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La science peut-elle atténuer la souffrance de l'homme ?

Publié le 11/12/2009

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 La science, si l'on observe ses applications et ses techniques, se montre souvent capable d'atténuer la souffrance de l'homme : une anesthésie lors d'une opération, la prescription de morphine contre les douleurs, sont autant d'exemples de savoirs (techniques, chimiques, etc.) acquis par la science et utilisés en vue d'atténuer la souffrance de l'homme. On pourrait alors répondre sans hésiter que la science peut effectivement atténuer la souffrance de l'homme.

 

Cependant, une première objection est à faire ici : la "souffrance" est quelque chose de beaucoup plus large que la simple douleur physique. La douleur désigne une sensation momentanée (même si une douleur peut durer longtemps), elle est physique (j'ai mal au ventre, à la tête, etc.). La souffrance, elle, a un caractère beaucoup plus large : elle peut être physique certes, mais aussi et plus souvent elle déborde le physique : elle est psychologique, morale, voire existentielle. On souffre de folie, de névrose ; on souffre lorsqu'on est accablé de reproches ou de regrets ; on souffre d'être homme. C'est en ce dernier sens, qu'il nous faudra préciser, que l'on peut distinguer  la souffrance "de l'homme"  des souffrances des autres vivants, une souffrance spécifique à une "condition d'homme". Nous y reviendrons. Quoiqu'il en soit, la souffrance n'est pas réductible à la douleur. Ainsi, la science peut bien atténuer la douleur, mais qu'en est-il de la souffrance, et en particulier de la souffrance proprement humaine ?

Une seconde objection doit être formulée : dire que les médicaments ou les applications techniques de la science atténuent la douleur ne suffit pas à montrer que la "science" peut faire de même. Car la science, c'est aussi autre chose que ses applications et ses productions médicamenteuses, applications qui sont d'ailleurs loin de viser toujours la diminution de la souffrance humaine (l'invention scientifique de la Bombe H en est une illustration). La science est plus généralement définie comme un savoir ("science" vient du latin scire, qui signifie savoir) ou ensemble de savoirs théoriques qui cherche à produire sur les choses (le monde, l'univers, les vivants, les nombres) un discours vrai, cohérent (cad qui ne se contredit pas), consistant (qui ne contient ni trop ni pas assez de propositions) et objectif (qui est conforme à la réalité). La science adopte pour cela un point de vue extérieur aux choses qu'elle étudie : or comment ce point de vue extérieur aux choses pourrait-il être compatible avec la dimension de ressenti intérieur de la souffrance ? On peut certes ouvrir un corps, le disséquer et l'observer, mais pourra-t-on jamais y découvrir la souffrance humaine, et les moyens de l'atténuer ?

 

Le problème peut alors être formulé ainsi : comment une activité théorique et objective telle la science peut-elle avoir une action sur une des choses les plus subjectives qui soient, à savoir la souffrance. Ceci nous conduira à nous poser une autre question : à supposer que la science soit capable d'atténuer la souffrance, le doit-elle toujours et à tout prix ? Et ne risque-t-elle pas d'engendrer de nouvelles souffrances ?

« dépend pas de nous, c'est pourquoi il est vain de s'attacher à celui-ci comme si son existence dépendait de nous : ilfaut, dit Epictète, considérer que la mort d'un proche est semblable à ce qui se passe lorsqu'un objet se brise, niplus ni moins. Epictète montre ici une voie qui est celle de l'ascèse, c'est-à-dire la voie que doit emprunter celui qui veut se rendre libre, autonome et maître de lui-même.

Cette ascèse est un entraînement constant, qui consiste avant toutà ôter à nos représentations (par exemple, notre représentation de la mort) la force qu’elles ont sur nos jugements.Cette démarche implique de faire la part entre ce qui dépend de nous et ce qui ne dépend pas de nous : ce savoirdoit alors permettre à l'homme de cesser d'être soumis aux caprices du sort et des événements extérieurs qui le fontsouffrir.

Car il sait désormais que cela ne dépend pas de lui, et qu'il lui faut accepter que ces choses arrivent, comme elles arrivent, ce qui est aussi comme le veulent les dieux. Un tel savoir, qui est une discipline de l'esprit, une ascèse, permet de montrer que la science (prise ici au sens large de "savoir théorique et pratique") peut atténuer la souffrance de l'homme, au point même de la faire disparaîtresi l'homme parvient à être absolument indépendant des choses extérieures.

II .

La science ne peut détacher l'homme de sa souffrance Dans ce qui précède, on assiste à un détachement progressif de l’homme par rapport à sa souffrance : chaque jour,en apprenant à contrôler nos désirs, nos jugements, et nos représentations, l’on devient de plus en plus indifférentà ces souffrances qui ne dépendent pas de nous.

