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FANTASTIQUE (Histoire de la littérature)

Publié le 05/12/2018

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FANTASTIQUE. Il en va du fantastique comme du romantisme : le sens premier s’est perdu, qui faisait du mot un concept précis; et à recouvrir progressivement trop de choses le terme est devenu flou, sinon vide. Si l’on s’accorde facilement à reconnaître en Jérôme Bosch un peintre fantastique, qui pourra préciser en quoi consiste le fantastique de tel ou tel tableau — sauf à énumérer une liste de créatures qui dans un conte de Perrault permettraient de caractériser le ... merveilleux? Et les ogres de ce même Perrault sont-ils vraiment différents de Dracula, l’une des vedettes incontestées de l’écran fantastique?

 

Question de sémantique

 

Au commencement est la fantaisie — comme le roman est à la source du romantique. Au Moyen Age, la fantaisie désigne l’imagination et tout ce qu’elle engendre. C’est ce sens étymologique (en grec, phantasia signifie « imaginaire ») qu’utilise Balzac au xixc siècle lorsqu’il parle de son héros « plongé dans une rêverie mêlée de veille et de sommeil qui prête aux réalités les apparences de la fantaisie et donne aux chimères le relief de l’existence » {la Peau de Chagrin, 1831). Réalité, fantaisie, chimère... c’est déjà le balisage du parcours fantastique qui s’ordonne. L'adjectif suit naturellement le nom : au xivc siècle, fantastique apparaît avec un sens qui traverse toute l’époque classique : ainsi, lorsqu’Énée croise aux Enfers les ombres des morts, le poète Scarron le prévient par la bouche de la prêtresse d’Apollon :

 

Monsieur Enéas, prenez garde

 

Dit la Sybille; ces vilains

 

Sont corps fantastiques et vains Qui découpés ne peuvent être...

 

(le Virgile travesti, 1659)

 

Le glissement est logique qui conduit de la faculté d’imaginer au(x) produit(s) imaginé(s) en quoi l’on voit souvent extravagance et bizarrerie. Rien d’étonnant, dès lors, que l’un des premiers sens du substantif fantastique ait été celui de « fou, insensé ». Ce n’est qu’avec le xvine siècle finissant, et surtout le romantisme, qu’il entre en littérature : c’est Nodier (1780-1844) qui lui donne ses lettres de noblesse, en en faisant un genre littéraire à part entière dans un article au titre révélateur, Du fantastique en littérature (1830) :

 

Le fantastique demande à la vérité une virginité d'imagination et de croyances qui manque aux littératures secondaires, et qui ne se reproduit chez elles qu'à la suite de ces révolutions dont le passage renouvelle tout; mais alors, et quand les religions elles-mêmes, ébranlées jusque dans leurs fondements, ne parlent plus à l'imagination, ou ne lui portent que des notions confuses, de jour en jour obscurcies par un scepticisme inquiet, il faut bien que cette faculté de produire le merveilleux dont la nature l'a douée s'exerce sur un genre de création plus vulgaire et mieux approprié aux besoins d'une intelligence matérialisée. L'apparition des fables recommence au moment où finit l'empire de ces vérités réelles ou convenues qui prêtent un reste d'âme au mécanisme usé de la civilisation. Voilà ce qui a rendu le fantastique si populaire en Europe depuis quelques années, et ce qui en fait la seule littérature essentielle de l'âge de décadence ou de transition où nous sommes parvenus. Nous devons même reconnaître en cela un bienfait spontané de notre organisation; car si l'esprit humain ne se com-

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« plaisait encore dans de vives et brillantes chimères, quand il a touché à nu toutes les repoussantes réalités du monde vrai, cette époque de désabusement serait en proie au plus violent désespoir, et la société offrirait la révélation effrayante d'un besoin unanime de dissolution et de sui­ cide.

Il ne faut donc pas tant crier contre le romantisme et contre le fantastiq ue.

Texte capital pour l'histoire du genre -et sur lequel nous reviendrons -dans la mesure où Nodier tente de cerner la nature du fantastique à la fois par ce qui le crée («virginité d'imagination »,« faculté de produire le merveilleux » ...

), et par ce qui le borne (la fin des >, les « repoussantes réalités du monde vrai >> ).

Et dans cette tentative de définir ce concept nouveau, Nodier délimite une aire sémantique - fantastique, merveilleux, romantique -tout à la fois poétique et historique.

Il n'est donc que plus regrettable que ses successeurs se soient fourvoyés dans une appro­ che systématiquement phénoménologique du genre : situation psychologique des phénomènes, analyses psy­ chanalytiques des significations et des thèmes ...

Le fan­ tastique devenait ainsi la face exposée de tout ce qu'il y a de trouble, de scandaleux et d'inavouable dans les individus et la société.

Schéma simpliste -même s'il n'est pas faux -et qui, à coup sûr, ne rend pas compte d'une écriture fantastique.

Questions de poétique Ce fut le grand mérite du livre de Tzvetan Todorov, Introduction à la Littérature fantastique, en 1970, de donner une objectivité à un concept jusqu'alors entretenu dans le flou de diverses subjectivités, par le seul fait de Je poser en termes littéraires.

Car c'est bien à partir d'une analyse rigoureuse des techniques narratives que doit être posé le problème du fantastique.

Pour nous en convaincre, confrontons deux extraits.

Le premier est un fragment de la célèbre Cendrillon de Charles Perrault (1628-1703 ).

On connaît 1' histoire : le Prince donne un bal auquel sont conviées toutes les jeunes filles bien nées du Royaume.

Les deux sœurs aînées se rendent à la soirée tandis que Cendrillon, la cadette, doit se résigner à poursuivre les tâches domesti­ ques.

