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Sciences & Techniques: Rafale : l'histoire d'une décision

Publié le 22/02/2012

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D'année en année, sa mise en service recule. L'argent manque, bien sûr. Mais est-ce la seule raison ? Et si, de surcroît, il était venu trop tôt ? Peu avant Noël 1976, Marcel Dassault se rend à l'Élysée pour une entrevue avec le président de l'époque : Valéry Giscard d'Estaing. Ses relations avec ce dernier sont moins bonnes, à coup sûr, qu'avec Jacques Chirac, mais il n'a pas le choix. Jacques Chirac a quitté Matignon quatre mois plus tôt, fâché avec le chef de l'État. Le soutien conditionnel que l'ancien Premier ministre accorde à la majorité présidentielle – il vient tout juste de fonder le Rassemblement pour la République – n'en fait pas pour l'instant un atout dans la partie qu'engage le constructeur d'avions.
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« Tandis que le 4000 serait commandé en présérie par l'État, le 2000 serait développé sur fonds propres… L'ancien ministre des Finances qu'est Valéry Giscard d'Estaing a vite fait de comprendre.

Il inverse la proposition : le 2000 seradéveloppé par l'État, le 4000 sur fonds propres.

Sorti de l'Élysée, Marcel Dassault confiera à un intime : " Si l'Irak n'achète pas le4000, il est foutu ! ".

On sait ce qu'il advint par la suite : un seul prototype construit, des performances fabuleuses… et une place aumusée de l'Air. Du même coup, privé de bimoteur, Dassault vient de perdre aussi une carte maîtresse dans la négociation européenne qui se dessineautour du futur avion plurinational, et dont il n'imagine pas un seul instant, s'il doit être mené à bien, de n'être pas le maître d'œuvre.Non sans raison vu la qualité de son bureau d'études.

Surtout, tant l'État, par la voie de son chef, que le constructeur viennent demettre les doigts dans un engrenage qui, vingt ans plus tard, n'en finit pas de faire entendre ses grincements. La fin des années 70 verra donc la France courir deux lièvres à la fois.

D'un côté, le Mirage 2000 est lancé, comme intercepteur, alorsque le Mirage F1, qui poursuit les mêmes missions, vient juste d'entrer en service.

Et dans le même temps, la France participeactivement aux travaux de définition de l'avion européen, qui doit être lui aussi un intercepteur.

Alors que les priorités opérationnellesde l'armée de l'air vont plutôt à un avion air-sol. Le télescopage est d'autant plus fâcheux que la philosophie des besoins en matière d'armes aériennes a singulièrement évolué partoutdans le monde, ce que semble négliger l'exception française.

Depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, le renouvellement desprogrammes d'avions a longtemps été dicté par un unique impératif : la vitesse.

Les rapides progrès enregistrés en la matière faisaientque, dans les années 50 et 60, la durée de vie opérationnelle d'un type d'avion excédait rarement cinq ans.

On vit ainsi se succéder àun rythme trépidant les générations de machines transsoniques, supersoniques, bisoniques.

Puis on buta sur une barrière, auxenvirons de Mach 2,3 : celle de la chaleur.

Très peu d'avions la franchirent.

On peut citer le SR 71 américain, conçu commebombardier et qui finit comme avion de reconnaissance, handicapé par son altitude de croisière et une maniabilité très moyenne.

Dèslors que la vitesse des avions plafonne, qu'en outre, l'évolution des systèmes d'armes commence à transférer aux missiles lesfonctions d'interception à des distances de plus en plus grandes, la nécessité de renouveler fréquemment les appareils s'estompe.

Lavie opérationnelle des machines peut s'allonger sans porter préjudice à leurs utilisateurs.

Elle tend peu à peu vers la vingtaine, puis latrentaine d'années. Pour n'importe quel constructeur, cet accroissement de longévité est une évidente et grave source de problèmes.

Dimensionnés poursortir un avion nouveau tous les cinq ans, les bureaux d'études se voient en effet très sérieusement menacés de rupture de chargequand le rythme doit passer à un avion tous les trente ans.

