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« On mettrait bien du temps à devenir misanthrope si on s'en tenait à l'observation d'autrui. C'est en notant ses propres faiblesses qu'on arrive à plaindre ou à mépriser l'homme. » Que pensez-vous de cette opinion de Bergson ?

Publié le 04/04/2009

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S'il y a une vérité bien établie, semble-t-il, c'est celle que La Fontaine a illustrée dans sa fable de « la Besace « et que résume le proverbe de la paille et de la poutre : nous voyons clairement les défauts d'autrui et ignorons les nôtres.

Jupiter nous créa besaciers tous de même manière. Il fit pour nos défauts la poche de derrière Et celle de devant pour les défauts d'autrui.

Si le pessimisme nous gagne, ce serait donc parce que nous observons, autour de nous, une multitude de défauts et de vices dont l'humanité offre un échantillonnage inépuisable, alors que le contentement intérieur, la satisfaction de soi-même nous porterait aisément à la béatitude. « Que les hommes sont bêtes ! « disent les femmes en se rengorgeant. « Que les femmes sont donc sottes ! « répliquent les hommes en haussant les épaules. « Que l'humanité est méchante! « soupire celui qui se vante de n'avoir jamais fait de mal à une mouche, mais qui laisse la cigale dans la misère. Au dire de Bergson, ce ne serait pourtant pas le spectacle de l'universelle sottise qui ferait naître notre pessimisme, mais la seule observation de notre insuffisance personnelle. Non qu'il récuse tout à fait la première cause, mais « on mettrait bien du temps à devenir misanthrope, si on s'en tenait à l'observation d'autrui «, nous fait-il observer. « C'est en notant ses propres faiblesses qu'on arrive à plaindre ou à mépriser l'homme. « La réflexion est suggestive, elle excite l'intelligence, elle séduit. Devons-nous l'adopter comme une vérité indiscutable? Le philosophe professionnel aurait-il raison contre la vox populi ? Nous examinerons de quelle manière l'observation d'autrui peut conduire à la misanthropie, puis nous chercherons si ce n'est pas plutôt dans l'examen de notre propre conscience que nous trouvons les fondements de notre pessimisme.

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« Un égoïsme sacré nous incline à sourire quand la vie nous est facile, à nous détourner de ce qui pourrait effacernotre sourire et donc à prendre par le bon côté le malheur des autres.

Tout au plus exigeons-nous que la vie soitfacile aussi à nos proches, ceux de notre sang, de notre race, de notre patrie...; encore ne sommes-nous pas trèsexigeants sur ce point, car nous aimons dominer.

Qu'importe que l'enfer s'étale sur les trois quarts du globe! « Leparadis terrestre est où je suis », disait pour nous le cynique auteur du Mondain.

NOS propres faiblesses sont les seules insupportables, Il faut que nous soyons atteints nous-mêmes, dans notre chair, dans nos biens, dans notre liberté, dans nos affections, pour que le pessimisme nous gagne; et, sur cepoint, Bergson a raison.

Nous avons beau savoir que le cancer ronge des dizaines de milliers de Français et lesentraîne inéluctablement vers une mort prématurée, — tant que nous ne nous savons pas cancéreux, nous ignoronsl'effroyable amertume du malade qui observe l'impuissance des médecins, lit sa condamnation dans leurs yeux et —comme le condamné à mort de Ghénier — son bannissement du monde des vivants dans les yeux de ceux « qui leconnaissaient tous avant l'affreux message et qui ne le connaissent plus ».

Nous avons beau savoir que, dans uncamp de concentration, des prisonniers mal nourris, mal chauffés, insuffisamment vêtus, subissent des tortures —tant que nous ne nous trouvons pas captif entre des fils barbelés, grelottant de froid ou de fièvre, dépourvu detoute tendresse, sans secours contre l'isolement, la maladie, la souffrance et la mort, nous ignorons la détressesans nom du bagnard innocent, du héros dont un pouvoir abject voudrait faire un renégat.

La jeunesse aux musclessouples, regorgeant d'énergie, imagine-t-elle le tourment du vieillard qui sent sa mort prochaine? Sauf si l'on porteen soi une âme de Saint-François d'Assise, une âme de rédempteur, on ne connaît vraiment que sa propresouffrance, on n'assume pas celle d'autrui : « Le mal des autres n'est qu'un songe », affirme le proverbe, — unconcept, si l'on préfère.

Pour plaindre l'homme, il faut donc soi-même avoir à se plaindre; et il faut d'abord êtreconduit au mépris, à la haine de soi pour le mépriser ou le haïr. Connais-toi toi-même, recommandaient les sages antiques; fais chaque soir ton examen de conscience,recommandent le prêtre et le pasteur.

