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« Faut-il mieux se perdre dans le désir qu'avoir perdu tout désir ? »

Publié le 22/02/2012

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Introduction : « J'avais risqué ma vie et j'avais gagné. De nouveau, j'étais un homme. », s'écrie le héros du Joueur de Dostoïevski. Mais comment considérer le joueur ? Est-ce un homme volontaire, déterminé, prêt à tout sacrifier pour arriver à ses fins, ou le jouet de son désir ? Le joueur ne perd-il pas plus qu'il ne gagne à se livrer aveuglément au jeu, à commencer par lui-même ? Notre rapport au désir semble tout à la fois complexe et ambigu, puisqu'en son sein se joue notre rapport au bonheur. Si nous désirons tous, en effet, être heureux, le bonheur n'a pas pour nous de signification univoque. Le désir est-il le moteur nous menant sûrement au bonheur ? Devons-nous pour ce faire satisfaire nos désirs, leur lâcher la bride et nous laisser galvaniser par leur puissance déchaînée ? En satisfaisant aveuglément nos désirs, nous nous égarons, nous nous aliénons et récoltons souffrances et insatisfactions. Le bonheur ne saurait être à ce prix. Aussi, plutôt que de subir nos désirs, ne faut-il pas mieux chercher à s'en défaire puisque ceux-ci sont synonymes de troubles et ruinent la quiétude de l'âme ? Mais comment éradiquer nos désirs ? Comment faire taire en nous ce manque, ce mouvement qui nous porte vers une chose ou un être que nous imaginons ou savons être source de satisfaction ? Il semble impossible d'en finir avec le désir, puisque le seul fait de désirer ne plus désirer est encore un désir ! Et quand bien même, si nous pouvions perdre tout désir, ne plus rien désirer pour ne plus être affecté, le bonheur ne deviendrait-il pas ennui ? Nous nous trouvons alors face à un choix impossible où aucune des deux alternatives n'est tenable : le bonheur n'est ni dans l'abandon aux désirs, ni dans leur éradication totale. Il nous faudra donc déterminer tout d'abord, si notre condition humaine se résume à cette aporie tragique : l'aliénation dans la soumission aux désirs, ou l'ennui. Toutefois, cette difficulté n'est-elle pas le fruit d'une méconnaissance et d'une confusion des désirs ? Il semble, en effet, que tous nos désirs ne soient sur le même plan : certains concernent davantage le corps et sont source de plaisir sensuel, alors que d'autres s'adressent à notre esprit et suscitent des plaisirs intellectuels. C'est la raison pour laquelle, nous nous demanderons, dans un second temps, si une maîtrise rationnelle et raisonnable de nos désirs nous garantirait le bonheur. Quel désir faut-il dès lors satisfaire pour atteindre la quiétude, le bonheur ? Cependant, il convient de remarquer que si le désir non assouvi représente une souffrance, un manque et une frustration liés à l'insatisfaction, l'accomplissement du désir est aussi une tragédie, puisque le désir assouvi laisse sa place à un nouveau désir qui engendre la même insatisfaction. Dès lors, le désir apparaît toujours en quête de ce qu'il n'a pas, parce que l'insatisfaction renaît inlassablement après la satisfaction. Le désir est naturellement inquiet de ce dont il manque, il est impossible quiétude. Il serait alors opportun pour finir d'interroger la légitimité de notre conception du bonheur : pourquoi le bonheur serait-il absence de troubles ? Pourquoi le bonheur passerait-il par la distinction et la maîtrise de nos désirs ?

« B) Perdre ses désirs est impossible.Le désir semble donc être davantage un obstacle à une vie heureuse, que son élément même.

Il ne laisse jamais enpaix, en proie aux désirs, nous sommes constamment inquiets, troublés.

Si le bonheur est un état de quiétude, desatisfaction totale et de durable de mon être, comment donc éviter les troubles tant de l'âme et du corps ?Epictète dans ses Entretiens reconnaît que : « ce n'est pas par la satisfaction des désirs que s'obtient la liberté,mais par la destruction du désir.

» En effet, la satisfaction des désirs est synonyme d'aliénation, d'assujettissementà un tyran toujours insatisfait et jamais rassasié.

Il semble plus prudent, plus raisonnable de se défaire totalementde ses désirs.

Comment dès lors éradiquer le désir ? Epictète nous conseille alors au § 8 de son Manuel : « Nedemande pas que ce qui arrive comme tu veux.

Mais veuille que les choses arrivent comme elles arrivent, et tuseras heureux ».

Il s'agit donc de chercher à modifier ses désirs plutôt que l'ordre du monde, en comprenant qu'« il ya ce qui dépend de nous, il y a ce qui ne dépend pas de nous.» Manuel §1.

Pour atteindre l'ataraxie, la paix del'âme, qui nous garantira l'apathie, il ne faut pas désirer des choses qui ne dépendent pas de nous, c'est-à-dire quine relèvent pas de notre propre jugement ; et accepter avec détachement ce que le destin nous envoie.Toutefois, ce projet de suppression totale des désirs ne va pas sans soulever quelques problèmes.