C'est un problème de fond.

Ni les gouvernements français successifs, ni laDélégation générale pour l'armement (DGA) qui a en charge les programmes d'équipement des armées, ne voudront le comprendre.C'est aussi une source d'angoisse pour Marcel Dassault, dont le bureau d'études de Saint-Cloud, reconnu pour sa valeur en France etdans le monde fait – légitimement – la fierté.

D'où sa ténacité pour tenter d'imposer ses produits contre vents et marées.

D'oùégalement la diversification de sa production vers le civil.

Avec des bonheurs divers.

Si les avions d'affaires Falcon se vendent bien, il aen revanche essuyé un sérieux revers avec l'avion de ligne Mercure.

Après un forcing ministériel appuyé, il parviendra tout juste à lefaire imposer à dix exemplaires à Air Inter. Sans le combler de joie, le demi-succès que constitue la proposition du chef de l'État en décembre 1976 a donc contribué à lerasséréner.

Le Mirage 2000 donnera au moins du grain à moudre à ses ingénieurs.

Reste que ce projet européen risque d'en abrégerla série, puisque les deux avions chasseront sur les mêmes terrains.

Le 2000 est donc développé à marche forcée, et il entrera enservice opérationnel au printemps 1984. Entre-temps, l'état-major de l'armée de l'air n'a pas cessé d'écouter les sirènes multinationales.

Certes, le projet européen a déjàglissé de deux années : on parle maintenant de 1992.

Mais qu'est-ce que deux ans de plus pour un biréacteur si longtemps attendu ?… De surcroît, la perspective de partager les frais de développement et d'industrialisation intéresse la DGA dans une période devaches maigres budgétaires.

Dès 1978, les responsables militaires entament donc des pourparlers avec l'Allemagne et l'Angleterre,d'abord bilatéraux, puis tripartites.

Un consensus se dégage peu à peu : nos deux partenaires ont besoin d'un intercepteur, maisconviennent que des capacités air-sol ne leur seraient pas inutiles.

Lancée dans le Mirage 2000, dont le prototype décolle pour lapremière fois le 10 mars 1978, la France quant à elle a surtout besoin d'un avion d'attaque au sol pour remplacer ses Mirage III etautres Jaguar.

Au fil des mois, les points de vue convergent donc vers un appareil de plus en plus polyvalent. Mirage 2000 ou avion européen ? Par un hasard de l'histoire, les trois états-majors aboutissent à une table minimale de spécifications acceptables… au printemps1981, au moment même où la gauche arrive au pouvoir en France.

Un nouveau ministre, Charles Hernu, est nommé à la Défense.

" Un grand malheur pour la France ! " commente un proche de Dassault à cette époque.

Le jugement est sévère.

En fait, enthousiasmé par des fonctions auxquelles il rêvait depuis longtemps, désireux aussi de laisser son nom accolé à une grande réalisation, ce passionnéde la chose militaire ne saura pas échapper à une contradiction capitale entre son sentiment pro-européen et la pression du complexe– d'abord industriel, puis militaro-industriel – français.

Un expert qui a vécu de près cette époque commente : " Il choisit de ne pas choisir.

Mirage 2000 et avion européen, quoique de caractéristiques différentes, sont voués aux mêmes missions.

Et à l'époque,l'entrée en service du 2000 est prévue pour 1984, et celle de l'avion européen pour 1992.

Tout juste huit ans après, alors que le 2000est censé rester en service jusqu'en 2005 ! C'est un doublon que la France n'avait plus les moyens de s'offrir.

Si Charles Hernu avaitréfléchi, s'il avait été bien conseillé, on aurait dû dès cette époque soit stopper notre engagement sur l'avion européen, soit arrêter ledéveloppement du 2000, quitte à alimenter le bureau d'études de Dassault à travers une politique de prototypes et de démonstrateurssur des dérivés de cet appareil afin de garder un avantage technologique .

". »

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