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Cours: LA PASSION (3 de 7)

Publié le 22/02/2012

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D) PASSION ET RAISON

-        Fille de l’imagination, de l’illusion, du désir, la passion semble s’opposer fondamentalement à la raison : “ Guerre intestine de l’homme, écrit  Pascal, entre la raison et les passions ” (Pensées). Cette contradiction intime est communément admise par le sens commun, certains philosophes et moralistes.

-        A l’appui de cette opposition de la passion à la raison, la servitude et la souffrance inhérentes aux passions. L’homme passionné est décrit comme étant ballotté par ses passions, dépendant des vicissitudes des objets externes, plus souvent triste et rempli de haine que joyeux. Le passionné flotte d’une passion à une autre, vivant en dehors de lui-même.

-        De plus, le passionné agit manifestement à l'encontre du bon sens; aveuglé, pétri d'illusions, il devient incapable de juger et d 'agir librement. Aux antipodes de la raison qui pondère, équilibre, évalue, dans un souci permanent de cohérence et d'objectivité, l'amour, dans sa dynamique passionnelle, incarne la démesure.

-        Or, cette opposition radicale  de la passion à la raison est quelque peu simpliste.

-        D’abord parce que la passion, à la différence de l’émotion, fait appel aux talents et à l’intelligence ; la passion utilise la raison à son profit et déploie souvent des stratégies très fines pour arriver à son but. Le passionné fera tout ce qui est en son pouvoir pour assouvir sa passion ; il mobilisera toutes ses forces, toute son intelligence, toute sa volonté vers l’objet de sa passion.

-        Il y a bel et bien une rationalité, une logique de la passion, mais il s’agit d’une logique particulière, à rebours de la logique habituelle. Comme le souligne Ribot dans son Essai sur les passions : “ la conclusion est donnée d’avance ", elle détermine la valeur des prémisses au lieu d’être déterminée par elles; les arguments n’interviennent, en effet, que pour justifier et rationaliser cette conclusion. Il s’agit d’un raisonnement de nature téléologique puisque la fin y commande les moyens. Le passionné raisonne ainsi : “ Mlle X…possède telles et telles qualités; or ces qualités sont aimables; donc Mlle X…est aimable” (J.A. Rony, Les passions, p.37).

-        Si le raisonnement est formellement correct, l’erreur est d’ordre psychologique, et non logique : le passionné estime que ce sont les prestiges de Mlle X qui font naître l’amour, tandis que c’est l’amour qu’il porte à cette personne qui donne à Mlle X tant d’éclats. La logique passionnelle apparaît alors comme une logique de l’illusion. Et c’est ce qui fait que le raisonnement passionnel demeure imperméable aux réfutations d'autrui.

-        Selon  Hume, il faut néanmoins dissocier passion et jugement. La raison, en effet, est avant tout une faculté de combiner logiquement des idées et des affirmations. Une erreur est, en effet, une affirmation, un jugement qui ne correspond pas à la réalité, aux faits qui la constituent.

-        Or, une passion n’est pas un jugement, mais un fait qu’il est vain de qualifier de vrai ou de faux; si la vérité est l’adéquation d’un énoncé à la chose qu’il représente, la passion ne contient aucune qualité représentative qui en fasse l’image d’un objet : lorsque je suis amoureux, par exemple, le sentiment que j’éprouve ne prétend représenter aucune réalité extérieure. Ce fait est ce qu’il est, et si la raison peut bien corriger l’idée fausse que nous nous faisons d’un fait, elle ne peut modifier le fait lui-même.

-        D’où l’impuissance de la raison à combattre une passion : un homme qui s’est fourvoyé parce qu’il pensait satisfaire son ambition en poursuivant des études que ses dispositions ne lui permettent pas de mener à terme, peut corriger son erreur d’appréciation et commencer une carrière différente, plus en harmonie avec ses capacités. Cette modification de sa conduite n’entame cependant pas son ambition, qui, toujours vive, se propose seulement d’autres voies pour aboutir à sa fin. La passion n’est donc pas en soi déraisonnable; seul le jugement qui l’accompagne peut être dit, en toute rigueur, erroné.

-        Ce n’est finalement pas tant à la raison que la passion s’oppose qu’à la liberté : le passionné ne choisit pas entre différents possibles. Un seul et unique possible s’impose à lui. Il ne conçoit pas la liberté comme un choix, mais comme l’absence d’obstacles extérieurs susceptibles d’empêcher la réalisation de sa passion. La liberté n’est pas du registre de la pensée, mais de l’action.

-        C’est la raison pour laquelle les grecs personnifiaient la passion dans Até, l’égarement funeste, la démesure, l’emportement de la nature hors de ses limites. Celui qui la subit ne peut croire qu’elle vient de lui et l’assimile volontiers à une dépossession maléfique; elle lui est un dieu dont il est la proie. D’où l’idée romantique et restée populaire de la fatalité passionnelle.

-        Par suite, il n’y a guère de dialogue possible avec le passionné, comme le montre le fanatisme. La liberté des sujets est la condition postulée de tout dialogue. Or le passionné ne possède pas son libre-arbitre. En aucune façon, il ne peut se mettre à la place de son interlocuteur ou en venir à ses arguments. Tout ce qui est hors de sa passion est indifférent, voire vide de sens. Très vite, le passionné refuse le dialogue : “ vous ne pouvez pas comprendre ”, dit-il.

CONCLUSION :

-        Qu’est-ce qui caractérise l’état de passion ? Quelles en sont les composantes essentielles ? L’élément essentiel de la passion semble être une rupture d’équilibre durable marquée par l’idéalisation, l’excès, le refus des limites, le déchirement intérieur, l’ambivalence affective. Poison ou folie de l’âme, la passion possède néanmoins une rationalité spécifique qui la rend d’autant plus dangereuse qu’elle est imperméable aux raisons et aux jugements extérieurs. Mais la passion se réduit-elle à cela ? Pour évaluer plus rigoureusement son rôle et sa fonction, il convient, dans un deuxième temps, de réfléchir sur la source des passions, ce qui nous permettra peut-être de réhabiliter ces dernières et d’en souligner la fécondité. 

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