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Cours: LA PASSION (5 de 7)

Publié le 22/02/2012

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D) L’EXPLICATION PSYCHOLOGIQUE

1)     Le désir d’éternité (Ferdinand Alquié)

-        Dans son livre Le désir d’éternité, Alquié montre que la passion émane du refus du temps et se fonde sur le désir d’éternité.

-        La passion est une fixation à des circonstances du passé dont le passionné est d’autant plus esclave qu’il n’en prend pas une conscience claire. La révolte contre le devenir a pour racine la peur, le regret, le souvenir de plaisirs, la crainte de souffrances. Les émotions de notre enfance gouvernent notre vie, le but des passions est de les retrouver.

-        Nous sommes prisonniers d’un souvenir ancien que nous ne parvenons pas à évoquer à notre conscience et sommes contraints par ce souvenir à mille gestes que nous recommençons toujours. Par exemple, Don Juan est si certain de ne pas être aimé que toujours il séduit et toujours refuse de croire à l’amour qu’on lui porte; l’avarice a souvent pour cause quelque crainte infantile de mourir de faim… Autrement dit, la passion résulte du mouvement par lequel nous essayons de revenir à un instant passé.

-        En ce sens, le présent tire sa force du passé : “ Bien des passions sont nées de l’habitude, c’est-à-dire du passé pesant sur le présent “. Exemple du coup de foudre où l’être aimé est l’image et le symbole d’une réalité déjà connue. La répétition du passé témoigne d’un besoin essentiel d’échapper au devenir. Ce phénomène, selon Alquié, s’explique selon trois raisons essentielles :

1. La situation de toute conscience vis-à-vis du devenir 

-        L’attente du futur est un état d’impatience et d’inquiétude devant un avenir toujours incertain; accepter le futur, c’est accepter le risque et l’angoisse; la seule certitude qu’apporte le futur est celle de la mort; nous ne pouvons penser le futur sans penser à notre fin; toute pensée du futur est angoisse, et toute angoisse est tournée vers le futur : “ La pensée du passé au contraire est sereine et apaisante; le passé est fixé, il contient notre histoire, notre moi, nous pouvons le contempler sans effectuer l’effort qui jadis nous empêcha d’en goûter le prix“.

-        L’attitude relative au passé n’est pas celle de l’attente mais de la mémoire : le passé a été donné, nous le connaissons, il est pour nous image stable et obéit de science certaine; on peut aimer le passé, le concevoir, il ne contient pas de risque (à la différence de l’avenir) : “ Alors que le futur contient notre mort, le passé contient notre être. Là est tout ce que nous avons été, toute l’histoire de notre vie, tout ce qui donne un contenu à ce que nous pensons lorsque nous disons moi. Aussi toute image du passé est-elle émouvante et belle “.

-        Alquié précise que rien n’est plus difficile à l’homme que d’aimer l’avenir sans y rechercher le passé.

2. L’essence même de notre affectivité

-        Comme l’homme n’a pas d’instincts mais une histoire, notre affectivité tire son origine de notre seule mémoire. C’est la seule expérience qui nous instruit, qui donne forme à nos tendances. D’où l’influence considérable des premiers objets que l’expérience nous a présentés et qui gardent à nos yeux un prestige sans égal : “ la connaissance concrète de ces objets nous tient lieu de savoir instinctif, leur image est la source même de nos désirs “. Nous tirons des généralités de nos premières expériences et émotions.

-        Toute affectivité ramène ainsi vers l’enfance.

3. Le passage de la satisfaction à la souffrance

-        Notre histoire depuis le début est le passage de la satisfaction à la souffrance; à la vie utérine succèdent les traumatismes de la naissance, puis du sevrage, de l’éducation: “ Notre histoire commença par notre naissance, et celle-ci fut pour nous le passage d’un état où tout était chaleur, douceur et repos, à un état qui fut douleur, froid et asphyxie. En venant au monde, nous avons expérimenté le temps comme passage d’une satisfaction à une souffrance, et cette expérience nous a déjà accoutumés à craindre l’avenir “.

-        Nous aspirons tous profondément au repos qui apparaît avec le visage de l’enfance. D’où les mythes de l’âge d’or, du paradis perdu, du retour au sein maternel où ce qui transparaît, c’est le souvenir du bonheur passé.

-        En somme, la passion est une illusion : le passionné se condamne à n’aimer que ce qui est mort, refusant un temps irréversible ; le passionné vit hors du réel, la passion est un rêve.

-        Selon Alquié, ce refus du temps est capable de se glisser jusque dans les attitudes spirituelles en apparence les moins égoïstes comme l’attitude religieuse ou métaphysique : “ La religion est, chez la plupart, nettement passionnelle; ce que demandent le plus souvent les prières, c’est que soient exaucés les voeux du moi…”. Du moment qu’elles nous proposent l’union avec l’éternel comme seul but de la vie, les religions sont aussi stériles que les passions les plus communes.

2)     L’explication psychanalytique

-        La psychanalyse rattache les passions au caractère du sujet et enquête ainsi sur l’axe de l’histoire individuelle. Si la passion apparaît à celui qui la subit comme une force étrangère qui se déploie en lui, sans lui, malgré lui, si nous semblons impuissants à nous reconnaître en nos passions, c’est parce que la source des passions est inconsciente.

-        La passion est un mode particulier de relation objectale marqué par l’idéalisation, l’excès, le refus des limites, par le mouvement du passionné qui se déverse dans l’autre au point de s’y perdre (hémorragie narcissique). La passion investit un autre, un élu, qu’elle s’attache, voire dévore. Elle relève d’un amour marqué par l’oralité et les fantasmes de fusion, amour dévorant, destructeur.

-        La psychanalyse interprète la passion en termes d’articulation entre narcissisme et investissement objectal.

-        L’intensité, la massivité des affects caractérisent la passion, ainsi que l’impossibilité d’accéder à la modération des excitations, à leur élaboration psychique. L’absence de limites manifeste une toute-puissance fantasmatique, en même temps qu’un déni de réalité : le passionné est celui qui n’a pas intégré psychiquement l’angoisse de castration, ni la double limite entre soi-même et l’autre et entre intérieur et extérieur.  

Conclusion :

-        D’où viennent donc les passions ? Si le milieu semble incontestablement nourrir les passions, sans forcément les créer, il apparaît toutefois que  la source des passions soit à chercher dans les tréfonds de l’individu et de son histoire personnelle, que les passions relèvent du rapport de l’âme et du corps (Descartes), de la finitude de notre être lorsqu’il est inconscient de lui-même (Spinoza), du refus du temps (Alquié) ou d’un mode pathologique de relation objectale (la psychanalyse). En tout cas, il semble que les passions ne puissent être extirpées de l’individu puisque, comme nous l’enseigne Spinoza, c’est un même désir qui se fait passion ou action selon qu’il met ou non en oeuvre notre pouvoir de connaître. Dès lors, si seules les passions tristes sont à condamner et à combattre, il reste à se demander comment il est possible d’en guérir, c’est-à-dire de passer de la servitude à la liberté.   

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