Est-ce nécessairement faire preuve de gout qu'apprécier une oeuvre d'art à sa juste valeur ?
Publié le 27/02/2008
Extrait du document
Les uns
adoptent d'emblée le jugement des gens qu'ils estiment, les autres établissent
leur choix par un antagonisme inavoué envers un individu, un groupe, un milieu
qu'ils rejettent. Il est bien évident que la véritable indépendance du jugement
et du choix doit pouvoir faire abstraction des tendances qui sont celles du
milieu, de la société contemporaine, sans opposition systématique, mais sans
soumission aux contraintes ou aux préjugés et, le plus souvent, à
contre-courant, puisque les options communes ne sont en général que le résultat
d'un renoncement facile à l'élaboration d'une analyse personnelle.
2) Apprécier une oeuvre d'art à sa juste valeur
serait un conditionnement social, non du goût.
Contre l'idéologie charismatique qui tient les goûts en matière de culture
légitime pour un don de la nature, l'observation scientifique montre que les
besoins culturels sont le produit de l'éducation : l'enquête établit que toutes
les pratiques culturelles (fréquentation des musées, des concerts, des
expositions, lecture, etc.) et les préférences correspondantes (écrivains,
peintres ou musiciens préférés, par exemple) sont étroitement liées au niveau
d'instruction (évalué d'après le titre scolaire ou le nombre d'années d'études)
et, secondairement, à l'origine sociale. Le poids relatif de l'éducation
proprement scolaire (dont l'efficacité et la durée dépendent étroitement de
l'origine sociale) et de l'éducation familiale varie selon le degré auquel les
différentes pratiques culturelles sont reconnues et préparées par le système
scolaire, l'influence de l'origine sociale n'étant jamais aussi forte, toutes
choses étant égales par ailleurs, qu'en matière de « culture libre » ou de
culture d'avant-garde. À la hiérarchie socialement reconnue des arts et, à
l'intérieur de chacun d'eux, des genres, des écoles ou des époques, correspond
la hiérarchie sociale des consommateurs. Ce qui prédispose les goûts à
fonctionner comme des marqueurs privilégiés de la « classe ». Les manières
d'acquérir se survivent dans la manière d'utiliser les acquis : l'attention
accordée aux manières s'explique si l'on voit que c'est à ces impondérables de
la pratique que se reconnaissent les différents modes d'acquisition,
hiérarchisés, de la culture, précoces ou tardifs, familiaux ou scolaires, et les
classes d'individus qu'elles caractérisent (comme les « pédants » et les
« mondains »). La noblesse culturelle a aussi ses titres, que décerne l'école,
et ses quartiers, que mesure l'ancienneté de l'accès à la noblesse.
Que veut dire apprécier une œuvre d’art à sa juste valeur ? En cela, il faut comprendre le mauvais goût comme une dépravation du goût, c’est-à-dire aimer une œuvre d’art laide, kitsch ou de seconde zone comme si elle était une véritable œuvre d’art, et d’ignorer ces dernières. On comprend aisément qu’apprécier une œuvre d’art à sa juste valeur, c’est savoir détecter les chefs d’œuvres , savoir faire le tri entre les mauvaises œuvres d’art et les autres, c’est ne pas accepter les œuvres comme telles sans distinction. Le goût serait-il précisément cela ?
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