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Suffit-il d'avoir raison pour convaincre ?

Publié le 31/01/2004

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Analyse des termes du sujet :

"avoir raison", c'est dire être dans le vrai, affirmer quelque chose de vrai ;

"convaincre", c'est obtenir l'adhésion d'autrui à ce que l'on dit ;

le verbe "suffire" renvoie à l'idée de condition suffisante : une cause qui permet à elle seule d'obtenir ou de produire quelque chose ; on va donc se demander si le simple fait d'avoir raison permet à lui seul de convaincre ;

Une réponse immédiate : oui, c'est apparemment le cas puisque l'idée de "raison" et l'idée de "capacité à convaincre" sont souvent associées dans la vie courante (celui qui réussit à convaincre, c'est "celui qui sait"). Un problème (qui montre l'insuffisance de cette réponse et la nécessité d'approfondir l'analyse) : mais alors, s'il en était ainsi, tout le monde devrait se laisser convaincre par ceux qui détiennent la vérité, et l'ignorance devrait disparaître presque instantanément de la surface de la terre... Or ce n'est pas le cas.

Que faut-il pour convaincre ? C’est une question très ancienne posée par la philosophie : que l’on pense par exemple à la critique de la rhétorique développée par Platon. On peut réduire la conviction à la persuasion, ou décider de la soumettre à une exigence de vérité. Dans ce cas, dans quelle mesure convaincre produit-il la vérité ? Et, surtout, la conviction peut-elle être obtenue par la simple production de la vérité ? On pourra envisager les contextes de la conviction et de la production de la vérité pour répondre à la question : toute vérité est-elle productible dans n’importe quel contexte (cf. l’exemple de Galilée : il avait raison, mais le monde dans lequel il vivait avait un système de pensée tel qu’il n’a pas convaincu et a même été violemment attaqué). On pourra envisager également les modalités de cette conviction/production de la vérité : y’a-t-il des codes par lesquels on montre que l’on a raison ? Y’a-t-il des règles à respecter, par exemple des règles de composition des textes dans lesquels on cherche à convaincre ? Le sujet réclame donc de prendre un recul critique sur les manières de montrer que l’on a raison, en rapport avec la conviction, pour en comprendre les contextes, les modalités, et finalement fixer la nécessité et plus particulièrement la suffisance du lien entre le fait d’avoir raison et le fait de convaincre.

« 3) le vrai étant universel, il suffit donc de l'énoncer ("avoir raison", donc) pour convaincre, emporter l'adhésiond'autrui. Problème/transition : ce qui est vrai, à peine énoncé, devrait certes être reconnu par tous (dans l'idéal), mais ne l'est pas toujours (dans la réalité).

Il convient donc d'approfondir l'examen. II/ [ point de vue allant dans le sens d'une réponse positive, mais d'un autre point de vue : ] 1) a-t-on donné jusqu'à présent toute sa force à l'expression "avoir raison" ? Si "avoir raison" signifie uniquement"tomber juste", être capable simplement d'énoncer la vérité, alors il est bien vrai que l'on est dans le vrai (par ex.,j'énonce que "la Terre tourne autour du Soleil", ce qui est la vérité).

Cependant cette façon d'avoir raison n'estabsolument pas suffisante pour convaincre : mon interlocuteur peut faire valoir que, au niveau de ce qu'il peutconstater avec ses propres yeux, au niveau des apparences évidentes donc, tout s'oppose à ma prétendue vérité(reprenons l'exemple utilisé plus haut : si je me contente d'énoncer "La Terre tourne autour du Soleil", moninterlocuteur peut très bien ne pas être convaincu et me répondre : "mais ce que l'évidence montre, ce que mesyeux me font voir, c'est que la Terre est immobile et que le Soleil lui est en mouvement puisqu'il se lève à l'Est et secouche à l'Ouest"). 2) mais " avoir raison ", cela ne se limite pas à "tomber juste", à dire la vérité sans savoir pourquoi ni comment on l'atrouvée.

