M. MERLEAU-PONTY, Sens et non-sens
Publié le 22/02/2012
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b) Seconde sous-partie (« Kant [...] de l'imagination »).
Qu'est-ce qui montre bien le fossé existant entre l'art et la sphère de la connaissance ? Merleau-Ponty va d'abordfaire référence à Kant qui, dans la Critique du jugement, a fait une analyse perspicace du jugement de goût, lequel est irréductible à un jugement de connaissance.
Dans la « connaissance » — c'est-à-dire dans l'acte par lequel l'esprit se rend présent un objet et s'efforce d'en former une représentation exacte et juste — l'imagination joue bien un rôle : définissons-la comme le pouvoir de représenter dans l'intuition un objet même en son absence (telle est la définition de Kant dans la Critique de la raison pure).
Or, quand il s'agit de connaître, l'imagination détient une mission : former des images, par exemple, de tel ou tel nombre, peut nous être utile pour parvenir au concept de nombre.
Par conséquent, l'imagination s'exerce ici pour l'entendement, pour la faculté des concepts, à laquelle elle est strictement subordonnée.
Au contraire, dans l'art, à savoir dans la création de choses belles, c'est le contraire qui se produit : la puissance conceptuelle a seulement pour but de faire émerger pleinement l'imagination, de donnerson élan à l'imaginaire.
On trouve toujours des concepts dans l'art, mais ils ont pour fin de procurer une satisfactionà travers le jeu de l'imagination.
Si le jugement esthétique était un jugement de connaissance, la spécificité de l'arts'évanouirait.
Explicitons maintenant les données kantiennes.
C'est ce que Merleau-Ponty va faire dans la troisième sous-partie.
c) Troisième sous-partie (« C'est-à-dire [...] sonore »).
Quel rôle jouent exactement « l'idée » — la représentation abstraite à laquelle pourrait se résumer le film — mais aussi les 'faits prosaïques », c'est-à-dire les données réelles de l'expérience dans leur apparence « vulgaire » ou plate ? En eux-mêmes, ils sont occasion, circonstance, tremplin pour un créateur de choses nouvelles qui n'a nullement à les reproduire, mais à les utiliser pour autre chose : comme matière pour des figures symboliques, des formes imaginaires (des « emblèmes sensibles »). L'artiste, s'il est créateur, s'efforcera d'en laisser des traces comparables à un signe d'écriture.
B) Deuxième grande partie (« Le sens [...] éléments »).
Dans cette deuxième partie, Merleau-Ponty s'attache à la nature de l'idée à l'oeuvre dans le film : idée mobile, naissante et non point figée.
On pourrait certes distinguer des sous-parties à l'intérieur de cet ensemble, mais nous préférons ici cheminer de phrase en phrase, la structure étant très souple.
Le sens du film — ce qu'il veut dire — n'est pas réductible à une idée ou à un concept qui transcenderaient ce film et auxquels l'oeuvre cinématographique serait subordonnée.
Puisqu'un film ne consiste pas à nous faire saisir desidées ou des faits, sa signification n'est pas réductible à celle d'une idée transcendante : elle est immanente à son mouvement régulier, à son « tempo », à son déroulement ; que veut dire, exprimer le film ? Il signifie et exprime un message, une idée globale, une éthique, une idéologie, diront certains.
Non, nous montre ici Merleau-Ponty.
Il nerenvoie qu'à lui-même, à des images ou emblèmes; à des symboles, etc.
L'idée — la représentation abstraite — est-elle absente ? Nullement, elle est bien exprimée, mais dans son émergence et sa naissance, comme idée active, se manifestant et apparaissant plus clairement à partir de la «structure temporelle c'est-à-dire de la forme opérant dans la durée, de même que l'oeuvre picturale exprime uneidée à travers une organisation et un ensemble : il ne s'agit point ici d'une idée préformée, rigide, mais d'unereprésentation naissant d'une structure mobile.
Idée et concept ne sont pas, dans l'oeuvre d'art, durcis : ce sontdes notions souples qui émergent et disparaissent, puisque tout est au service de l'imagination.
Enfin, la dernière phrase nous fait accéder au bonheur de l'art », c'est-à-dire à l'état de satisfaction complète, caractérisé par sa plénitude, à la pleine jouissance que nous communique la création de choses belles, laquelles'enracine, non point dans des représentations abstraites stables, ayant pris leur forme définitive, mais dans desstructures mobiles et mouvantes.
N'est-ce pas l'art cinématographique qui signale de la manière la plus remarquablele sens de ce bonheur dynamique, de cet accomplissement attentif aux formes mêmes de la vie ?
Ainsi, pas à pas, Merleau-Ponty a construit sa démonstration.
Nous savons maintenant que le film n'a pas unefonction.
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