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Opposition entre l'art et la science ?

Publié le 05/04/2004

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Connaître, dit Brunschvicg, « c'est mesurer «.L'art est concret, la science abstraite. Par là la vision de l'artiste demeure subjective tandis que la science atteint l'objectivité. C'est l'opposition de l'illusion à la vérité mais aussi l'opposition des richesses subjectives à l'impersonnalité froide. «L'art, mes enfants, c'est être absolument soi-même «,dira Verlaine et Claude Bernard avait déjà noté : « L'art c'est moi, la science c'est nous. «Alors que le savant essaie de dépouiller sa connaissance de toute subjectivité pour ne s'occuper que des rapports que les objets ont entre eux, l'artiste voit la nature « non pas comme elle est mais comme il est «. L'artiste refuse cette « psychanalyse « de la perception que le savant exige. Ne vit-ilpas de ces rêves, de ces désirs, de ces passions que l'ascèse scientifique prétend exclure?Le géographe qui étudie les caractéristiques du paysage provençal, le géologue qui analyse le sol et le sous-sol font oeuvre scientifique. Il peut y avoir désaccord entre les opinions de deux géologues; mais le but même de l'activité scientifique est de résoudre ces contradictions, d'apporter des preuves capables de faire l'accord des compétences sur une vérité objective.

La présence de l'artiste dans son œuvre est précisément l'une des caractéristiques qui opposent l'art à la science. En s'efforçant d'introduire l'ordre et la mesure qu'exige la raison dans le monde, le savant nous en donne une représentation impersonnelle et abstraite, et finalement inhumaine. L'artiste, au contraire, est plus sensible à ce qu'il y a d'original et d'unique dans le réel et la représentation concrète qu'il nous en donne porte toujours sa marque. (Comparer le soleil de l'astronome et le soleil de Van Gogh). C'est en ce sens que Bergson avait raison de dire que l'art écarte «tout ce qui masque la réalité, pour nous mettre face à face avec la réalité même«.

« scientifique est de résoudre ces contradictions, d'apporter des preuves capables de faire l'accord des compétencessur une vérité objective.Tout au contraire, le même paysage provençal sera interprété bien différemment par plusieurs artistes.

Par exempleVan Gogh et Cézanne ont peint la Provence mais chacun l'a vue à travers son monde intérieur.

Chez Van Gogh,c'est une Provence tourmentée et tragique.

Voyez ces cyprès qui jaillissent comme des torches calcinées, cesoliviers aux branches tordues, dans une nature houleuse, comme des bras crispés.

Les paysages de Van Gogh sontdes fragments de lui-même, la projection d'un pathétique intérieur.

Cézanne projette au contraire dans soninterprétation de la Provence une âme soucieuse d'équilibre, d'ordre, de clarté : le paysage révèle une architectureclaire, logique.

Les maisons, les arbres s'ordonnent dans un ensemble cohérent.Ainsi, on pourrait dire qu'il y a la science, mais qu'il y a les artistes.

La science est une oeuvre collective dont lesrésultats s'additionnent.

Les travaux antérieurs sont l'instrument des découvertes récentes.

Einstein part de laphysique de Newton et la dépasse.

En revanche, il ne suffit pas d'écrire après Racine pour écrire mieux que Racine,de peindre après Vermeer pour peindre mieux que Vermeer.

La science est un devenir, l'art un perpétuelrecommencement.

Chaque oeuvre géniale est singulière, personnelle et n'apparaît pas comme le moment d'unprogrès.

Sans doute, dit Oppenheimer, « on comprend mieux Shakespeare pour avoir lu Chaucer et Milton pour avoirlu Shakespeare.

On voit Cézanne avec de meilleurs yeux si on a vu aussi Vermeer » (i).

Peut-être certainsconcertos de Bach n'auraient-ils pas existé si Vivaldi n'avait pas été.

Il reste que si Bach et Cézanne n'avaient pasvu le jour, nul n'aurait pu produire leur oeuvre à leur place.

Il est permis de penser au contraire que même sansNewton les lois de l'attraction universelle auraient été tôt ou tard découvertes.

Jean Rostand a écrit que « si telsavant n'avait pas fait cette découverte, un autre l'eût faite un peu plus tard.

Mendel meurt inconnu ayant trouvéles lois de l'hérédité; quarante ans après ils sont trois qui les retrouvent mais le chef-d'oeuvre poétique qui ne futpas écrit ne le sera jamais ».D'autre part l'attitude du savant devant le monde n'est pas du tout celle de l'artiste.

L'attitude du savant estanalytique.

Le savant explique le complexe par le simple, le plus par le moins.

Hourticq disait : « La science descendle cours des phénomènes, de la conscience à la vie, de la vie à la mécanique ».

La science ne sait, d'une certainefaçon, que dissocier.

C'est pourquoi son efficacité « est plus grande pour détruire que pour créer ».

La science saitd'ores et déjà désagréger l'atome, elle sera bientôt capable de faire sauter la planète, mais elle ne sait pas encoreanimer une cellule.

L'art au contraire, en recréant un monde pour notre joie, est peut-être plus fidèle à l'élan secretde l'univers, à sa vivante unité.

Sans doute ne dépasse-t-il pas le niveau des qualités sensibles, des donnéessubjectives, mais « il amène à la pleine clarté cette finalité qui organise le chaos des apparences ; en donnant auxchoses une signification, il crée de la matière spirituelle ».

La visée de l'artiste est donc synthétique.

Il ne s'agit plusdu tout pour lui de résoudre une unité apparente en éléments abstraits; il convient au contraire de respecter cetteunité apparente où les qualités sensibles, sans perdre leur diversité, découvrent leur harmonie.Sans doute la technique issue de la science est, elle aussi, synthèse puisqu'elle reconstruit des objets à partir deslois découvertes.

Mais peut-être la synthèse technique n'a-t-elle pas la même portée ontologique que la synthèse de l'artiste.

La technique ne veut pas promouvoir des « êtres » mais rendre possiblesdes événements, des gestes utilitaires.

La technique ne crée que des moyens, l'art « instaure » des êtres qui sonten quelque sorte des fins en soi.

Si, nous dit M.

Souriau, l'ingénieur construit un pont uniquement pour qu'on puissepasser de l'autre côté de la rive, ce pont n'est qu'une moyen et l'ingénieur n'est qu'un technicien.

Mais si le but del'ingénieur est, non seulement le passage de la rivière « mais le pont lui-même, cette réalité qui désormais demeureet s'affirme avec ses contours, son geste ou son élan, ses perspectives d'arches que l'eau reflète en jeux de lumièreet d'ombre, sa présence, sa durée; alors le constructeur est artiste, architecte ». « L'âme de l'artiste, si elle vit vraiment, n'a pas besoin d'être soutenue par des pensées rationnelles et desthéories.

Elle trouve par elle-même quelque chose à dire.

» Kandinsky, Du Spirituel dans l'art, 1911. « L'art est fait pour troubler.

La science rassure.

» Braque, Pensées sur l'art, 1963. « Rien n'est plus contraire aux beaux-arts que les vues étroites, la marche trop analytique et l'abus duraisonnement propres à notre régime scientifique, d'ailleurs si funeste au développement moral, première source detoute disposition esthétique.

» Comte, Système de politique positive, 1851.. »

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