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Rabelais - Histoire de la littérature

Publié le 12/02/2018

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Rabelais

Rabelais est-il vraiment un romancier? Cette question n'était possible qu'à ceux pour qui l'idéal du roman français était La Princesse de Clèves ou Eugénie Grandet, œuvres bien composées, closes sur elles-mêmes, ayant pour but l'analyse des sentiments ou l'observation de la société. Tolstoï, Proust, Joyce, l'éclatement du roman au xxe siècle ont prouvé, s'il en était besoin, que le roman ne se plie à aucune définition ni à aucune mesure; la démesure de Rabelais, son lyrisme, sa fantaisie, ses écarts de ton, son désordre, ses digressions, son ambition de tout dire à la fois devraient être aux yeux de nos contemporains autant de raisons pour voir en lui un romancier. Mais il l'est aussi selon la conception plus traditionnelle qui fait du romancier le témoin de son époque, le créateur de personnages vrais. En réalité, cette conception même est postérieure à Rabelais de plus de deux siècles, elle est à peine moins moderne que l'autre. Pour son temps et pour lui-même, Rabelais est un conteur, qui raconte une « vie inestimable >> ou une « vie très horrificque r (titres de Gargantua) d'« horribles et espoventables faictz et prouesses >> (titre de Ponta­gruel), des cc faictz et diets héroïques » (titres des livres suivants), sans se demander si son œuvre relève d'un genre littéraire et obéit à des règles.

L'héritage médiéval Rabelais recueille l'héritage du roman mé 

diéval tel qu'il est adapté par les impri¬meurs à un public populaire, quand sa forme primitive est à peu près complète¬ment oubliée et que les mises en prose ordonnées par les grands seigneurs au xve siècle ont perdu leur intérêt historique et documentaire. Mais il verse une signi¬fication nouvelle dans ce qu'il emprunte à ce roman.

Le premier livre écrit par Rabelais, Pantagruel (1532), s'inscrit à la suite d'un livre déjà existant, qui venait de paraître, et qui était lui-même le produit de la rencontre entre le roman médiéval dégradé et l'imagination populaire, les Grandes et Inestimables Cronicques du grant et énorme géant Gargantua. Pantagruel est le fils de Gargantua. Les lecteurs du xvie siècle connaissaient les romans d'Ogier le Danois et de son fils Meuvrin, des Quatre Fils Aymon et de leur neveu Maugis, de Mélusine et de son fils Geoffroy à la grand dent, de Robert le Diable et de son fils Richard sans peur, réfections ou mises en prose de romans médiévaux. Rabelais procède comme les écrivains du Moyen Age en ajoutant l'histoire du fils à l'histoire du père. Il procède encore comme eux en racontant, aussi bien dans Gargantua que dans Pantagruel, les et enfances >> du héros, puis ses exploits guerriers; les

 

épopées avaient raconté les Enfances Vivien et la Chevalerie Vivien, les Enfances Ogier et la Chevalerie Ogier, etc. Le dernier chapitre de Pantagruel annonçait ce que serait « le reste de l'histoire » : Pantagruel devait voyager en Orient, conquérir des iles lointaines, épouser la fille du roi de l'Inde, - comme plus d'un chevalier, comme Alexandre le Grand, si populaire au Moyen Age, comme Florimont, comme les fils de Mélusine ... Il devait même aller combattre les démons en enfer et monter dans la lune, comme l' Astolphe du Roland furieux : il n'en fait rien, et Rabelais n'avait jamais pensé sérieusement à lui en rien faire faire, mais les voyages de Pantagruel dans le Quart Livre (1548 et 1552) et dans le Cinquième Livre (pos-thume, 1562 et 1564) correspondent en somme à une partie intégrante des romans chevaleresques. Par ailleurs, la quête du mot de la Dive Bouteille rappelle la quête du Graal.

Les exploits de Pantagruel dans le livre de 1532 ressemblent aux exploits des chevaliers : les méchants géants sarrasins sont représentés ici par les géants du roi Anarche et leur capitaine Loup Garou qui en mourant crie : « Mahon ! Mahon ! Mahon 1 s; le merveilleux auquel la littérature chevaleresque avait fait de plus en plus de place, c'est ici Gargantua transporté par Morgue (Morgane) au pays des fées, « comme fut jadis Ogier et Artus », c'est la voix céleste qui répond à la prière de Pantagruel, la massue de Loup Garou qui est fée, la résurrection d'Epistémon et la relation de sa descente aux enfers où il a vu, parmi les héros de l'Antiquité et les grands personnages de l'histoire moderne, une quinzaine de personnages de romans; c'est aussi, en un sens diférent, les forêts et les villes qu'abrite la gorge de Pantagruel, le déluge que produit son urine, les sources qui en naissent, les nombreuses traces encore visibles de l'existence du géant, grosse chaîne dans le port de La Rochelle, cuve de pierre à Bourges, pierre levée à Poitiers, globe de cuivre à Orléans sur le clocher de Sainte-Croix ... Et même, à la façon d'un Brec ou d'un Yvain, bien qu'avec moins de déchirement, Pantagruel n'a-t-il pas dû choisir entre l'amour et la prouesse et abandonner une dame de Paris pour aller en guerre contre les Dipsodes ? A chaque page, travestis et parodiques mais plai¬sants à l'imagination, on rencontre des souvenirs des grandes fictions élaborées au cours des siècles précédents.

