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L’IMAGINAIRE (cours de philosophie)

Publié le 27/01/2020

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philosophie

L’IMAGINAIRE

1. La consistance de l’imaginaire: irréel et rêverie

2. L’élaboration de l’imaginaire :

l’art comme réalisation de l’irréel.

Les périls de l’illusion artistique 3. Imaginaire et vérité.

Cette liberté de neutralisation, condition de son apparition, fait problème. Sans elle point d’imaginaire certes, mais est-elle la liberté d’imaginer? La question parait alambiquée et la réponse toute prête, et positive. La conscience peut suspendre ses intérêts pour le réel parce qu’elle est libre et elle manifeste assez cette liberté en combinant des associations «impossibles réellement» telles que la chimère, le sourire du chat sans chat, etc. Descartes a donné un nom à ce type de productions, il les appelle idées factices pour les opposer aux idées innées et adventices : celles-ci s'imposent à moi soit qu’elles adviennent de l’extérieur, soit que Dieu les ait mises en moi. Dans les termes de la 111° Méditation :

« Or de ces idées, les unes me semblent être nées avec moi, les autres être étrangères et venir de dehors, et les autres être faites et inventées par moi-même... Enfin il me semble que les sirènes, les hippogriffes et toutes les autres chimères sont des fictions et inventions de mon esprit ».

Faire, inventer : au sens fort du terme qui signifie en quelque sorte une création et exclut par conséquent d’avance toute contrainte. Feint, l’imaginaire manifeste cette même liberté qui permet au philosophe dans la Première Méditation de forger la toute-puissante fiction du malin génie, image de la toute-puissance du pouvoir de neutralisation humain. Donc point d’imaginaire sans liberté, et celle-ci est la liberté d’imaginer, sans doute la liberté la plus extrême dont jouisse l’homme, puisqu’elle ne rencontre même pas l’obstacle du réel neutralisé d’avance.

Beaucoup de liberté donc, cette liberté dont l’artiste, professionnel de l’imaginaire, est le modèle : ne crée-t-il pas un monde, son monde ? Mais être libre c’est plutôt être libre de, être libre par rapport à : même Dieu n’est libre que par rapport à ce monde qu’il peut encore ne pas tirer du néant, à moins de prétendre contradictoirement que le néant soit quelque chose, donca fortiori la liberté découverte dans l’imaginaire est elle aussi relative à. L’identification est facile à faire: le terme dont l’imaginaire affranchit est bien entendu la réalité : l’artiste peut créer un monde, le sien, parce qu’il est libre vis à vis des contraintes du monde réel. On pourrait immédiatement contester cette thèse, quelque peu romantique, en rappelant la thèse classique de l’art imitation de la nature, et donc mettre en question la prétendue indépendance de l’imaginaire par rapport au réel. Mais, ce type d’argumentation resterait faible : la nature, objet de l’imitation, n’est pas le réel pur et simple, elle implique une stylisation, une sélection, c’est à dire le rejet de bien des sujets réels, comme si toute réalité n’était point digne d’entrer dans le monde de l’art classique. Il vaut mieux se demander, hors toute approche théorique de la production artistique, si une expérience universelle, car commune à l’artiste comme au profane, ne permet pas une approche plus précise de cette liberté, coextensive, semble-t-il, à l’imaginaire.

Cette expérience doit être conforme aux conditions de la neutralisation de la conscience, puisque c’est elle qui a permis une relative isolation de l’imaginaire. Mais loin qu’il s’agisse d’une difficile opération intellectuelle

- « Bien ! J’ai souvent vu un chat dépourvu de sourire, pensa Alice, mais un sourire sans chat 1 Voilà la chose la plus curieuse que j’aie jamais vue de ma vie. »

(L. Carroll, Alice au pays des merveilles (1865), Penguin books, The anno-tated Alice 1965, pp. 90-91).

