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On dit communément que l'art épistolaire se perd. Montrez, en comparant les moeurs actuelles à celles du passé, quels changements peuvent expliquer la différence du rôle de la correspondance aujourd'hui et autrefois. ?

Publié le 15/06/2009

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INTRODUCTION. - On ne saurait nier les progrès de la science et de l'industrie depuis un siècle : quelle différence entre la vie des contemporains de LOUIS-PHILIPPE, qui en étaient encore à la diligence, et celle des Français de 1940, qui se plaignent, par suite du manque d'essence, d'en être réduits à prendre le train ! Mais il ne semble pas que ce progrès matériel ait été doublé d'un progrès littéraire. Sans doute, l'instruction élémentaire est-elle plus répandue; mais il ne paraît pas qu'il y ait eu progrès dans la culture des élites. En tout cas, il est un genre littéraire, dans lequel se manifestait jadis la finesse de l'esprit, qui disparaît peu à peu : la lettre. Pourquoi ? Il ne sera pas bien difficile de le découvrir en comparant les moeurs actuelles à celles du passé. *** Tout d'abord, quelque paradoxal que puisse paraître ce jugement, l'art épistolaire se perd parce qu'on écrit trop. Aujourd'hui, tout le monde écrit. Ils sont bien rares les Français de nos jours qui sont obligés, pour communiquer avec un absent, de faire appel aux bons services d'un ami plus cultivé. Un grand nombre écrivent plusieurs lettres par semaine ou même par jour. Écrire est devenu une besogne ordinaire : ce n'est plus, comme autrefois, un art réservé aux personnes cultivées, et qui le pratiquaient avec le souci et la fierté de bien écrire. Ainsi peu à peu le style épistolaire s'est vulgarisé, se figeant en nombre de formules stéréotypées qui facilitent la besogne des secrétaires mais qui sont la mort du génie littéraire.

« Plus récemment, enfin, la radiodiffusion et les actualités cinématographiques nous font, presque heure par heure, lestémoins des événements qui se déroulent dans le monde entier.

Encore un pas, et la télévision, jointe à l'audition àdistance déjà réalisée, nous rendra présents aux événements eux-mêmes.

Alors la lettre historique et anecdotiquesera presque morte.

*** Nous devons ajouter encore, pour expliquer l'éclipse de la vraie lettre, une évolution profonde des sentiments et dela vie affective.

Sans doute, nous observons de nos jours un altruisme, un intérêt général pour tout ce qui serapporte à l'homme assez rare chez nos ancêtres; mais il semble bien que nous devons noter aussi une baissesensible des affections particulières, les seules qui provoquent le plus de lettres, et les lettres les meilleures.L'ami du genre humain n'est point du tout mon fait, disait Alceste qui avait un ami ou du moins le cherchait.Beaucoup de nos contemporains trouveraient le coeur d'Alceste bien étroit : c'est l'humanité qui les intéresse, maisils n'ont pas d'ami et n'en éprouvent pas le besoin.

L'individualisme a distendu les liens qui attachaient les hommesles uns aux autres.la famille manque de la cohésion de jadis, lorsqu'elle n'est pas parvenue, par l'étape intermédiaire du divorce légal, àla complète dissolution de l'union libre.Autrefois, les intérêts la maintenaient étroitement unie : les enfants héritaient de tout ce qu'il y avait de richessesmatérielles et morales dans leur ascendance et ils ne pouvaient guère compter, comme de nos jours, sur leurcourage ou leur audace, sur l'aide de l'État.La famille ancienne, par suite des conditions sociales de la vie, était fermée sur elle-même : on sortait peu; lesfréquentations étaient choisies et familiales.

De ces contacts prolongés résultait une âme commune que l'on aimaitretrouver dans les lettres des absents.

Aujourd'hui, chaque membre de la famille a ses affaires et ses relationspersonnelles.

« La maison » n'est plus qu'un restaurant où l'on vient prendre un rapide repas; chacun y apporte sesintérêts particuliers, qui rendent les conversations difficiles, quand ils ne les font pas dégénérer en disputes.

Quelleenvie peut-on avoir, quand on est loin, de renouer ces entretiens si pénibles ?La mère elle-même, jadis, était toujours là, pierre angulaire du foyer, prête à recevoir, épistolière de la famille etagence de renseignements.

Maintenant, elle sort elle aussi, car elle a sa vie sociale personnelle et souvent saprofession.

Sa raison de vivre est, bien moins que jadis, les siens.

Aussi, de loin comme de près, se sent-on moinsattiré à revenir au foyer familial.L'amitié fait figure d'anachronisme.

Le réseau des relations sociales s'est étroitement resserré, les groupements sesont multipliés.

Aussi l'homme moderne compte-t-il beaucoup de camarades, s'attribue-t-il nombre d'amis.

Mais ilssont rares ceux qui ont un ami véritable, un être à l'égard de qui on éprouve de la tendresse, dont on veut le biencomme son propre bien ou plus encore, pour qui rien n'est caché et à qui on veut dire — par lettre quand on estabsent — tout ce qu'on pense et tout ce qu'on fait.

Les relations de notre monde actuel sont trop superficiellespour favoriser l'éclosion de telles amitiés.

La lutte pour la vie trop dure pour permettre un attachement désintéressé.« Chacun pour soi » semble bien être la maxime pratique de ce siècle dans lequel on affiche si haut le souci de tous.Ainsi disparaît la lettre et surtout ce qui fait le charme de la lettre : le parfum de sentiments délicats qui court àtravers les lignes, les intuitions du coeur qui suggèrent de si jolies trouvailles de pensée et de style. CONCLUSION. — Ce n'est pas sans tristesse qu'un ami de la culture sonne le glas de la littérature épistolaire.

Ce n'est pas seulement la disparition d'un genre littéraire qu'il déplore; mais il a aussi le regret de voir dans cettedisparition le signe d'un abaissement de l'humain dans l'homme.Aussi ne devons-nous pas nous trop lamenter sur les circonstances qui nous privent d'une grande partie de cettecivilisation matérielle dont nous étions si fiers.

Elles seront, si nous savons nous y adapter, le moyen d'une reprised'une vie personnelle et intérieure, condition d'un renouveau des lettres, et de la littérature épistolaire en particulier.. »

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