) — ou pire, avec le roi et ses maîtresses, les ministres et grands commis : on peut lire ainsi les Conquêtes du grand Alexandre, les Amours de Lupanie et la Bête insatiable ou le serpent écrasé (Colbert la Couleuvre!). La répression, cependant, est féroce et un pamphlétaire passera trente-quatre ans dans une cage de fer : d’où la prudence obligée, l'anonymat des Juvénals modernes, réfugiés souvent en Hollande, comme certains gazetiers de l'époque.
La critique des puissants
Le siècle des Lumières est aussi celui d’un esprit critique dont on discerne les prémisses avant même la mort de Louis XIV (avec La Bruyère et Fénelon par exemple). Une autre manière de formuler les choses consisterait à dire qu’une bonne part des écrits de ce temps est pamphlétaire, des plus petits (Lagrange-Chancel, les Philip-piques contre le Régent) aux plus grands : Montesquieu, avec les Lettres persanes, Voltaire, Rousseau peut-être,

histoire

« Diderot et Beaumarchais trouvent une part de leur inspi­ ration dans la dénonciation des ridicules, des injustices et des abus, des méchancetés et des bêtises, sans parler des scandales (Law ou les maîtresses de Louis XV).

Inversement, c'est aussi par le pamphlet que passent un certain nombre de propositions audacieuses (et, par contrecoup, leur réfutation).

C'est donc dans les pam­ phlets qu'on trouve à cette époque les éléments d'un débat politique : déjà avant la Révolution, le phénomène est sensible avec certains écrits de Necker, de Chamfort ou de Mirabeau, avec les libelles et les brochures écrits à l'occasion des élections aux États généraux (le célèbre Qu'est-ce que le Tiers État? de Sieyès).

Avec la Révolu­ tion, les journaux deviennent le terrain privilégié des pamphlétaires : Desmoulins (les Révolutions de France et de Brabant, le Vieux Cordelier), Mirabeau, Brissot, Marat (l'Ami du peuple), Hébert aussi (le Père Duchesne) enflamment l'opinion publique et on leur répond par exemple dans les Actes des apôtres.

Les gran­ des questions y sont agitées : les assignats, la question religieuse, la situation économique et militaire, les scan­ dales et les personnes; la dénonciation vise alors le clergé réfractaire, les accapareurs, les traîtres à la patrie, les agents du roi et de 1 'étranger -ou, au contraire, les criminels assoiffés de sang et la populace criminelle.

Encore une fois, les pamphlets expriment les crises en même temps qu'ils les provoquent [voir ÉLOQUENCE RÉVO· LUTIONNAIREl.

Napoléon muselle la presse et réduit presque les pam­ phlétaires au silence, même Madame de Staël et B.

Constant.

La Restauration, en revanche, va réveiller le genre en desserrant un peu l'emprise de censure et en offrant de belles cibles; De Buonaparte et des Bourbons ( 1814), de Chateaubriand, attaque Napoléon, mais c'est contre le régime, essentiellement, qu'écrivent les pam­ phlétaires de talent : Béranger et surtout Paul-Louis Cou­ rier (la Pétition aux deux Chambres, 1816; les Lettres au rédacteur du« Censeur», 1819; la Pétition pour les villageois que l'on empêche de danser, 1822, et, bien sûr, le Pamphlet des pamphlets, 1824).

Face à la force et au pouvoir, les écrivains choisissent volontiers l'esprit et l'insolence : Barthélemy et Méry publient la Villéliade (1826), la Corbiéréide ( 1827), et le premier donnera chaque semaine sa Némésis (1831-32) après 1830; on pourrait aussi parler des Iambes de Barbier et de Corme­ nin (1788-1868), d'Alphonse Karr et de Proudhon.

Il existe certes des pamphlets en faveur du régime ou de la religion, du trône et de l'autel (Veuillot, par exemple, avec les Libres Penseurs, 1848, ou les Odeurs de Paris, 1866), mais c'est bien en face qu'on trouve le plus de talents : l848 a vu se multiplier les clubs, les journaux et les publications, et le régime issu du coup d'État va susciter des œuvres fortes avec, d'emblée Histoire d'un crime et Napoléon le Petit de Hugo (1852), avant les Châtiments ( 1853), et, plus tard, les piques de Rochefort dans la Lam erne : « La France contient, dit l'Almanach impérial, Lrente-six mill ions de sujets sans compter les sujets de mécontentement ».

C'est surtout parmi les jour­ nalistes qu'il faut chercher en effet les polémistes et les pamphlétaires du temps : la Troisième République va leur fournir l'occasion de se révéler avec le scandale de Panama (1890-1891) ou 1' Affaire Dreyfus [voir AFFAIRE DREYFUSl.

Drumont l'antisémite (la France juive, 1886, et son journal la Libre Parole) est plus un cas qu'un talent, mais le J'accuse de Zola, lui-même ancien journa­ liste et polémiste redoutable, est un grand texte, un. »

↓↓↓ APERÇU DU DOCUMENT ↓↓↓

Liens utiles