Tout d'abord,l'éthique stoïcienne nous propose d'exercer justement notre volonté afin de maîtriser nos désirs.

Mais n'y a-t-il paslà une confusion entre le désir et la volonté ? Notre volonté est-elle véritablement opérante sur nos désirs ? Enoutre, ce projet n'est-il pas incohérent ? En effet, désirer ne plus avoir de désir, c'est encore un désir ! Cetteentreprise n'est donc pas logiquement possible.

Enfin, privé de tout désir, ne nous s'exposons-nous pas à l'ennui ?Comme le souligne Pascal, dans ses Pensées : « Ennui.

Rien n'est plus insupportable à l'homme que d'être dans unplein repos, sans passion, sans affaire, sans divertissement, sans application.

» Nous devons effectivementreconnaître, que l'homme est avant tout un être désirant, à la différence de l'animal, il n'a pas que des besoins.

Luiôter le désir, n'est-ce pas l'amputer d'une partie de son être et le condamner à une inactivité, à une passivitédouloureuse ? L'idéal apathique ne semble donc pas correspondre adéquatement à la nature humaine qui, requiert leprojet, la création, l'action dont le désir est souvent le moteur.Sommes-nous alors face à une aporie insurmontable ? Animé par le désir, l'homme risque d'y succomber ; maissupprimer tout désir, c'est sombré dans l'ennui ! C) Signification de cette aporie.Cette aporie résume en quelque sorte l'impasse de la condition humaine.

Nous pouvons en conclure avecSchopenhauer, dans Le Monde comme volonté et comme représentation, que : « la vie donc oscille, comme unpendule, de droite à gauche, de la souffrance à l'ennui.

» Puisque le désir naît d'un manque, tant qu'il n'est passatisfait, il est souffrance, carence.

Or, la satisfaction n'est jamais que de courte durée et le désir, insatiable, faitréapparaître la souffrance du manque.

Quand bien même le désir n'aurait pas d'objet sur lequel se porter, c'estl'ennui qui apparaîtrait alors. Transition : mais la condition humaine se résume-t-elle à ces extrêmes que sont la souffrances et l'ennui ? Cetteradicalité de l'aporie n'est-elle pas due à une méconnaissance du désir ? En cherchant à distinguer nos désirs, nepourrait-on pas faire disparaître ce dilemme ? II) Reformulation de l'alternative : satisfaire des désirs vains et se perdre, ou satisfaire des désirs naturelset nécessaires, et être heureux. A) Le bonheur requiert la connaissance de nos désirsPlutôt que de condamner radicalement nos désirs, ne serait-il pas possible de leur appliquer une gestion rationnellequi permettrait d'en prévenir les excès ?Si l'homme est malheureux c'est, selon Epicure, parce qu'il est la proie de deux fléaux que sont le désir et la peur.Pour les éviter, il convient tout d'abord de connaître leurs causes, sur lesquelles nous pourrons alors agir.

Un espritqui comprendra que ses peurs ou ses désirs ne sont que des productions erronées de son imagination, en seradélivré et retrouvera le bonheur, l'ataraxie, l'absence de trouble de l'âme.

Seule une raison vigilante, rejetant lesopinions vaines, peut procurer une vie heureuse.

Nous saisissons dès lors toute la dimension thérapeutique de laphilosophie épicurienne, qui vise à guérir l'âme et par conséquent à la rendre heureuse.Il ne s'agit pas d'en finir avec tous les désirs, mais seulement de ne pas céder à ceux qui sont superflus.

Commentdonc distinguer les désirs superflus des désirs nécessaires ? B) Distinction des désirs pour ne pas se perdre dans le labyrinthe des désirs« A propos de chaque désir il faut se poser cette question : quel avantage résultera-t-il pour moi si je le satisfais,et qu'arrivera-t-il pour moi si je ne le satisfais pas ? », nous conseille Epicure, dans les Sentences vaticanes, 71.

Cecritère est donc l'utilité du désir par rapport au bien, au plaisir.

Le vrai plaisir est synonyme de bonheur pour Epicure,au double sens d'aponie et d'ataraxie.

Ce qu'Epicure nous enseigne c'est donc comment retrouver ce plaisir naturelet sans excès que nous indique la nature, alors que nous nous sommes égarés dans la recherche de désirs artificielset de plaisirs superflus.

Tout l'enjeu est donc de ne plus se perdre dans les plaisirs superflus, littéralement dans leluxe, dans ce qui est déviant.

Grâce à cette tripartition des désirs, Epicure nous montre la voie du plaisir naturel quirend possible le bonheur, en satisfaisant uniquement nos désirs nécessaires et naturels. C) Limite de cette distinctionSi en distinguant nos désirs nous échappons à l'auto-contradiction inhérente au désir de ne plus désirer, le problèmereste cependant entier : le désir, d'une part, renaît sans cesse.

Il est comparable en cela au tonneau des Danaïdes,qui ne sera jamais plein, du fait de son absence de fonc.

Nous sommes condamnés à l'inquiétude : plus nouscherchons à être en paix, à être tranquille, plus cela nous inquiète.

Plus nous désirons être heureux, moins nous. »

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