Il faut surtout retenir leur caractère populaire : d'autres influences se sont exercées et s'exerceront sur Rabelais, celles de Lucien, d'Erasme, de Th. Morus, des épopées bouffonnes ou héroi-comiques de l'Italie renaissante (Pulci, Folengo, Arioste, Boiardo); elles sont livresques, tandis que l'héritage médiéval est vivant. Les romans en prose abandonnés par les gens cultivés n'auraient pas eu un tel succès, si durable, ils n'auraient pas inspiré de brochures comme les Grandes Cronicques (A. Lefranc en compte cinq ou six versions différentes), s'ils n'avaient pas parlé à l'imagination populaire, qui fondit ensemble la tradition épique et romanesque et la tradition comique. Cette dernière, elle aussi, est chez Rabelais, qui s'inspire des fabliaux, des farces, de Pathelin, du Franc Archer de Bagnolet. Pantagruel était un petit diable qui avait le pouvoir d'altérer prodigieusement les gosiers (on disait, et Rabelais dit encore, « avoir le pantagruel »), pouvoir que le héros de Rabelais manifeste à plusieurs reprises dans le livre de 1532; Gargantua était un géant de la mythologie paysanne, on a recueilli des indices prouvant l'exis-tence de sa légende avant l'œuvre de Rabelais.

 

Les souvenirs médiévaux se font beaucoup plus rares après Pantagruel. Dès Gargantua (1534), il n'y a plus guère que les dimensions extraordinaires du géant et la composition du livre qui nous reportent aux romans du temps passé. Gargantua se fait lire aux repas, avant le vin, « quelque histoire plaisante des antiques prouesses» (XXIII), mais aucune allusion, même bouffonne, n'est plus faite à leurs héros, et Gargantua ne songe pas à les imiter; un roi doit défendre son royaume et bien le gouverner, non courir l'aventure : « Ce que les Sarazins et Barbares jadis appelloient prouesses, maintenant nous appelions briguanderies et méchancett>z » (XL VI). Les joyeusetés ont changé désormais de sens, elles sont satiriques, allégoriques, érudites. Elles gardent cependant leur tour initial, elles sont d'un homme dont l'esprit et l'imagination se sont nourris à des sources à la fois médiévales et popu¬laires. Les conteurs de la Renaissance qui, à l'exemple de Rabelais ou indépen¬damment de lui, ont fait parler des gens du peuple (Nicolas de Troyes, Noël du Fait), mais n'ont pas tenu compte de la tradition littéraire à laquelle l'esprit du peuple, qui n'est pas créateur de formes, s'était attaché, ont été amusants et pitto¬resques ; les poètes comme Arioste, qui ont brodé sur la littérature médiévale en ignorant ce que le peuple en avait fait, ont été ingénieux et brillants. Seul Rabelais a intégré à la culture et à l'art le meilleur de la sagesse et de la plaisanterie populaires et assuré la continuité entre le passé et l'avenir, quand, pour plusieurs siècles, la littérature devenait l'affaire des mondains et des lettrés.

L'unité de l'œuvre Les cinq livres du roman sont liés. Remis

à sa place dans l'ensemble, Pantagruel, écrit le premier, devient le second livre de la série, qui met en scène trois rois d'une même lignée, Grandgousier, Gargantua, Pantagruel. L'unité, établie a posteriori, ne va pas sans incohérences, mais elle est réelle.