On se rend maître de soi, puisqu’il ne dépendra plus que de nousde souffrir ou non.

Si je décide de considérer que la mort est un scandale et non quelque chose qui doit arriver , je décide, moi seul, de souffrir.

Le savoir me permet donc de choisir de ne pas souffrir, de maîtriser et faire disparaîtrema souffrance.Pourtant, de cette façon de concevoir la souffrance, il semble découler que la souffrance n’est qu’une question dejugement et de savoir.

Autrement dit, la souffrance ne serait pas réellement dans les événements, ou dans l’homme,mais elle serait dans notre façon de juger des événements et de nous-mêmes.

Or, même s’il est vrai que ramener,par le jugement, les événements à un ordre naturel (ramener la mort à quelque chose de naturel, qui doit arrivernécessairement) permet d’atténuer parfois la souffrance que l’on éprouve, cela ne saurait en aucun cas l’atténuer« complètement », cad la faire disparaître.En effet, la science (ou le savoir de manière générale) a un effet limité sur la souffrance de l’homme.

D’où vientcette limite ? Elle vient du fait que la souffrance, justement, n’est pas réductible à notre seul jugement.

Il ne suffitpas de se dire que la mort est naturelle pour que la souffrance cesse.

Pourquoi ? Pourquoi le seul fait de raisonner et de bien juger est-il insuffisant ? C’est parce que la souffrance est avant tout quelque chose de réel, qui existemême hors de mon jugement.

La souffrance prend place dans la réalité, dans le rapport de l’homme au monde.J’aurais donc beau juger qu’un événement X n’est rien pour moi, il reste qu’il a bel et bien lieu ; il reste que j’yassiste et y participe en tant qu’être humain.

La souffrance est donc d’abord et toujours dans les choses,indépendamment du jugement que j’en ai.On peut se demander ce qui justifie cette réalité de la souffrance : pourquoi n’est-ce pas que dans mon imaginationque je souffre (par exemple quand je m’imagine que j’aurais pu faire que quelqu’un ne meure pas) ? Si la souffrancen’est pas seulement de l’ordre de la pensée et de l’imagination, c’est parce qu’elle relève de l’existence, de lacondition même de l’homme.

Qu’est-ce que l’homme ? C’est un être qui vit dans un monde sans pouvoir maîtriser cemonde.

L’homme « est un rien perdu entre deux infinis », écrit Pascal dans Les Pensées .

L’homme est en effet entre l’infiniment grand, auquel il ne peut atteindre (l’infini de l’univers) et l’infiniment petit.

« Car enfin, écrit Pascal,qu’est-ce que l’homme dans la nature ? Un néant à l’égard de l’infini, un tout à l’égard du néant, un milieu entre rienet tout.

Infiniment éloigné de comprendre les extrêmes, la fin des choses et leur principe sont pour lui invinciblementcachés dans un secret impénétrable, également incapable de voir le néant d’où il est tiré, et l’infini où il estenglouti ».

L’homme ne peut comprendre d’où il vient, ni pourquoi il est là.

C’est pourquoi Pascal peut écrire : « lesilence de ces espaces infinis m’effraie ».On pourrait objecter que la science aide à comprendre le monde, et notre origine : mais n’est-ce pas là une quêtetrop prétentieuse ? N’est-ce pas chercher à savoir ce que l’on ne peut que supposer ou croire ? « les hommes sesont portés témérairement à la recherche de la nature, comme s’ils avaient quelque proportion avec elle.

C’est unechose étrange qu’ils ont voulu comprendre les principes des choses, et de là arriver jusqu’à connaître tout, par uneprésomption aussi infinie que leur objet ».

L’espoir qu’ont les hommes de percer les secrets de la nature est ici réduità néant par Pascal, car il n’y a pas de commune mesure entre l’homme et la nature : le premier est fini, la deuxièmeest infinie. Comme il est présomptueux, dès lors, de prétendre parvenir à comprendre « tout » ! C’est se prendre pour Dieu, puisque l’homme a alors la prétention d’avoir une connaissance infinie.

La science donne donc l’illusion qu’elle pourra combler le néant et l’infini qui entourent l’homme, mais ce n’est qu’une illusion.

Jamais la science nefera taire ce « silence » des espaces infinis qui effraie et fait souffrir l’homme.Ce n’es pas un savoir mais une croyance qui permet d’atténuer cette souffrance : la croyance en Dieu.

Car croire enDieu est une façon de comprendre le monde comme étant le résultat de la toute-puissance de Dieu.

Ce ne seraitdonc pas la science, mais la religion qui pourrait atténuer la souffrance de l’homme.

III.

Souffrance et technique. »

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