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Grand cours: L'ART (VII de X)

Publié le 22/02/2012

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III) L’ART ET LA REALITE

-        Quel rapport l’art entretient-il avec la réalité ? Nous dit-il la vérité sur l’être ou bien travestit-il la réalité en nous faisant prendre l’illusion pour la réalité ? Que nous livre la représentation artistique sur la réalité ? Si le réel est déjà là, pourquoi en élaborer un double ? Pourquoi, en clair, produire une oeuvre fictive quand on dispose du vrai, émettre une copie quand on détient l’original ? Pascal a-t-il raison d’affirmer : « Quelle vanité que la peinture qui force l’admiration pour la ressemblance des objets dont on n'admire point les originaux « (Pensées, 34) ? Y a-t-il finalement quelque chose dans l’art de plus que dans la réalité ? Et si oui, qu’y a-t-il précisément ?

A) L’ART COMME DEGRADATION DE LA REALITE

-        Idée ici qu’il n’y a rien dans l’art de plus que dans la réalité ; l’art est une recomposition, voire une dégradation de la réalité.

1)     L’art, recomposition de la réalité

-        Comment pourrait-il y a voir plus dans l’art que dans la réalité ? L’art est d’abord un moment du réel, il fait partie du réel,dans lequel toute oeuvre occupe une place, a une certaine histoire, voire une valeur pécuniaire. Pour qu’il y ait plus dans l’art que dans la réalité, il faudrait donner à la création humaine une positivité qui égale celle de la création divine. Nous avons, à travers la question du génie, à quelles difficultés cette conception menait.

-        L’art n’est que recomposition de divers éléments du réel, formes, couleurs, etc., avec lesquels l’imagination peut jouer à l’envi et se livrer à des compositions inédites et originales. Idée que l’imagination recompose les éléments du réel , les assemble à sa guise, sans rien véritablement créer. C’est ce que montre Descartes dans la première des Méditations métaphysiques : l’art, même quand il représente des êtres que la réalité ne nous permettra jamais de rencontrer, ne peut rien avoir de plus en lui que dans la réalité. Exemple du Tableau de Jérôme Bosch, Le jardin des délices.

2)     La mimésis

-        Platon montre que l’art est une dégradation de la réalité dans son attachement à des apparences des copies de la réalité. L’art est une dégradation au carré, il copie les apparences des copies e la réalité que sont les productions de l’artisan.

-        En effet, pour Platon l’imitation ou mimésis est la condition incontournable de toute production, artisanale ou artistique. D’un autre côté, il met en garde contre une imitation qui se rallierait exclusivement à la fidélité aux apparences.

-        Platon s’interroge fondamentalement sur le rang qu’occupe l’art à l’intérieur de la connaissance et sur le rapport de l’image illusoire avec la réalité dont elle est l’image. Les choses visibles sont le reflet des Formes dont elles sont des images imparfaites. Platon divise l’art de production en deux : une production divine et une production humaine.

-        La production divine suppose un démiurge qui produit la nature et les réalités naturelles. La production humaine fait pendant à cette production divine : de toute réalité, il y a une imitation. La mimétique, dans l’ordre de la production humaine, se divise elle-même en art de copier (les copies sont des imitations qui reproduisent exactement les proportions et les couleurs du modèle) et en art de faire des simulacres : les simulacres ne sont pas des copies et sont destinés, quand la copie est impossible en raison de la grandeur de l’objet, à donner l’illusion de celui-ci, de sorte que cet art du simulacre, dont la peinture est l’exemple le plus manifeste, peut être appelé un art de tromperie.

-        L’artiste, en effet, n’est qu’un faiseur de simulacres. Dans la République (livre X, 597 e), Platon compare l’oeuvre de Dieu, celle de l’artisan relativement à la production d’un objet d’usage, comme le lit. Il y a d’abord « le lit en soi « ou l’Idée du lit (le lit-type), le lit matériel étant réalisé sur le modèle du lit en soi dont il n’est qu’une copie, avec tout ce qui distingue la copie de l’original. Quant au peintre et à sa tâche de représentation du lit, il n’est qu’un « imitateur de ce dont les autres sont des ouvriers «. Le statut négatif de l’artiste renvoie donc à une vision hiérarchisée de la réalité et de la production, depuis l’archétype jusqu’à la représentation de l’objet.

-        Platon ne condamne pas, en réalité, les arts en tant que tels, mais l’illusionnisme de l’art de son époque, dans lequel il voit une conception strictement humaniste, relativiste, proche des sophistes, qui fait du regard du spectateur la mesure de la beauté et de la vérité.

-        L’art grec du Vème siècle se caractérise, en effet, par un art du trompe-l’oeil capable de donner au spectateur l’illusion de la profondeur. Ainsi Zeuxis, inventeur probable de la peinture sur chevalet, aurait peint des raisins à l’apparence si naturelle qu’ils auraient trompé les pigeons qui seraient venus les picorer. Platon condamne cet art moderne dont l’essence est l’imitation pour plusieurs raisons : ce type d’art possède une affinité avec la sophistique et désigne un art d’assouvissement et non un art du beau ; la manie de la ressemblance qui va jusqu’au trompe-l’oeil a quelque chose de servile ; la technique de l’illusion est une sorte de mensonge organisé ; l’irréel finit par prendre le pas sur le réel.