En 1532, quand il publiait Pantagruel, Rabelais ne savait pas tout le parti qu'il pourrait tirer du genre romanesque et n'avait sans doute pas l'intention d'écrire un second livre. Ce second livre, paru en 1534, reprit le plan du premier dans un esprit nouveau. Entre Gargantua et le Tiers Livre (1546) s'étend un intervalle de douze ans que l'auteur n'aurait pas laissé passer sans rien écrire s'il avait eu à remplir un plan préétabli; en fait, << Gargantua ne laissait prévoir aucune suite 1 ». Seuls les trois derniers livres, écrits en moins de dix ans, sont organiquement enchaînés. Rabelais n'a pas même jugé utile de faire certains raccords : transporté par Morgue au pays des fées, c'est-à-dire passé dans l'autre monde (Pamagruel, XXIII), Gargantua reparaît sans explication au Tiers Livre, et Pantagruel, de roi régnant, redevient prince héritier. A la fin de Pantagruel Alcofrybas (c'est le narrateur lui-même) reçoit la châtellenie de Salmigondin : au début du Tiers Livre elle est assignée à Panurge. On ne voit pas non plus que Frère Jean et Gymnaste, autrefois compagnons du jeune Gargantua, aient rien perdu de leur vigueur et de leur vivacité' lorsqu'ils se font compagnons de voyage du jeune Panta­gruel, bien qu'entre deux générations de géants il y ait place pour plusieurs géné¬rations d'hommes. Ce sont là détails sans grande importance; une exactitude trop

rabelais

« épopées avaient raconté les Enfa nces Vivien et la Chevalerie Vivien, les Enfa nces Ogier et la Chevalerie Ogier, etc.

Le dernier chapitre de Pantagruel annonçait ce que serait « le reste de l'histoire » : Pantagruel devait voyager en Orient, conquérir des iles lointaines, épouser la fille du roi de l'Inde, -comme plus d'un chevalier, comme Alexandre le Grand, si populaire au Moyen Age, comme Florimont, comme les fils de Mélusine ...

Il devait même aller combattre les démons en enfer et monter dans la lune, comme l' Astolphe du Roland furieux : il n'en fait rien, et Rabelais n'avait jamais pensé sérieusement à lui en rien faire faire, mais les voyages de Pantagruel dans le Quart Livre (1548 et 1552) et dans le Cin quième Livre (pos­ thume, 1562 et 1564) correspondent en somme à une partie intégrante des romans chevalere sques.

Par ailleurs, la quête du mot de la Dive Bouteille rappelle la quête du Graal.

Les exploits de Pantagruel dans le livre de 1532 ressemblent aux exploits des chevaliers : les méchants géants sarrasins sont représentés ici par les géants du roi Anarche et leur capitaine Loup Garou qui en mourant crie : « Mahon ! Mahon ! Mahon 1 »; le merveilleux auquel la littérature chevaleresque avait fait de plus en plus de place, c'est ici Gargantua transporté par Morgue (Morgane) au pays des fé es, « comme fut jadis Ogier et Artus », c'est la voix céleste qui répond à la prière de Pantagruel, la massue de Loup Garou qui est fée, la résurrection d'Epistémon et la relation de sa descente aux enfers où il a vu, parmi les héros de l'Antiquité et les grands personnages de l'histoire moderne, une quinzaine de personnages de romans ; c'est aussi, en un sens diférent, les forêts et les villes qu'abrite la gorge de Pantagruel, le déluge que produit son urine, les sources qui en naissent, les nombreuses traces encore visibles de l'existence du géant, grosse chaîne dans le port de La Rochelle, cuve de pierre à Bourges, pierre levée à Poitiers, globe de cuivre à Orléans sur le clocher de Sainte-Croix ...

Et même, à la façon d'un Brec ou d'un Yvain, bien qu'avec moins de déchirement, Pantagruel n'a-t-il pas dû choisir entre l'amour et la prouesse et abandonner une dame de Paris pour aller en guerre contre les Dipsodes ? A chaque page, travestis et parodiques mais plai­ sants à l'imagination, on rencontre des souvenirs des grandes fictions élaborées au cours des siècles précédents.

Il faut surtout retenir leur caractère populaire : d'autres influences se sont exercées et s'exerceront sur Rabelais, celles de Lucien, d'Erasme, de Th.

Morus, des épopées bouffonnes ou héroi-comiques de l'Italie renaissante (Pulci, Folengo, Arioste, Boiardo) ; elles sont livresques, tandis que l'héritage médiéval est vivant.

Les romans en prose abandonnés par les gens cultivés n'auraient pas eu un tel succès, si durable, ils n'auraient pas inspiré de brochures comme les Grandes Cr onicques (A.

Lefranc en compte cinq ou six versions différentes), s'ils n'avaient pas parlé à l'imagination populaire, qui fondit ensemble la tradition épique et romanesque et la tradition comique.

Cette dernière, elle aussi, est chez Rabelais, qui s'inspire des fabliaux, des farces, de Pathelin, du Franc Archer de Bagnolet.

Pantagruel était un petit diable qui avait le pouvoir d'altérer prodigieusement les gosiers (on disait, et Rabelais dit encore, « avoir le pantagruel ») , pouvoir que le héros de Rabelais manifeste à plusieurs reprises dans le livre de 1532; Gargantua était un géant de la mythologie paysanne, on a recueilli des indices prouvant l'exis­ tence de sa légende avant l'œuvre de Rabelais .. »

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