Quels sont les rapports du réel et de l'imaginaire ?
Publié le 17/01/2022
Extrait du document
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C'est en tout cas la direction où nous engage la psychologie «phénoménologique » de J.-P.
Sartre.
Sartre s'inspire de l'idée husserlienne quetoute conscience est intentionnelle, c'est-à-dire se rapporte à un objet.
Il n'ya pas des perceptions ou des images dans la conscience.
Mais touteconscience est un acte, l'acte de viser quelque chose d'extérieur à elle.
Maperception de ce chat tigré est une façon de viser l'objet.
Mais lorsque monchat tigré n'est pas là et que je l'imagine seulement, il ne faudrait pas croireque ma conscience est devenue passive, qu'elle est habitée par une image del'objet.
Imaginer le chat tigré c'est encore viser l'objet lui-même, mais d'unefaçon différente.
Imaginer un objet, nous dit Sartre, c'est tout simplementpenser à cet objet comme n'étant pas là, c'est poser cet objet comme néant: « Mon image de Pierre, c'est une certaine manière de ne pas le toucher, dene pas le voir, une façon qu'il a de ne pas être à telle distance ; si vive, sitouchante, si forte que soit une image, elle donne son objet comme n'étantpas là.» L'imaginaire, c'est donc le réel lui-même, mais en tant que maconscience le vise comme absent.
Certes il y a dans la conscience «imageante » quelque chose de donné ; une photographie sous mes yeuxlorsque j'évoque mon ami Pierre, des mouvements de colère lorsque j'imaginequelqu'un que je déteste, des modifications de mon corps lorsque je rêve lanuit ; mais cette « matière » ne vaut que comme « analogon », commesymbole à travers lequel ma conscience constitue son objet comme «imaginaire ». Cependant la théorie sartrienne de l'imaginaire se heurte à des difficultés.
Elle explique très bien ce que l'empirismen'expliquait pas : la distinction spontanée du réel et de l'imaginaire (qui correspondent à deux attitudes opposées dela conscience qui, ou bien vise un objet réel, ou bien vise un irréel en « néantisant » l'« analogon » réel).
Mais lathèse de Sartre n'explique pas précisément ce que l'empirisme pouvait expliquer, à savoir la confusion du réel et del'imaginaire dans des états comme le rêve nocturne, les hallucinations par exemple.
Le rêveur et l'halluciné sontdupes de leurs fictions.
On ne peut pas dire que pour eux imaginer soit nier.
Sartre répond que dans le rêvel'imagination s'est en quelque sorte prise à son propre jeu ; nous trouvons ici un témoignage de ce que nous oseronsappeler le préjugé idéaliste de l'illustre philosophe.
Pour lui c'est la conscience elle-même qui se constitue commerêveuse, comme hallucinée ! On retrouve ici la théorie sartrienne, intrépidement idéaliste de l'évanouissement (laconscience décidant elle-même de s'anéantir pour supprimer le monde).
En fait il est trop clair qu'on est rêveur ouhalluciné malgré soi, et que rêveurs et hallucinés vivent leurs délires comme des perceptions.
C'est aux yeuxd'autrui, et seulement aux yeux d'autrui que leurs visions appartiennent au monde de l'imaginaire.Sans doute ne convient-il pas, pour autant, de revenir aux préjugés empiristes et d'admettre l'existence d'un mondeintérieur d'images passives parallèle au monde extérieur des objets sensibles ; il faut même maintenir que le mondeimaginaire se constitue par une activité intentionnelle, par un dynamisme projectif.
Seulement l'intentionnalité encause n'est pas toujours celle de la conscience.
Elle est celle des tendances, de l'affectivité, elle est celle du corps,le plus souvent, comme l'avaient bien vu les philosophes classiques.Ce rêveur qui se croit en train de cueillir des fleurs auprès d'une source bruissante vient en fait d'entendre sonnerson réveille-matin.
Mais sa conscience engourdie est entièrement dominée par l'affectivité, d'où son rêve qui est unvéritable délire d'interprétation.
De même les images hallucinatoires (qui obéissent curieusement aux lois de l'optique,sont réfléchies et déviées par des miroirs) sont l'interprétation délirante de quelque excitation sensorielle.Malebranche et Descartes n'avaient pas tort au fond d'identifier imagination et connaissance sensible.
Il n'y a del'une à l'autre que la distinction d'une illusion particulière à une illusion de l'espèce.
Penser le soleil comme une boulede feu d'un mètre de diamètre qui tourne à une petite distance de la terre, c'est littéralement délirer.
Seulement cedélire est suggéré non par des modifications singulières de mon corps propre (comme le rêve ou l'hallucination) maispar des caractéristiques (position du corps sur la terre, disposition des organes sensoriels) communes à tous lescorps humains en ce monde.Cette façon de poser le problème retourne littéralement la théorie empiriste.
Ce n'est plus l'imagination qui seramène à la perception, mais tout au contraire, si l'imagination est une façon que j'ai de me projeter sur le monde,c'est la perception elle-même qui va se ramener à l'imagination, car je ne perçois jamais le monde tel qu'il est maisbien plutôt tel que je suis.
Pour les empiristes l'esprit part du réel dont l'image n'est qu'un résidu.
C'est le contrairequi est vrai.
L'imagination précède la connaissance objective.
Il n'est pas des vérités premières, il est des mythespremiers.
La connaissance objective est péniblement conquise.
Elle exige une « psychanalyse » des mythes et desillusions spontanées, comme l'a montré Bachelard.
Le réel est le résultat d'un travail.
Le réel c'est l'imaginairesurmonté.Encore faut-il ajouter que l'imagination a son rôle, et non des moindres, dans cette victoire sur l'imaginaire ; à côtéde l'imagination « nocturne », celle du rêve, de la poésie, de la perception, il faut aussi compter celle que M.Bachelard nomme imagination « diurne », celle du savant qui construit des hypothèses.
Là, raison et imagination setrouvent réconciliées ; la construction du possible prépare la connaissance du réel ; l'imaginaire rationnel devient leschéma intelligible du réel..
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