Mais Sa Marrai ne, qui la vit toute en pleurs, lui demanda ce qu'elle avait.

«Je voudrais bien ...

je voudrais bien ...

» Elle pleurait si fort qu'elle ne put achever.

Sa Marraine, qui était Fée, lu i dit : «Tu voudrais bien aller au Bal, n'est-ce pas?­ Hélas, oui, dit Cendrillon en soupirant.

-Hé bien, seras-tu bonne fille? dit sa Marraine, je t'y ferai aller».

Elle la mena dans sa chambre, et lui dit : «Va dans le jardin et apporte­ moi une citrouille».

Cendrillon alla aussitôt cueillir la plus belle qu'elle put trouver, et la porta à sa Mar raine, ne pou­ vant deviner comment cette citrouille la pourrait faire aller au Bal.

Sa Marraine la creusa, et n'ayant laissé que l'écorce, la frappa de sa baguette, et la citrouille fut aussitôt changée en un beau carrosse tout doré.

D'autres coups de baguette vont métamorphoser les souris en chevaux, les lézards en valets et les haillons en beaux atours ...

Et le conteur de poursuivre : Quand elle fut ainsi parée, elle monta en carrosse : mais sa Marraine lui recommanda sur toutes choses de ne pas pas­ ser minuit, l'avertissant que si elle demeurait au Bal un moment davantage, son carrosse redeviendrait citrouille, ses chevaux des souris, ses laquais des lézards, et que ses vieux habits reprendraient leur première forme.

Elle promit à sa Marraine qu'elle ne manquerait pas de sortir du Bal avant minuit.

Elle part, ne se sentant pas de joie.

Abandonnons Perrault et ses Contes de ma mère l'Oye pour ouvrir les Contes cruels de Villiers de l'Isle-Adam (1839-1889): au cours d'une soirée amicale, le comte Xavier raconte les mésaventures qu'il vient de vivre, en Bretagne, chez son ami l'abbé Maucombe.

Après le sou- per du premier soir, les deux convives montent pour se coucher.

Nous étions arrivés sur le palier, nos bougies à la main.

Un long couloir parallèle à celui d'en bas, séparai t de celle de m on hôte la chambre qui m'était destinée : -il insista pour m'y installer lui-même.

Nous y entrâmes; il regarda s'il ne me manquait rien et comme, rapprochés, no us nous don­ nions la main et le bonsoi r, un vivace reflet de ma bougie tomba sur son visage.

-Je tressaillis, cette fois! É tai t-ce un agonisant qui se tenait debout, là, près de ce lit? La figure qui était devant moi n'était pas, ne pouvait pas être celle du souper! Ou, du moins, si je la reconnaissais vaguement, il me semblait que je ne l'avais vue, en réalité, qu'en ce moment-ci.

Une seule réflexion me fera compren­ dre : l'abbé me donnait, humainement, la seconde sensa­ tion que, par une obscure correspondance, sa maison m'avait fait éprouver.

La tête que je contemplais était grave, très pâle, d'une pâleur de mort, et les paupières étaient baissées.

Avait-il oublié ma présence? Priait-il? Qu'avait-il donc à se tenir ainsi? -Sa personne s'était revêtue d'une solennité si sou­ daine que je fermai les yeux.

Quand je les rouvris, après u ne seconde, le bon abbé était toujours là, - mais je le reconnaissais maintenant!-A la bonne heure! Son sourire amical dissipait en moi toute inquiétude.

L'impression n'avait pas duré le temps d'adresser une question.

Ç'avait été un saisissement- une sorte d'hallucination.

Maucombe me souhaita, une seconde fois, la bonne nuit et se retira .

Ici, chez Villiers, un narrateur s'implique dans les aventures qu'il rapporte (, « me >>, > ); là, dans le conte de Perrault, rien ne permet.

de déceler la présence du narrateur.

Tandis que le héros de l'Inter­ signe marque sa surprise et s'interroge devant le visage transformé de son ami, Cendrillon ne manifeste ...

que de la joie au vu des prodiges de sa Marraine.

Il est vrai que l'univers dans lequel se meuvent les personnages de Perrault n'a rien de commun avec celui que connaissent le comte Xavier et ses convives : une fois franchi le , plus de repères : en quel lieu, en quel temps se déroule l'histoire? Qui sont ces personnages qu'on nomme Gentilhomme, Marraine, Prince? Tout se passe comme si la formule introductive du conte, en ouvrant les portes du royaume de féerie, assurait l'auto­ nomie d'un univers ayant ses propres lois et sa propre logique : le merveilleux.

Face à cette rupture absolue de la norme dans laquelle s'enracine le merveilleux, le texte de Villiers propose une rupture relative, dans un cadre familjer, des person­ nages fortement individualisés vivent une vie semblable à la nôtre.

Un événement survient qui bouleverse les lois naturelles : hésitations, interrogations marquent l'entrée dans le fantastique.

Et de même que Je merveilleux pos­ sède des marques formelles, le discours fantastique peut être facilement repéré : outre les interrogations qui tra­ duisent le désarroi, 1 'hésitation est soulignée par des modalisations.

Moment de rupture d'un ordre rationnel (« L'im­ pression n'avait pas duré le temps d'adresser une ques­ tion >>,précise le héros de Villiers), le fantastique postule donc le retour à cet ordre : après l'hésitation, l' explica­ tion qui permet de retrouver sa raison.

L'exemple de l'Intersigne fait cohabiter deux types d'explications : l'une, psychologique, suit l'épisode fantastique (« Ç'avait été un saisissement -une sorte d'hallucina­ tion>> ); l'autre, physique, précède l'incident et, en quel­ que sorte, l'annonce (. »

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