Un sourire de chat alors qu’il n’y a plus de chat : le «nonsense» réside dans le fait de sa visibilité Inouïe, c’est-à-dire inhabituelle. Comme pour le carré rond il n’y a pas d’incohérence mais seulement rapport contradictoire avec ce que l’on rencontre d’ordinaire dans le réel. La relation de complémentarité avec celui-ci est évidente : le non-sens logique ou le «nonsense» tirent leurs significations gênantes ou piquantes de la prévalence du sens réel ou du sens du réel avec lequel ils creusent un écart. Dans ces conditions, il serait inexact de leur donner une consistance par soi : postérieurs au réel, ils n’en sont qu’une négation après-coup, œuvre de l’amour du paradoxe, sérieux ou plaisant. L’imaginaire n’est-il pas lui aussi comme ces non-sens, une variation autour du réel, donc non point de l’irréel au sens absolu du terme, mais une variété complémentaire de celui-ci, dépourvue de réalité propre, tout comme l’ombre ou la silhouette par rapport au corps sans lequel elles n’existeraient pas ?

Pour répondre à la question, on peut se placer à l'intérieur de la conscience élaborant pour son propre compte les expressions dépourvues de sens telles que le sourire du chat du Cheshire ou le carré rond. Il est facile de voir qu’elles ne requièrent point l’annihilation du monde réel ou l’appel à un autre monde où les carrés seraient ronds et les sourires immatériels. Point n’est besoin de « néantiser » le monde, il suffit de neutraliser la visée d’objet propre à la perception intéressée au monde : Husserl appelle cette dernière «thématisation ». Quand donc la conscience cesse d'accorder objectivité au monde qu’elle vise sur le mode de la perception, du souvenir etc., celui-ci ne disparaît point pour autant dans on ne sait quel néant, sauf à penser que le monde est l’œuvre de la conscience, sa création : on peut certes le dire mais non de la réalité objective, c’est ce qui arrive lorsqu’on évoque les créations d’un artiste ou le « monde » dans lequel est enfermé tel ou tel type d’aliéné. Sans aller aussi loin, il suffit de remarquer, qu’une fois suspendue l’objectivité du monde, celui-ci ne s’anéantit point mais reste tel qu’auparavant, à ceci près : les identités et les différences, les liaisons et les dissociations perceptives qui assurent au spectacle sa cohérence et son organisation perdent leur nécessité; elles peuvent continuer de s'imposer, mais une espèce de liberté de les associer autrement se fait jour sans doute parce que la nécessité qui les imposait était liée à l’objectivité du monde perçu. Ici le carré rond est possible, ou encore la chimère, car la logique du principe d’identité ou de non-contradiction qui régit, non le monde, mais son appréhension objective, est suspendue. Dire qu’il s’agit d’impossibilités, c’est les rapporter à cette logique comme si elle était universelle. En fait, ces impossibilités réelles sont des possibilités imaginaires : elles sont irréelles, mais ce terme négatif induit une comparaison qui masque leur positivité ; la chimère n’est pas du non-être, sauf du point de vue qui identifie être et réalité. Identification au reste légitime si l’on se place du point de vue des jugements déterminants : la réalité devient une modalité du jugement, il s’agit du jugement assertorique ou d’existence réelle, par opposition aux jugements portant sur la nécessité d’une liaison (catégorique) ou sur sa possibilité (hypothétique). Mais qui parle ici de juger? la chimère n'est pas irréelle, elle est même impossible, pourtant elle est, mais par-delà les liaisons du jugement. Elle naît à l’intérieur d’une conscience qui a suspendu, comme c’est son pouvoir, la thèse d’objectivité du monde, et son investissement logico-épistémologique.

Comme le langage est aussi logos, donc implique rationalité il a partie liée plutôt avec la réalité qu’il permet de manipuler à distance (cf. le parallèle du mot et de l’outil). Aussi oblige-t-il la réflexion sur l'imaginaire à passer par un vocabulaire négatif: l’irréel, l’impossible, le chimérique, le «non-sense» etc. Mais ceci ne doit point voiler cela : l’explicitation de l’imaginaire, nécessairement logique et objectivante, n’interdit point la pensée de l'imaginaire comme d’une autre réalité, donc d’une réalité obéissant à une autre logique, et révélatrice d'une autre pensée. Nous en avertirait si besoin en était l’usage poétique du langage : si les poètes renoncent au discours apophantique ou déclaratif même lorsqu’ils écrivent des poèmes scientifiques (Lucrèce par exemple) ou descriptifs (Virgile et les travaux des champs dans les Géorgiques) c’est parce que l'écriture poétique suspend les exigences auxquelles répond le traité, celles de l’objectivité en particulier. Quelle erreur monstrueuse ce serait d’aborder en termes négatifs la pensée poétique : ce ne serait pas la réduire à son expression « prosaïque » (le poète veut dire que, etc.), car la prose se prête à usage poétique, mais ce serait la confronter contre son gré à l’expression scientifique, alors qu’elle parle à l’extérieur de celle-ci. Certes on ne pourra changer les habitudes du langage et donc renoncer à qualifier l’imaginaire par des termes négatifs, mais cela n’aura plus d’importance tant que l’on n’oubliera pas que l’imaginaire suppose la suspension de toute thèse d’objectivité et donc avec celle-ci la levée des conditions de la modalité du jugement évoquées ci-dessus.

