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Explication du texte de Platon, extrait de La république, livre VI

Publié le 26/04/2011

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platon

<< Socrate-Glaucon Tu sais, repris-je, que, lorsque l'on regarde des objets dont les couleurs ne sont pas éclairées par la lumière du jour, mais par les flambeaux de la nuit, les yeux voient faiblement et paraissent presque aveugles, comme s'ils avaient perdu la pureté de leur vue. Oui, dit-il. Mais que, quand ils se tournent vers des objets éclairés par le soleil, ils voient distinctement, n'est-ce pas? et il apparaît bien que ces mêmes yeux ont la vue pure. Sans doute. Fais-toi de même à l'égard de l'âme l'idée que voici. Quand elle fixe ses regards sur un objet éclairé par la vérité et par l'être, aussitôt elle le conçoit, le connaît et paraît intelligente; mais lorsqu'elle se tourne vers ce qui est mêlé d'obscurité, sur ce qui naît et périt, elle n'a plus que des opinions, elle voit trouble, elle varie et passe d'une extrémité à l'autre, et semble avoir perdu toute intelligence. C'est bien cela. Or ce qui communique la vérité aux objets connaissables et au sujet qui connaît la faculté de connaître, tiens pour assuré que c'est l'idée du bien; dis- toi qu'elle est la cause de la science et de la vérité, en tant qu'elle est connue; mais quelque belles qu'elles soient toutes deux, cette science et cette vérité, crois que l'idée du bien en est distincte et les surpasse en beauté, et tu ne te tromperas pas. Et comme dans le monde visible on a raison de penser que la lumière et la vue ont de l'analogie avec le soleil, mais qu'on aurait tort de les prendre pour le soleil, de même, dans le monde intelligible, on a raison de croire que la science et la vérité sont l'une et l'autre semblables au bien, mais on aurait tort de croire que l'une ou l'autre soit le bien; car il faut porter plus haut encore la nature du bien. Tu lui prêtes une beauté bien extraordinaire, dit-il, s'il produit la science et la vérité et s'il est encore plus beau qu'elles; ce n'est pas certainement le plaisir que tu entends par là. Dieu m'en garde! répliquai-je; mais continue à considérer l'image du bien comme je vais dire. Comment? Tu reconnaîtras, je pense, que le soleil donne aux objets visibles non seulement la faculté d'être vus, mais encore la genèse, l'accroissement et la nourriture, bien qu'il ne soit pas lui-même genèse. Il ne l'est pas en effet. De même pour les objets connaissables, tu avoueras que non seulement ils tiennent du bien la faculté d'être connus, mais qu'ils lui doivent par surcroît l'être et l'essence, quoique le bien ne soit point essence, mais quelque chose qui dépasse de loin l'essence en majesté et en puissance.>>  

 Le texte qui nous est ici proposé est issu du livre VI de La république, ou de la justice, composé par Platon (athénien né en 427 et mort en 347 avant J.C.). Ce livre traite de la forme qu'il faudrait donner à la cité (polis), c'est- à-dire quel gouvernement et quelles institutions lui conférer, afin qu'elle fût juste. L'on sait que chez les Grecs il était courant que les sages donnent des constitutions aux cités, ainsi de Solon, l'un des "Sept Sages", pour Athènes. Or Platon n'entend pas laisser la constitution d'une cité aux hasards des opinions et des apparences. Il ne s'agit pas de faire ce qui paraît bien (comme le font les sophistes, qui rivalisent de dextérité pour plaire à la foule en leur présentant de bonnes apparences), mais ce qui est bien. Dès lors le problème de Platon sera de démontrer comment il est possible de connaître le bien, afin que celui qui gouverne la cité puisse imposer le bien, dont il aura pris connaissance. C'est précisément le thème de l'extrait que nous allons analyser; c'est la question du rapport de l'âme avec le bien, comme enjeu d'une véritable théorie de la connaissance pour Platon.

platon

« vue sont, pour les grecs, capitaux.

