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PEUT-ON DETESTER LA SCIENCE ?

Publié le 03/09/2012

Extrait du document

On pourrait, pour en terminer, pointer un troisième paradoxe dans cette communauté dont le pouvoir ne peut plus être géré par le savoir. C’est le discours relativiste qui prétend réduire la réalité à un phénomène mis en perspective par un discours. La science serait comme l’art ou la religion, pas plus ni moins. La PERTE DU REPERE CULTUREL est associé à LA PERTE DE LA REALITE, celle d’une Physique sans Physis. L’un des savants les plus libres, les plus audacieux, les moins serviles l’a dit et redit (cela l’a privé du Nobel) : « Les étudiants n’étudient plus la nature, ils vérifient les modèles « écrivait Erwin Chargaff (le découvreur des nucléotides ; il est l’inventeur des noms A,T,C,G ; et sans lui l’ADN n’aurait pu être découvert, ce que Watson évidemment s’est bien gardé de signaler). « Si des oratorios pouvaient tuer, disait-il, le Pentagone aurait depuis longtemps soutenu la recherche musicale «. Quand à l’avenir du biopouvoir, sa sentence se passe de commentaire : « La technologie de la biopoièse – la création de la vie – fera des siècles futurs un cauchemar dont personne n’a idée. « S’il y a une détestation de la science, elle n’est pas sans motif, ou mobile (comme on voudra) ; elle ne relève pas d’une confusion entre la science (innocente) et la technique (diabolique) comme si Faust était manipulé par Méphisto. C’est bien de la science qu’il s’agit, de ses fantasmes dominateurs, de ses naïvetés dangereuses (qu’on songe à Haber, né juif et inventeur du gaz moutarde et du Zyklon B), de ses maigres scrupules (compétitivité acharnée, fraudes, pratiques du secret, violation des correspondances, corruptions, profits indécents). De la science et de ses excuses hypocrites, de ses aveuglements. LA PERTE DE L’HUMAIN est finalement la menace la plus grave que le scientisme fait peser sur le monde. LA COMMUNAUTE DU DENI, pour qui aucun YUCK FACTOR n’arrêtera le désir baconien d’aller plus loin, entraînera tout dans son nihilisme

« conviction qu'elle le serait en effet – on soumettrait le condamné à une surveillance à vie.

» Le grand Pasteur joue avec la vie de cobayes plutôt « involontaires », ici àpropos de la rage, plus tard à propos du choléra.

C'est la naissance de ce que Michel Foucault appellera le Biopouvoir, ou la biocratie, et dont l'eugénisme (américaind'abord) sera la forme la plus spectaculaire.Ce qui a manqué à Pasteur pour passer à l'acte (le pouvoir d'Etat), les physiciens du Projet Manhattan l'ont eu.

« Je suis devenu la Mort, destructrice des Mondes »Cette parole hindoue, Robert Oppenheimer l'avait à l'esprit après avoir conduit avec succès le Projet Manhattan.

« En novembre 1945, quittant la direction duprogramme, il s'adresse à toute son équipe de chercheurs pour leur dire comment il considère leur réalisation commune et ce qu'elle peut présager.

Il commence parévoquer son ignorance de ce qu'est la politique et par souligner que l'utilisation de la bombe n'est pas l'affaire des scientifiques : « IL NE FAUT PAS CONFONDREL'ACTEUR AVEC L'INSTRUMENT, et si d'aventure l'instrument se prend pour l'acteur, c'est justifier l'intrusion la plus hasardeuse des scientifiques, la moinssavante, la plus corrompue dans des domaines dont ils n'ont ni l'expérience ni le savoir ni la patience pour y accéder.

» Et il poursuit en notant que les scientifiquesqui ont travaillé à la bombe ont du mal à identifier leurs motivations : ils ont cherché à précéder les Allemands, à gagner guerre, à satisfaire leur propre curiosité, àdonner libre cours à leur sens de l'aventure, à découvrir si une bombe atomique pouvait être construite et, si c'était possible, à en développer de si puissantes que toutguerre serait écartée des Nations-Unies : « Je pense que toutes ces choses que les gens ont colportées sont vraies, et je pense que je les ait dites moi-même à unmoment ou à un autre.

Mais aucune de ces motivations n'est profondément la bonne – la racine de toutes les autres.

Quand vous descendez droit au fond des choses,la raison pour laquelle nous avons fait ce travail est que ce fut une NECESSITE ORGANIQUE.

Si vous êtes un scientifique, vous ne pouvez pas arrêter ce genre dechoses.

Si vous êtes un scientifique vous croyez qu'il est bon de découvrir comment le monde fonctionne ; qu'il est bon de découvrir ce que sont les réalités ; qu'il estbon d'offrir à l'humanité tout entière le plus grand pouvoir possible de contrôler le monde.

