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Descartes (Règles pour la direction de l'esprit, Règle IV)

Publié le 27/02/2008

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descartes
Les Mortels sont possédés d'une curiosité si aveugle que souvent ils engagent leur esprit dans des voies inconnues, sans aucun espoir raisonnable, uniquement pour courir le risque d'y rencontrer ce qu'ils cherchent. Il en est d'eux comme d'un homme qui brûlerait d'un désir si stupide de trouver un trésor qu'il serait sans cesse à errer sur les places publiques pour chercher si par hasard il n'en trouverait pas quelqu'un de perdu par un voyageur. C'est ainsi qu'étudient presque tous les Chimistes, la plupart des Géomètres et un grand nombre de Philosophes. Certes, je ne nie pas qu'ils n'aient parfois assez de chance dans leurs errements pour trouver quelque vérité ; néanmoins, je ne leur accorde pas pour cela d'être plus habiles, mais seulement d'être plus heureux. Or, il vaut beaucoup mieux ne jamais penser à chercher la vérité d'aucune chose plutôt que de le faire sans méthode : il est tout à fait certain, en effet, que les études de cette sorte faites sans ordre et les méditations confuses obscurcissent la lumière naturelle et aveuglent les esprits. Quiconque s'accoutume à marcher ainsi dans les ténèbres s'affaiblit tellement l'acuité du regard que dans la suite il ne peut supporter le grand jour. C'est même un fait d'expérience : nous voyons le plus souvent ceux qui ne se sont jamais consacrés aux lettres juger de ce qui se présente à eux avec beaucoup plus de solidité et de clarté que ceux qui ont toujours fréquenté les écoles. Quant à la méthode, j'pntends par là des règles certaines et faciles dont l'exacte observation fera que n'importe qui ne prendra jamais rien de faux pour vrai, et que, sans dépenser inutilement aucun effort d'intelligence, il parviendra, par un accroissement graduel et continu de science, à la véritable connaissance de tout ce qu'il sera capable de connaître. Descartes (Règles pour la direction de l'esprit, Règle IV)Quelle est l'idée fondamentale de ce texte ? L'authentique recherche de la vérité doit obéir à une méthode, c'est-à-dire à un mode d'emploi judicieux des instruments intellectuels. La méthode, conçue comme ensemble de règles à suivre pour atteindre la vérité, est rigoureusement indispensable. Le problème posé par ces lignes est donc le suivant: est-il nécessaire de posséder un instrument intermédiaire, quand on veut accéder à la vérité, ou bien cette dernière s'offre-t-elle à l'esprit, sans cette médiation ? Le texte se divise en deux parties. La première (qui va de « Les Mortels » jusqu'à « plus heureux ») expose la « voie empirique », par tâtonnements purs, voie très répandue dans le monde : les hommes procèdent, bien souvent, à l'aveuglette et ils errent. Descartes, dans la seconde partie du texte, met à jour, de manière très progressive, l'idée de méthode, en l'opposant aux procédés aveugles décrits dans la première partie (cette seconde moitié du texte va de « Or, il vaut » jusqu'à « connaître ».

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« développement et souligne l'aspect négatif et les insuffisances criantes de la quête réalisée au hasard.

Examinonssuccessivement ces deux parties du développement de Descartes. a) « Les Mortels...

Philosophes». Les Mortels, nous dit Descartes, sont possédés d'une aveugle curiosité : il n'est pas indifférent que le verbe soit icià la forme passive.

En effet, les êtres humains sont quasi dominés (possédés) par une tendance extrêmementpuissante, qui s'empare d'eux et fait d'eux son jouet.

C'est contre cette tendance extrêmement puissante, qui lesmène et les conduit, que l'idée même d'un mode d'emploi judicieux de nos facultés intellectuelles va s'élaborer.Mais quelle est cette tendance si puissante qui mène les humains ? C'est, dit Descartes, l'aveugle curiosité.

Cetteexpression énonce et décrit un état contradictoire, où deux termes sont en lutte : en effet, la curiosité désignecette tendance qui porte l'homme à comprendre et à saisir des choses nouvelles.

Or, la curiosité humaine estaveugle ; elle est donc incapable de discerner correctement les choses.

L'homme est curieux de tout, il tente desaisir le sens d'une multiplicité de phénomènes, mais son appétit et sa soif de connaître sont privés de la visionvéritable des choses ; ils se meuvent, on va le voir, à l'aveuglette.Comment, en effet, les hommes procèdent-ils ? Ils dirigent leur esprit, c'est-à-dire le principe même de la pensée etde la réflexion, en des voies inconnues, c'est-à-dire en des chemins rigoureusement ignorés et obscurs, selon uneapproche étrange : privés de tout espoir raisonnable, à savoir de toute attente conforme à la raison, justifiée etlégitime, ils se bornent à « courir le risque d'y rencontrer ce au 'ils cherchent », c'est-à-dire de trouver, par le seulhasard d'une fortuite rencontre, l'objet de leurs vœux.Ainsi, dès le début, l'absurdité de toute recherche « empirique », au sens négatif de ce terme, de toute quête faitepar hasard et sans règles rationnelles, saute aux yeux.