D'abord, bien sûr, la Grèce est un pays baigné par le soleil, et les poètes grecsont souvent loué cette lumière "divine" (Homère, Pindare).

Mais surtout, les grecs avaient une conception de la vuebien différente de la nôtre.

Depuis la découverte du phénomène de la "chambre noire" (camera obscura), parLéonard de Vinci, phénomène qui consiste en ce que la flamme d'une bougie, passant par un petit trou (de serrurepar exemple), est projetée à l'envers sur la paroi de l'autre côté de la porte, nous concevons l'oeil comme unrécepteur passif, sur ce modèle (voir par exemple la Dioptrique de Descartes).

Bien au contraire, les grecsconçoivent l'oeil comme actif, il est lui-même émetteur.

C'est pourquoi Parménide parle du "feu de l'oeil" (fragmentA86).

Euclide, le géomètre, fera lui-même une théorie développée de ce regard actif, dans un esprit tout à faireplatonicien.

"Voir" se dit en grec oraô [écrit en lettres grecques], et nous reviendrons sur ce verbe très importanten seconde partie.

Socrate déclare que des yeux qui voient un objet bien éclairé ont la vue "pure", et voient"distinctement".

Ce n'est pas indifférent, car d'une part la pureté est un terme qui peut avoir un sens moral, et lecaractère de distinction est lié à celui de la délimitation.

Nous pouvons d'ores et déjà dire que l'impureté seraattribuée à notre monde-ci, et la pureté à la "sphère des fixes", c'est-à-dire le ciel étoilé.

Quant à l'indistinct, c'estle caractère de l'a- peiron [en grec], l'indéfini, qui est la marque indiscutable, pour les grecs, d'un défaut essentiel.Ces deux termes prendront tout leur sens lorsque la métaphore sera filée (l'impur sera le caractère inaliénable denotre monde : changeant et corruptible, par opposition au ciel, immobile (par retour du même) et incorruptible).Socrate, dans sa troisième réplique, ouvre alors la comparaison entre (le regard de) l'oeil et l'âme : "Quand [l'âme]fixe ses regards sur un objet éclairé par la vérité et par l'être, aussitôt elle conçoit, le connaît et paraît intelligente[...]".

Cela signifie que l'âme est susceptible de voir, à sa manière (nous verrons en seconde partie les objets bienspécifiques qu'elle peut voir, Platon ne précise pas encore, il parle seulement d'"objet").

Cela veut dire aussi que lavérité et l'être, puisqu'ils sont dits "éclairant", sont semblables à la lumière.

La vérité se dit en grec "a-léthéia", cequi signifie littéralement "dé-couvert".

Tout comme la lumière nous permet de découvrir un objet (de son obscurité,de son indistinction), la vérité est dé-couvrement.

De quelle "couverture" nous débarrasse-t-elle? Précisément del'obscurité au sens métaphorique : l'opinion, le mêlé, l'indistinct...

(nous allons y revenir).

Mais pourquoi Platon peut-il nous dire que l'objet vu, l'âme le conçoit "aussitôt"? Cela vient de ce que l'âme présente une affinité essentielleavec l'objet qu'elle voit, exactement comme (nous avons vu que) l'oeil présente une affinité avec la lumière produitepar le soleil : il possède une flamme (et les grecs se plaisaient à remarquer en ce sens que, lorsqu'on regarde un oeilde très près, brille à sa surface une image du monde (mora)).

En effet Platon déclare l'âme divine, or l'objet à voirest divin (nous y reviendrons).

Mais tout comme l'oeil voyant de manière impure et indistincte quand la lumièrevenait à lui manquer, l'âme, quand l'objet qu'elle regarde n'est plus éclairé par la vérité et par l'être, "voit trouble".Ce qu'elle voit alors présente le caractère de l'instabilité, du changement permanent.

Socrate parle en ce sens dece qui "naît et périt".

C'est pour nous l'indice que ce qu'il a en vue, c'est notre monde terrestre.

C'est qu'en effetPlaton conçoit le ciel, du fait de son mouvement circulaire parfaitement régulier (à l'exception des "planètes" -astres errants), comme le modèle même de la perfection éternelle.