»Répondre à la question comment, à la question pourquoi, et faire du savoir un pouvoir, de la théorie une maîtrise, voilà le destin du scientifique, son DHARMA, sondevoir-destin au sens de la sagesse hindoue, dont Oppenheimer était imprégnée.

» Que dit encore la religion des Védas ? « Si la lumière de mille soleils éclatait dansle ciel au même instant, ce serait comme cette glorieuse splendeur.

»Qui se souvient aujourd'hui qu'il y eut un procès Oppenheimer, comme il y eut un procès Galilée, toutes proportions gardées ? Il subit une audition (il risquait laprison et en cas de trahison avérée la chaise électrique) : le procureur Roger Robb l'attaqua devant trois juges d'un Comité de défense nationale.

L'audition duraquatre semaines (avril-mai 1954) et devait se dérouler à huis clos (comme pour Dreyfus).

Mais au bout de huit jours, la presse s'en mêla et la controverse s'amplifia,des documents « disparurent ».

On reprochait à Oppenheimer de n'avoir pas dénoncé un de ses amis (qui avait des sympathies communistes), agent en relation avecun certain Dr Malraux (il s'agit d'André Malraux, la paranoïa américaine ayant ici frisé le ridicule du tribunal de l'Inquisition).

Oppenheimer, espion soviétique(comme Fermi, Bohr) ? Affabulation : mais il faudra attendre le rapport Clinton (FBI, mai 1995) pour que les accusés aient le bénéfice du doute.

Un haut responsableaméricain reconnaîtra : « il n'y a pas eu de procédure comme celle-là depuis l'Inquisition espagnole » (documents truqués, atteintes à la vie privée, vices de formes ensérie, tous les droits constitutionnels de l'accusé bafoués, documents prétendument confidentiels, écoutes téléphoniques datant de dix ans, atteintes aux opinionspersonnelles).

Le verdict le priva de ces accès aux secrets militaires et stratégiques, mais il conserva comme Galilée, le droit de pratiquer sa science.

Son ennemiodieux, méprisé de tous les scientifiques, Edward Teller, sera à l'origine du projet antimissile de Reagan.2 Où sont donc passés « les meilleurs des hommes » (C.S.Pierce), les bienfaiteurs de l'humanité qui vivent selon l'évangile de Merton (universalité, communalisme, désintéressement, scepticisme organisé) dans le souci duvrai, du bien et du beau, etc.

? Les Jésuites remplacés par l'U.S.

Air Force, le refus de la superbombe par Oppenheimer vécu comme une trahison dans une ambiancehystérique : les intérêts de l'Etat ne sont pas plus tolérants que les intérêts de l'Eglise romaine, et dans les deux cas il y eut complot contre un scientifique jugé trop« cultivé », humaniste (donc communiste).

Complot auquel ont participé des scientifiques rivaux, sans scrupules, favorables à la prolifération des têtes nucléaires et àla destruction de l'Empire du Mal. LA SCIENCE DESTESTEE.

LE YUCK FACTOR. Il y a une limite qui a été franchie, celle du noyau.

La science est devenue nucléaire : elle a brisé l'atome, et ouvert le noyau cellulaire.

Les particules et les gènes sontles objets scientifiques du vingtième siècle.

Les choses ont alors changé : à chaque fois, les scientifiques se sont impliqués dans la découverte, l'application,l'industrie (civile et militaire) que ces savoirs engendraient.

La différence entre l'acteur et l'instrument, derrière laquelle se réfugiait encore Oppenheimer, a disparu.La question de la responsabilité du savant ne se pose même plus.

Depuis le modèle pastorien (Louis Pasteur), modèle ambigu du bienfaiteur de l'humanité et duchimiste prêt aux expérimentations plutôt douteuses (pourquoi vouloir expérimenter sur des condamnés à mort si l'opération est, d'après lui, sans réelle gravité ?), lascience s'est politisée et militarisée (Haber pour le gaz moutarde, Projet Manhattan, V2 de Von Braun).

L'acteur n'est plus séparé de l'instrument.

Le savant est « soussurveillance » politique (il ne peut pas publier n'importe quoi, ni changer de pays, etc.) : il est considéré comme un capital stratégique.A cette image nouvelle du savant impliqué s'ajoute celle d'un Progrès devenu suspect : « l'idée de progrès est sous bénéfice d'inventaire » dit Jean-Jacques Salomon.La science donne l'image d'un pouvoir supérieur au savoir : on peut faire plus qu'on ne sait ; on ne sait pas où l'on va, mais on y va, et si possible avant les autres.Après la course aux armements, aux brevets (vaccins du sida, gènes, OGM), aux carrières, aux Prix Nobel (qu'on lise le livre de James Watson sur la double hélice,d'un rare cynisme en la matière)3, viennent les fantasmes les plus fous relatifs aux nanotechnologies, aux cellules-souches, aux utérus artificiels.