La neutralisation de la thèse d’objectivité a pour présupposition la liberté de la conscience vis à vis de ses engagements dans la réalité. Liberté non point morale ou politique, voire de croyance, mais possibilité totale de se dégager de tous intérêts à l'égard de la réalité : en ce sens il s'agit de la même liberté que celle à l’œuvre dans le doute cartésien, mais avec une restriction capitale : le retrait cartésien est polarisé par la recherche de quelque chose de ferme et d’assuré dans les sciences, donc par un intérêt épistémologique pour la vérité. Ici au contraire la suspension s’exerce à l’égard de tout intérêt : non seulement la réalité du monde est mise hors circuit, quoique pas plus affirmée que niée, mais la vérité elle-même disparaît en tant que thème de recherche. L’imaginaire ne sera donc pas plus réel ou irréel que vrai ou faux.

philosophie

« 1.

La consistance de l'imaginaire: irréel et rêverie.

L'imaginaire, l'étymologie semble l'indiquer, renvoie à l'image et à l'ima­ gination et donc être inséparable de celles-ci.

Pourquoi dans ces condi­ tions lui réserver un traitement particulier comme s'il avait une consis­ tance spécifique autorisant cette distinction? Le simple fait qu'on le qualifie de substantif devrait déjà retenir l'attention: certes on peut employer le mot comme adjectif pour qualifier des visions, des idées etc., mais l'article défini impose autrè chose.

L'imaginaire ne renvoie pas à une faculté dont il caractériserait les puissances ou même à son «produit» les images, mais il appelle une référence à un autre substantif avec lequel il s'oppose sur toute la ligne comme un registre à un autre registre: le réel, autre adjectif substantivé dont la consistance ne se réfère pas à son tour à une faculté bien qu'employé sans l'article défini il puisse quali­ fier l'objet de la perception.

L'imaginaire est autre que le réel quoiqu'aussi consistant que lui, en son genre, tel est le point de départ de l'enquête.

Comment comprendre cette altérité? Comme négation? En effet dire que le chat n'est pas blanc, c'est affirmer qu'il est autre que blanc, la négation étant simplement l'indication de cette différence.

Si l'imaginaire est autre que le réel parce que non réel, cela signifie simplement qu'il est irréel, et tout se passe déjà moins facilement qu'avec l'exemple tri­ vial du chat: celui-ci pouvait être noir ou roux, il n'en restait pas moins chat; devenu non réel ou encore irrréel, l'imaginaire a-t-il quelque réa­ lité? Ici point non pas l'autre relatif, condition d'énonciation des jugements, mais le néant absolu.

Non-réel, l'imaginaire n'est pas absolument, est peut­ être néant.

Mais alors comment l'opposer comme un registre à un autre registre, ce qui, disait-on, implique une sorte de complémentarité? L'idée de non-sens logique et celle de «nonsense,, poétique peuvent ici être d'un grand secours.

Au non-sens logique correspond l'expression sans signification : par exemple «Vert est ou " pour citer Husserl qui ajoute Abracadabra dont il faudrait remarquer qu'il a toutefois un sens culturel dans les carrés magiques.

Il en va autrement avec «un carré rond" expression bien formée et nullement incohérente, mais qui paraît contra­ dictoire par le rapport qu'elle entretient avec un référent objectif pour­ tant visé par sa signification.

C'est bien le même effet que produit le nonsense chez Lewis Carroll.

Alice le découvre dans l'épisode du Chat du Cheshire: 70 - «J'aimerais que vous cessiez d'apparaître et de disparaître si soudai­ nement : vous me donnez le vertige ! » - «D'accord», dit le chat; et cette fois il disparut très lentement, en commençant par le bout de la queue pour finir par le sourire qui demeura quelque temps après le départ du reste.. »

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