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Article de presse: Puissance et faiblesse de l'Eglise romaine

Publié le 17/01/2022

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11 octobre 1962 - " Le pape? Combien a-t-il de divisions ? " Celui qui posait cette question insolente, c'était Joseph Staline. Il est aujourd'hui plus que mort. La religion, qu'il traitait avec dérision, en revanche, est bien vivante. L'ouverture du concile, pour l'agence Tass, est même l'occasion de rendre hommage à Jean XXIII. L'Eglise qui fut longtemps celle " du silence " est aujourd'hui représentée à Rome par plusieurs dizaines d'évêques. Le patriarcat de Moscou a même décidé, à la dernière minute, d'y déléguer deux observateurs. Les assises qui s'ouvrent sous la voûte de Saint-Pierre, au milieu d'un déploiement d'ors, de pourpre, de brocarts, apparaissent donc d'abord comme une manifestation de la puissance de l'Eglise. En vingt siècles, elle a traversé les pires tempêtes, avec la tranquille certitude qu'elle avait pour elle les promesses d'éternité. Elle a survécu aux schismes, à la Réforme, à la Révolution, au scientisme. Pourquoi tremblerait-elle devant la nouvelle religion marxiste ? Cette certitude de la vanité des entreprises humaines n'inspire pas seulement à ceux qui gouvernent l'Eglise la sérénité nécessaire à leur ministère, elle encourage chez beaucoup de ces hommes, qui, pour la plupart, ne sont pas jeunes, la tendance au conservatisme, à la routine. Elle risque de leur fermer les yeux sur le drame d'un monde qui ignore de plus en plus le message évangélique. Il est vrai, en effet, que, dans tout l'Occident, le catholicisme a retrouvé une audience considérable. Des catholiques ont pris la place de Combes, de Bismarck, de Hitler et de Cavour. Un catholique est même président des Etats-Unis. Un Africain et plusieurs Asiatiques figurent parmi les membres du Sacré Collège, au premier rang des pères du concile, montrant que Rome a su ne pas se tenir à l'écart d'un courant de décolonisation conforme d'ailleurs à sa doctrine. Mais, à s'identifier trop généralement avec l'ordre établi, à se complaire dans des attitudes, un décor, un langage facilement anachroniques, l'Eglise, un peu partout, s'est coupée des masses. Son rôle politique s'est peut-être accru, en sens divers d'ailleurs, mais, à de notables exceptions près, son poids moral a diminué. Le divorce est éclatant dans certains pays latins entre les exhortations de la hiérarchie et la manière de vivre d'un peuple de plus en plus déchristianisé. Le tableau est encore plus sombre lorsque l'on considère l'Asie et le Proche-Orient, où vivent plus d'un milliard d'hommes dont quelques millions seulement ont entendu parler du Christ. L'exubérance démographique de ces régions confère un caractère apparemment inexorable au décalage entre le nombre des baptisés et celui des non-baptisés dans le monde. Si la persécution traditionnelle à disparue à peu près, sauf en Chine, le nationalisme tout-puissant s'accompagne la plupart du temps d'une résistance déclarée à toute tentative d'évangélisation. Au milieu de la gloire romaine, les prélats assemblés aujourd'hui ne sauraient donc détourner les yeux de la marée montante de l'incroyance. D'autres, dans les autres Eglises chétiennes, font la même constatation. Les divergences, au nom desquelles jadis on s'entre-tua, paraissent à beaucoup bien secondaires au regard de la nécessité de réaffirmer la foi commune, et de faire comprendre les raisons de cette foi. C'est ce qui donne tout son poids au mouvement oecuménique et qui fait que le second concile du Vatican sera suivi avec une telle attention, bien que sa contribution à l'union des Eglises ne doive être perceptible qu'à longue échéance. Ce dont il s'agit pour le moment, c'est seulement en effet d'une vaste révision de l'enseignement et de la pratique de l'Eglise. Mais le dialogue sera plus facile si elle parvient à se dépouiller de scories accumulées par les siècles. BULLETIN DE L'ETRANGER Le Monde du 12 octobre 1962

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