Volontairement ou non, pour des desseins que nous n'avons pas à examinerici, ils nous engagent dans le chemin qui, selon Bergson, conduit au pessimisme.

Lorsqu'on cherche à établir le bilanmoral de la journée, on en arrive fatalement à dresser une impressionnante colonne de petites vilenies, surtout sil'on ne montre aucune indulgence envers soi-même, — et l'honneur l'exige.

« Je ne connais pas l'âme d'un criminel,mais je connais l'âme d'un honnête homme, et c'est bien noir », disait en substance Joseph de Maistre.

Gomment nepas devenir amer si nous nous jugeons le soir avec scrupule alors que, durant la journée, nous avons agi sansscrupules? C'est au cours de l'action qu'il faudrait se montrer exigeant avec soi-même, non dans le confessionnal oudans la chambre avant de s'endormir.

Mais l'homme est pris par les nécessités de l'action, il lutte, il « se défend », ilgagne sa vie, il se débat comme il peut dans les à-peu-près, les accommodements, les arrangements, les compromisde l'empirisme quotidien.

Lorsqu'il abandonne cette attitude du travailleur pour prendre celle du janséniste pascalien,du calviniste, du chrétien, du sage, du yogi, quelle amertume! Entre les réalités et l'idéal, entre le relatif et l'Absolu,la différence est si grande qu'il faut beaucoup de bon sens, de « philosophie » pour l'accepter sans écœurement.

Si,venant de quitter Oronte, Alceste, fait retour sur lui-même, peut-il s'accepter? Après avoir affirmé son besoind'absolue sincérité, au cours de sa longue discussion passionnée avec Philinte, il n'a pas pu dire d'emblée à Orontece qu'il pense de son sonnet; il a rusé, il a utilisé la parabole : la politesse s'est imposée à lui; et c'est seulementdans un mouvement de colère - colère contre soi-même aussitôt transformée en colère contre Oronte — qu'il a puextraire sa pensée du fond de son âme et la jeter au nez du gêneur.

Alceste hait « tous les hommes », mais ce n'estpas pour avoir observé chez le meilleur d'entre eux, son ami Philinte, une indulgence coupable, c'est parce que lui-même ne peut parvenir à être celui qu'il voudrait devenir, parce qu'il pèche à chaque instant contre son idéal, etd'abord et surtout en aimant une personne dont il sait qu'elle personnifie le mensonge, la ruse : tout ce qu'ildéteste.

C'est en observant ses propres faiblesses — non celles des autres — que le misanthrope en est venu àplaindre les hommes, à les mépriser; et c'est pour n'avoir pas à s'avouer que lui seul est de trop — la pire injure quel'on puisse faire au Créateur — qu'il fuit « dans un désert l'approche des humains ». Conclusion.

Est-ce a dire que le pessimisme a toujours son origine dans l'examen de soi-même? Certes non.

« J'ai découvert que tout le malheur des hommes vient d'une seule chose, qui est de ne savoir pas demeurer en repos,dans une chambre », a écrit Pascal.

Il savait bien, pour en avoir fait l'expérience durant sa période libertine, que lagrande cause du pessimisme, pour celui que Dieu n'a pas visité, est d'ordre métaphysique : qu'adviendra-t-il de nousaprès la mort? d'où venons-nous? où allons-nous? L'homme désire connaître et il ne peut connaître; il désire êtreheureux et ne peut l'être puisque la mort le menace à tout instant.

Se jette-t-il dans le divertissement? il subit lapire des misères.

Pour le Sartrien2, le pessimisme a une autre cause métaphysique : l'homme est seul, tragiquementseul dans l'univers et, son essence n'étant pas préétablie, il lui faut se définir en existant, en choisissant à chaqueminute sa voie puisqu'il est libre, toujours libre, même dans les pires moments de passion, effroyablement libre, librejusqu'à la « nausée ».

Enfin, une dernière voie mène au pessimisme certains de nos contemporains : ledéveloppement trop rapide du machinisme éveille la peur, peur de « la » bombe, peur de la mécanisation, del'automatisation : l'homme ne se sent plus adapté à l'habitat qu'il s'est bâti.

Réserve faite de ces causesmétaphysiques, économiques et politiques du pessimisme, on conviendra que Bergson avait raison de voir, dans lejugement de soi sur soi, la cause fondamentale du pessimisme.

Lorsqu'il ne peut plus tolérer les autres, l'individu « secontente » de les supprimer; c'est lorsqu'il ne se tolère plus qu'il se suicide et supprime le monde avec lui.. »

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