PASCAL : LA MISERE DE L'HOMME
Publié le 12/07/2011
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Sur quoi la fondera-t-il, l'économie du monde qu'il veut gouverner ? Sera-ce sur le caprice de chaque particulier ? Quelle confusion ! Sera-ce sur la justice ? il l'ignore. Certainement, s'il la connaissait, il n'aurait pas établi cette maxime, la plus générale de toutes celles qui sont parmi les hommes : que chacun suive les mœurs de son pays. L'éclat de la véritable équité aurait assujetti tous les peuples. Et les législateurs n'auraient pas pris pour modèle, au lieu de cette justice constante, les fantaisies et les caprices des Perses et Allemands. On la verrait plantée par tous les Etats du monde et dans tous les temps, au lieu qu'on ne voit rien de juste ou d'injuste qui ne change de qualité en changeant de climat. Trois degrés d'élévation du pôle renversent toute la jurisprudence. Un méridien décide de la vérité. En peu d'années de possession les lois fondamentales changent. Le droit a ses époques, l'entrée de Saturne au Lion nous marque l'origine d'un tel crime. Plaisante justice qu'une rivière borne ! Vérité au-deçà des Pyrénées, erreur au-delà. Ils confessent que la justice n'est pas dans ces coutumes, mais qu'elles réside dans les lois naturelles communes en tout pays. Certainement ils le soutiendraient opiniâtrement si la témérité du hasard, qui a semé les lois humaines, en avait rencontré au moins une qui fût universelle. Mais la plaisanterie est telle que le caprice des hommes s'est si bien diversifié qu'il n'y en a point. Le larcin, l'inceste, le meurtre des enfants et des pères, tout a eu sa place entre les actions vertueuses. Se peut-il rien de plus plaisant qu'un homme ait droit de me tuer parce qu'il demeure au-delà de l'eau et que son prince a querelle contre le mien, quoique je n'en aie aucune avec lui ? Il y a sans doute des lois naturelles, mais cette belle raison corrompue a tout corrompu. Pensées, L.60, S.94.

«
nature ou une science transcendantes.
La même disproportion se trouve dans les causes insignifantes et les
effets catastrophiques de l'amour, symbolisés par le « nez de Cléopâtre », dont la beauté a engendré des
guerres civiles à l'échelle européenne : « S'il eût été plus court, toute la face de la terre aurait changé »
(L.413, S.32).
L'homme est constamment victime d'un chaos qui fait qu'un « je ne sais quoi » a des « effets
effroyables ».
...
CONSÉQUENCE DU PÉCHÉ ORIGINEL
La clé de cette confusion se trouvera dans la théologie augustinienne : le péché originel a fait perdre à
l'homme la référence stable du souverain bien, qui lui servait de norme du vrai et du juste.
Faute de ce repère
fixe, il se règle sur lui- même, sur ses désirs, sur sa fantaisie pour définir les valeurs fondamentales : il fausse
donc d'emblée les règles du jeu et rend sa tentative de trouver la vérité et la justice vaine et illusoire a priori.
Il en résulte une confusion générale : on remplace le souverain bien par tout ce qui plaît à la fantaisie : «
Astres, ciel, terre, éléments, plantes, choux, poireaux, insectes, veaux, serpents, fièvre, peste, guerre, famine,
vices, adultère, inceste (...), depuis qu'il a perdu le vrai bien, tout également peut lui paraître tel » (L.148, S.
181) ; on croirait que Pascal exagère.
Mais ne connaissons-nous pas des personnes qui placent littéralement
leur salut dans les plantes ? Pour la justice, il en va de même : ce qui est juste d'un côté d'une frontière
devient injuste de l'autre (les Pyrénées séparent l'Espagne, où sévit l'Inquisition, de la France, où elle est
rejetée comme tyrannique) ; à partir de Paris, trois degrés en latitude conduisent en Angleterre, dont les lois
diffèrent de celles de France.
Sur les fondements mêmes du droit, les opinions divergent : pour Hobbes,
l'essence de la loi réside dans la volonté du Législateur, pour Machiavel dans l'intérêt du Prince, pour
Montaigne dans la coutume établie.
Bref l'homme a beau croire qu'il connaît la vraie justice, il n'établit qu'un
désordre complet, où la seule règle universelle est qu'il faut vivre selon les lois locales, justes ou injustes.
CONTRADICTIONS DE L'HOMME
Ce constat n'est pourtant qu'une introduction à la misère de l'homme : il suffit à Pascal de déplacer l'intérêt du
caractère dérisoire des efforts de l'homme vers la constance de ses efforts pour faire ressortir l'amer constat de
son impuissance.
L'homme veut établir une juste économie du monde, il n'institue qu'une confusion ridicule.
Mais s'il échoue, ce n'est pas parce que des lois justes n'existent pas, car dans ce cas son échec n'aurait rien
de tragique.
En fait, « il y a sans doute des lois naturelles », c'est-à-dire valables universellement et toujours :
ce sont les lois de Dieu formulées dans le Décalogue.
Le drame, c'est que l'homme cherche la vraie justice ; il
a raison de la chercher puisqu'elle existe, mais il n'y parvient pas, parce qu'il n'en a plus la capacité, et par sa
propre faute.
Faire son malheur soi -même, c'est le principe de la tragédie racinienne.
Le rapprochement
esquissé ci -dessus trouve ici sa limite : Camus constate le désaccord entre le désir de l'homme et l'ordre du
monde, mais cet « absurde » est à ses yeux un malheureux état de fait.
Pascal, lui, remonte à la raison de cet
effet : à savoir l'égoïsme consécutif à la chute originelle : « Nous brûlons du désir de trouver une assiette
ferme et une dernière base constante pour y édifier une tour qui s'élève à l'infini, mais tout notre fondement
craque, et la terre s'ouvre jusqu'aux abîmes » (L.199, S.230).
La misère débouche nécessairement sur la bassesse ou l'avilissement.
La perte du souverain bien conduit
l'homme aux positions les plus humiliantes : il place son bonheur dans des êtres qui lui sont visiblement
inférieurs : « Bassesse de l'homme jusqu'à se soumettre aux bêtes, jusques à les adorer » (L.53, S.86)
(allusion à l'épisode biblique du Veau d'or, aux cultes du Moloch ou des divinités égyptiennes).
C'est pourquoi
le constat de la misère est marqué par un profond pessimisme : « Le cœur de l'homme est creux et plein
d'ordure » (L.139, S.
171).
Il aboutirait inévitablement à l'idée qu'il est impossible que Dieu s'unisse à une
créature aussi vile que l'homme, donc à l'athéisme : « La misère persuade le désespoir » (L.352, S.384).
■ La religion chrétienne retient une part de ce constat ; mais elle n'en conclut pas pour autant que la solution
du désespoir est la bonne, car du fait que l'homme est déchu, misérable et incapable de se sortir de sa
bassesse par ses propres forces ne découle pas qu'il ne puisse en être tiré par une puissance supérieure ; du
fait qu'il ne peut trouver seul le juste et le vrai ne découle pas qu'il ne puisse les recevoir de Dieu.
Le
pessimisme philosophique d'un Montaigne est donc vrai, mais ce n'est qu'une partie du vrai..
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