Avoir raison, ce n'est pas seulement énoncer la vérité par un heureux hasard, mais c'est surtout donner lesraisons, apporter la preuve de ce que l'on avance (dans l'exemple pris tout à l'heure, je ne peux parvenir àconvaincre réellement mon interlocuteur que dans la mesure où je lui donne les raisons scientifiques qui prouventque la Terre tourne bel et bien autour du Soleil et qui explique l'illusion dont nous rendent victimes les apparencessensibles ; autre exemple : en mathématique, je ne peux convaincre de la validité du résultat auquel je suis parvenuqu'en exposant la validité de la démarche qui m'y a conduit) ; pour réussir à convaincre, je dois donc permettre àl'autre de reparcourir lui-même les étapes intellectuelles qui conduisent à la découverte de la vérité, je dois faireamener mon interlocuteur à" tomber d'accord de ce que j'avance " (Platon, Gorgias). 3) on peut donc affirmer à nouveau qu'avoir raison suffit pour convaincre, mais en précisant le sens de l'expression"avoir raison" : prise en son sens fort, elle signifie donc être capable d'exposer à l'autre les preuves de ce que l'onaffirme, énoncer la vérité en apportant la preuve de cette vérité.

" Convaincre " aussi, d'ailleurs, ce n'est pasuniquement "obtenir l'adhésion d'autrui", comme nous l'avons affirmé jusqu'ici, ce qui en ferait un synonyme depersuader : " convaincre " c'est amener l'autre à reparcourir le chemin rationnel qui nous a conduits à tenir quelquechose pour vrai.

Et l'on voit qu'Ã la limite "avoir raison" et "convaincre" renvoient à la même exigence : fournir despreuves dont un autre peut vérifier la validité.

Finalement, le premier terme implique le second : on ne peut pas"avoir raison" sans "convaincre", dès qu'on "a raison" (dès qu'on expose la preuve de ce qu'on affirme) il estautomatique de " convaincre " (c'est-Ã -dire d'amener l'autre à éprouver la force de cette preuve - ce qui nousrenvoie à l'universalité du vrai et à l'égale capacité rationnelle des tous les individus). Problème/transition : mais un nouveau problème se pose : pourquoi les scientifiques eux-mêmes, qui disposent des preuves de ce qu'ils avancent, n'arrivent-ils pas, très souvent, à convaincre leurs contemporains (voir par ex.

lecas de Galilée, contraint d'abjurer ses théories par les autorités de son temps) ? S'il suffisait pour convaincre defournir les preuves de ce qu'on avance, aucun scientifique ne devrait connaître le rejet de ses découvertes,expérience qu'ont pourtant vécue tous les plus grands d'entre eux ou presque : Copernic, Galilée, Darwin, Marx,Freud ou Einstein. III/ [réponse allant dans le sens d'une réponse négative : ] 1) la propagation de la vérité par ceux qui "ont raison" ne suffit donc pas pour convaincre, surtout dans les cas oùla vérité blesse notre orgueil ou notre bon sens (au sens courant de ce terme).

Il faut donc supposer que lapropagation de la vérité se heurte à des résistances. 2) elle se heurte en premier lieu à des illusions tenaces parce qu'elles reposent sur des désirs, sur "la réalisation desdésirs les plus anciens, les plus forts, les plus puissants de l'humanité " (Freud, L'Avenir d'une illusion) : le désir parexemple d'être protégé et rassuré.

Si Copernic ou Galilée, qui avaient raison de soutenir la théorie héliocentrique,n'ont pas réussi à convaincre leurs contemporains, c'est parce que l'exposé de leurs arguments s'est heurté à desdésirs plus ou moins inconscients, comme celui de ne pas se voir délogé de la place centrale qu'on croit occuper ausein de l'univers. 3) elle se heurte aussi et surtout à des intérêts, qu'ils soient religieux, politiques ou sociaux.

Dans le cas de Galilée,la théorie héliocentrique qu'il défendait, et qui était non seulement vraie mais aussi démontrée, heurtait les intérêtsde l'Eglise, qui affirmait en suivant les Ecritures Saintes que la Terre était au centre du monde.

Marx de son côtéaffirme dans la préface du Capital : " Dans le domaine de l'économie politique, la libre recherche scientifique ne seheurte pas toujours au même ennemi, comme s'est le cas dans tous les autres domaines.

La nature particulière de lamatière qu'elle traite fait descendre contre elle dans l'arène les passions les plus violentes, les plus mesquines et lesplus haïssables du cœur humain, les Furies déchaînées de l'intérêt privé ".

D'où la nécessité, pour les hommesdécidés à propager la vérité, d'utiliser parfois des stratagèmes non-rationnels pour convaincre leur entourage (ruse,rhétorique, dissimulation, etc.).. »

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