En effet, minces sont les chances de trouver par hasard unobjet déterminé en des voies totalement inconnues et obscures.

Cette idée théorique — à savoir qu'en touteschoses on ne fait rien sans méthode, bien que ce mot de méthode ne soit pas encore prononcé — est illustrée, dansla phrase suivante, par un exemple imagé.

Descartes compare, en effet, la recherche désordonnée de l'objetthéorique à la quête de l'homme qui cherche un trésor, n'importe où et n'importe comment.

Dans cette secondephrase, le mot important est celui de hasard.

En effet, l'individu à la recherche d'un trésor procède en cherchant si« par hasard » il n'en trouverait pas : par hasard, c'est-à-dire à la suite d'un événement fortuit, par un concours decirconstances inattendu et inexplicable.

En quête de son trésor, l'homme espère alors, par suite de circonstancesfortuites, en trouver un perdu.Ce qui caractérise donc cette quête est son caractère d'errance vague.

En effet, notre homme, recherchant sontrésor, erre sur les places publiques : cette description est ici significative.

Il va de côté et d'autre, au hasard, àl'aventure, n'importe comment.

Il déambule.

Loin d'aller selon un plan précis, il se dirige en n'importe quelle direction.Ceci représente l'antithèse de ce que sera la méthode.

Avoir une méthode, nous le verrons, c'est, précisément, nepas aller n'importe comment.Le choix de l'exemple montre au surplus la très faible probabilité d'arriver à un résultat de cette façon : les trésorssur une place publique sont vraiment très rares.Enfin, dans la dernière phrase de cette première sous-partie, Descartes note que les chimistes, géomètres etphilosophes procèdent ainsi.

On remarquera que le manque de méthode caractérise philosophes, bien sûr (ce qui n'arien d'étonnant.

Chacun sait que Descartes a beaucoup critiqué la Scolastique qui régnait en son temps), mais aussichimistes (ce qui n'est pas davantage troublant, puisque la chimie moderne a été fondée, au 18e siècle, parLavoisier), et enfin géomètres.

Dire que les géomètres, eux aussi, procèdent sans méthode peut nous étonner, carDescartes, on le sait, se plaisait beaucoup aux mathématiques et à l'évidence de leurs raisons.

Néanmoins, lephilosophe a parfois souligné que la géométrie des Grecs s'appuyait essentiellement sur l'imagination.

Dès lors, ellen'était pas exempte de certains défauts et l'on peut ainsi comprendre la sévérité du jugement de Descartes. b) « Certes...

plus heureux». Cette seconde sous-partie forme, comme nous l'avons dit plus haut, transition vers la seconde grande partie (cellequi va de « Or, il vaut » jusqu'à « connaître »).

En fait, montre Descartes, quand les hommes procèdent entâtonnant, par hasard, en allant à droite ou à gauche, il advient parfois qu'en se dirigeant au hasard (dans leurserrements), ils trouvent quelque vérité, c'est-à-dire quelque être réel et véritable.

Mais cet être réel et véritable estobtenu, ici, non point par raison, par mode d'emploi judicieux de nos facultés, mais par chance.

Alors, c'est parhasard heureux que l'être réel est trouvé, de manière fortuite et non point de manière nécessaire, grâce à une routejudicieusement choisie.

Aussi Descartes voit-il en ces « découvreurs » des individus plus heureux — c'est-à-direbénéficiant d'une chance favorable, favorisés par le sort — qu'habiles, c'est-à-dire exécutant ce qu'ilsentreprennent avec adresse, intelligence et compétence.En somme, la chance peut leur sourire et leur permettre de réussir, même si l'adresse leur manque.

Mais alors leproblème est de faire preuve d'adresse, même si la chance favorable n'est pas de notre côté.

Comment, dès lors,arriver à réussir, même privés de l'heureuse chance ? C'est ce que Descartes va nous montrer, dans la secondegrande partie, avec l'idée de méthode. B) Seconde grande partie : «Or il vaut...

connaître». Cette seconde grande partie se subdivise, elle-même, en trois sous-parties.

La sous-partie n° 1 (« Or...

jour »)souligne que les recherches effectuées sans méthode nuisent à la pénétration de l'esprit et l'aveuglent.

La sous-partie n° 2 («C'est...

écoles») prend l'exemple de 1'« honnête homme » — qui juge bien de tout sans sotte érudition- comme contre-épreuve de la thèse du caractère nuisible de la fausse culture, accumulée sans méthode.

Enfin lasous-partie n° 3 («Quant...

connaître») définit la méthode proprement dite et constitue le point d'aboutissement. »

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