On ne sait plus quelsseront les effets des actes savants : implanter des souches de neurones humains chez la souris, ou des cellules animales chez des embryons humains, est nonseulement possible mais déjà fait.

Les savants « promettent tous », la main sur le cœur, d'arrêter le processus au quatorzième jour, au trentième etc.

Qui le croira ? Lemonde est-il suspendu à la vertu suspecte de quelques savants dont l'histoire a montré combien ils peuvent être naïfs ou sans scrupules.

Le phénomène a pris une telleampleur que des scientifiques eux-mêmes (la science a aussi sa conscience) ont parlé d'un YUCK FACTOR, un facteur de dégoût (POUAH ou BERK !), d'un affectqui dit que cela suffit, que poursuivre est écoeurant.

Produire des chimères qui annoncent L'île du Docteur Moreau,4 envisager une Mère-Machine (privant lesfemmes du choix de la grossesse), un design des bébés (Bienvenue à Gattaca !), tout ceci explique fort bien qu'on puisse détester une science qui a perdu ses repèrehumanistes et ses scrupules culturels, une science inhumaine.

INHUMAINE, parce que l'augmentation du savoir va de pair avec une perte du sens.AUGMENTATION DU SAVOIR ; PERTE DU SENS.

Tel est bien le problème de la science aujourd'hui.

La question majeure est sans doute celle-là : la poursuitede la science garantit-elle une quête du sens ? A cette description réaliste de la science (nous sommes encore en-deça de la vérité), les scientifiques réagissentdiversement : certains luttent, entrent en dissidence (Einstein, Oppenheimer après coup, Chargaff, Jacques Testard), mettent en garde contre les mystiques modernes(Salomon, Jordan, Lévy-Leblond).

Mais la plupart s'enferment dans une confortable double-pensée.

C'est ce que Salomon appelle « la communauté du déni »,communauté minée par deux paradoxes :Le premier paradoxe consiste à développer un discours de la neutralité au moment où l'implication militaire, industrielle, économique, des savants n'a jamais été aussiforte.Le second paradoxe est de défendre les bienfaits de la science tout en se disant étrangers à ces méfaits (dire en même temps, selon le bien et le mal : c'est grâce ànous, et nous n'y sommes pour rien !). On pourrait, pour en terminer, pointer un troisième paradoxe dans cette communauté dont le pouvoir ne peut plus être géré par le savoir.

C'est le discours relativistequi prétend réduire la réalité à un phénomène mis en perspective par un discours.

La science serait comme l'art ou la religion, pas plus ni moins.

La PERTE DUREPERE CULTUREL est associé à LA PERTE DE LA REALITE, celle d'une Physique sans Physis.

L'un des savants les plus libres, les plus audacieux, les moinsserviles l'a dit et redit (cela l'a privé du Nobel) : « Les étudiants n'étudient plus la nature, ils vérifient les modèles » écrivait Erwin Chargaff (le découvreur desnucléotides ; il est l'inventeur des noms A,T,C,G ; et sans lui l'ADN n'aurait pu être découvert, ce que Watson évidemment s'est bien gardé de signaler).

« Si desoratorios pouvaient tuer, disait-il, le Pentagone aurait depuis longtemps soutenu la recherche musicale ».

Quand à l'avenir du biopouvoir, sa sentence se passe decommentaire : « La technologie de la biopoièse – la création de la vie – fera des siècles futurs un cauchemar dont personne n'a idée.

» S'il y a une détestation de lascience, elle n'est pas sans motif, ou mobile (comme on voudra) ; elle ne relève pas d'une confusion entre la science (innocente) et la technique (diabolique) comme siFaust était manipulé par Méphisto.

C'est bien de la science qu'il s'agit, de ses fantasmes dominateurs, de ses naïvetés dangereuses (qu'on songe à Haber, né juif etinventeur du gaz moutarde et du Zyklon B), de ses maigres scrupules (compétitivité acharnée, fraudes, pratiques du secret, violation des correspondances,corruptions, profits indécents).

De la science et de ses excuses hypocrites, de ses aveuglements.

LA PERTE DE L'HUMAIN est finalement la menace la plus graveque le scientisme fait peser sur le monde.

LA COMMUNAUTE DU DENI, pour qui aucun YUCK FACTOR n'arrêtera le désir baconien d'aller plus loin, entraîneratout dans son nihilisme CONCLUSION.

Pour une épistémologie civique.. »

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