Tandis que notre monde n'en est qu'une imageimparfaite, temporelle, où rien n'est jamais stable.

Notre monde est marqué par la diversité (poikilia [en grec]) -ceque Platon attribuera aussi à la démocratie péjorativement.

Ce terme est ici sous- jacent quand Socrate emploie lestermes "mêlé" et "varié".

Dans un tel monde, l'âme est déroutée, elle perd l'intelligence (nous [en grec]), et setrouve réduite aux apparences, donc à l'opinion (doxa [en grec] ), bien inférieure, tant épistémologiquement que,donc, ontologiquement, au discours raisonné (logos [en grec]).

Ainsi se développe cette comparaison entre leregard de l'oeil et celui de l'âme, qui ont besoin pour s'effectuer correctement, de lumière/vérité. *** La question est à présent : d'où vient cette vérité? Ou encore, quelle en est la source? C'est alors que lacomparaison effectuée par Socrate va présenter tout son intérêt, car c'est seulement maintenant que laconnaissance va trouver son fondement.

Effectivement, la réponse de Socrate est la suivante : tout comme lalumière a pour source le soleil, la vérité a pour source "l'idée du bien".

Voici donc le fondement de la connaissance,puisque Socrate dit de cette idée "qu'elle est la cause de la science et de la vérité, en tant qu'elle est connue".

Lerapport entre l'idée du bien et les "objets connaissables", est un rapport, dit le texte, de "communication" et de"cause", tout comme Mercure est le messager des dieux et que le soleil est la "cause" de la lumière.

Or ce qui est lemoyen de cette communication, c'est la vérité (comme lumière).

Voici donc un indice pour découvrir ce que sontces objets que "voit" l'âme.

Socrate dit dans cette partie "objet connaissable", et il parlera à la fin de la troisièmepartie d'"essence".

Nous pensons donc pouvoir déterminer, à partir de ces caractéristiques ("visibles","connaissables"), que Platon songe ici à l'eidos [en grec] des choses, leur essence ou Idée.

C'est ici que s'imposeune remarque grammaticale qui mettra en lumière ce que nous avons dit de l'importance du "voir" chez les grecs.

Eneffet, "eidos" [en grec] est l'aoriste 2 du verbe oraô [en grec], voir.

C'est dire à quel point l'analogie entre l'âme etl'oeil est essentielle, et pourquoi il ne faut surtout pas y voir une simple métaphore rhétorique ou poétique.

Nousavons ici affaire à une véritable "théorie" de la connaissance.

Et précisément "théorie" veut dire contemplation, etmieux encore theoria [en grec] peut se décomposer en theos, le Dieu, et oria, de la vue.

La théorie consistejustement à voir les dieux, dans leur aspect lumineux, brillant.

Or on sait que Platon a développé une véritablethéologie céleste, où les étoiles (lumineuses) sont pensées comme les essences, les astres errants comme le dieuxeux-mêmes, et enfin le soleil, comme l'indique notre texte, comme l'idée du bien.

Ainsi avons-nous tous les élémentsde l'analogie essentielle présentée ici par Socrate : l'oeil, la lumière, les objet (vus) et le soleil entretiennent lemême rapport que l'âme, la vérité, les objets (connaissables, les essences) et l'idée du bien.

Et l'on peut ajouter quel'oeil et la lumière, l'âme et la vérité, appartiennent au monde terrestre (qu'Aristote appellera "sublunaire") tandis quele soleil et les étoiles, l'idée du bien et les essences, appartiennent au monde céleste (qu'Aristote nommera"supralunaire").

Platon, pour désigner ces deux mondes, parle ici de "monde visible" et "monde intelligible", mais ilfaut bien voir que "visible" ici n'a plus son sens métaphorique : il ne vaut que pour l'oeil, non pour l'âme.

EnfinSocrate précise cette sorte de "géographie épistémique" en distinguant scrupuleusement "l'idée du bien" de la vérité. »

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