-        Jusqu’au milieu du XIXe siècle, l’art, et notamment l’art pictural occidental, comporte une part délibérée d’illusionnisme. Depuis la Renaissance, le premier impératif qui s’impose au peintre réside en ce qu’il doit s’efforcer de représenter sur une surface plane, à deux dimensions, ce qui dans la réalité en comporte trois : c’est bien à obtenir l’illusion de la profondeur que vise l’étude des lois de la perspective linéaire : “La première tâche du peintre, c’est de faire en sorte qu’une surface plane ait l’apparence d’un corps dressé et saillant par rapport à cette surface…” (Léonard de Vinci).

-        De même, l’architecte Alberti (1404-1472) déclare : « La fonction du peintre consiste à circonscrire et à peindre sur un panneau ou un mur donnés, au moyen de lignes et de couleurs, la surface visible de toute espèce de corps , de sorte que, vu à une certaine distance et sous un certain angle, tout ce qui sera représenté apparaisse en relief et ait exactement l’apparence du corps même «. A partir des années 1740 ( sous l’influence de Mantegna, notamment), et surtout pendant le seizième siècle, les peintres maniéristes italiens useront, et abuseront parfois, de procédés artificieux, de trucs illusionnistes, destinés à surprendre, sinon même à tromper le spectateur : faux escaliers, faux paysages peints derrière de fausses colonnes, art du trompe-l’oeil, etc.

3) L’art, une modélisation du réel

-        Or, selon Platon, la fonction de l’art consiste à modéliser le réel pour mieux le révéler. L’art ne doit pas être une imitation servile de l’apparence. La volonté de faire prendre la copie pour le modèle qui caractérise le réalisme consiste à renoncer à l’évocation de la structure profonde des choses. Le réalisme, l’illusionnisme, le trompe-l’oeil aplatissent la réalité, la réduisent à la superficie de l’apparence.

-        L’art doit proposer au regard des esquisses d’organisation du monde susceptibles de mieux nous le faire comprendre, ce qui explique son engouement pour l’art mystérieux de l’Egypte. Ainsi, dans l’art authentique, la copie doit-elle être irréductible au modèle. Il y a toujours une distance. Platon demande donc à l’art authentique de sublimer l’apparence qu’il est obligé d’emprunter, de se constituer comme voie authentique vers l’être, c’est-à-dire vers la vérité profonde du réel apparent.

-        En ce qui concerne cette fois le rapport entre l’art et la vérité, même si l’on admet que l’art est mensonger, en ce sens qu’il constitue une représentation illusoire ou trompeuse de la réalité (exemples du trompe-l’oeil en peinture et de la fiction en littérature), le mensonge peut être au service de la vérité. Dans cette perspective, l’art prend le détour de l’apparence, crée un autre monde pour en même temps révéler une vérité, le vrai étant, paradoxalement, rendu présent sur le mode de l’absence.

-        C’est ce que nous enseigne Platon dans son allégorie de la caverne (République, VII) : le prisonnier ne se retourne pas brusquement vers la lumière ; pour se défaire de l’illusion première, qui consiste à prendre les ombres projetées sur la paroi de la caverne pour la réalité elle-même, il faut traverser peu à peu les apparences, il convient que le prisonnier ait conscience de l’existence d’une lumière accessible au-delà des apparences illusoires. L’art peut précisément jouer ce rôle d’intermédiaire. En lisant un roman, par exemple, le lecteur est conscient de la fiction. C’est le désir de dépasser l’état de divertissement qui lui fera percevoir un « message « mettant en lumière, par l’intermédiaire de l’art, ce que l’immédiateté de la vie ne nous permet pas de percevoir.

-        Si l’art est le règne de l’apparence, il ne l’est qu’à un premier degré seulement. Pour déceler le vrai, il est nécessaire d’interpréter l’oeuvre, de la réfléchir, de la laisser retentir en nous. Dans le processus artistique, le paraître est au service de l’être. L’art est cette réalité paradoxale qui « ment « pour dire le vrai, qui médiatise le réel pour le donner à voir.

Conclusion :

-        Certes, il semble qu’il n’y ait pas plus dans l’art que dans la réalité : l’artiste crée toujours à partir d’éléments empruntés au réel qu’il recompose à sa façon ; l’art apparaît comme une perte, une dégradation de la réalité, de sorte que Pascal semble effectivement avoir raison lorsqu’il affirme : « Quelle vanité que la peinture qui force l’admiration pour la ressemblance des objets dont on n'admire point les originaux « (Pensées, 34). Plutôt que l’art qui nous éloigne du réel, la philosophie et la science semblent préférables, qui nous permettent de réfléchir le réel, de l’habiter en quelque sorte, de l’affronter en tout cas. L’opposition de l’art et du réel semble donc bénéficier au réel lui-même.

-        Pourtant, l’art révèle et parachève une réalité en friche, il prend le détour de l’apparence, de l’illusion pour mieux nous aider à accéder à l’être profond des choses. En ce sens, il y a peut-être plus dans l’art que dans la réalité et nous sommes alors renvoyés à la puissance de création de l’artiste qui non seulement transfigure la réalité mais invente un univers plus riche que le monde dit réel.

 

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