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Grand cours: L'HISTOIRE (b de f)

Publié le 22/02/2012

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histoire

 

COURS

I) LES FONDEMENTS ET LES ORIGINES DE L’HISTOIRE

Pourquoi l’homme s’intéresse-t-il à son passé ? Pourquoi cherche-t-il à le connaître et pourquoi l’aime-t-il autant ? Comment l’histoire en tant que connaissance du passé est-elle née ? Comment cette discipline intellectuelle, qui se prétend être une science de l’homme, s’est-elle développée ?

A) LES FONDEMENTS DE L’HISTOIRE

1.     L’historialité de l’homme

On peut convoquer à nouveau le thème de la conscience : l’homme n’est pas seulement un être historique, au sens où  ses actes s’inscrivent dans un temps qui ne cesse de s’écouler, mais un être « historial «. On parle « d’historialité « pour signifier la capacité proprement humaine de produire sa propre histoire et de ne pas se contenter de subir le temps comme un destin.

Comme nous le suggère le texte d’Aron, l’histoire est tradition, les animaux n’en ont pas précisément parce que la conscience du passé est constitutive de l’existence historique (cf. Les deux sens du mot « histoire « signalés dans l’introduction).

Cette possibilité est liée, selon Rousseau, à une faculté essentielle, la perfectibilité. Elle est la faculté de se perfectionner, de se transformer à l’infini, de construire sa conduite au gré des circonstances et de relayer la nature lorsqu’elle se montre défaillante. L’homme est capable de faire face à des situations imprévues en inventant des solutions inédites. La liberté, c’est d’abord le pouvoir de dire non à la nature en nous et hors de nous; c’est cette ouverture permanente vers les possibles dont témoigne sans cesse l’histoire humaine. L’homme est cet être qui surprend toujours. Et ce qui s’ouvre par cette possibilité d’enfreindre la règle, c’est aussi bien le pire que le meilleur.

Aussi les sociétés humaines progressent-elles et changent-elles sous l'effet d'une double historicité : celle de l'individu (l'éducation), celle de l'espèce (la politique). Ce qui fait l’identité des hommes, c’est qu’ils sont tous des hommes de culture. La nature de l’homme consiste alors, si l’on peut dire, à ne pas en avoir a priori. Nature absolument libre, l’homme peut se faire, se choisir, il n’a pas d’essence prédéfinie. C’est donc la liberté qui fait l’homme, ce pouvoir de choisir qui fait du sujet humain la cause première et volontaire de sa conduite, et en lequel résident la dignité et la responsabilité humaines. C’est cette ouverture permanente vers les possibles dont témoigne l’historicité humaine.

Pour l’espèce humaine, l’histoire a pris le relais de l’évolution biologique depuis l’homme de Cro-Magnon : il n’y a plus d’évolution biologique sensible, mais des modifications techniques, culturelles. Seule l’humanité au sens strict possède une histoire : dans les sociétés animales, rien ne change, ou presque, d’une génération à l’autre ; l’animal ne peut pas dépasser ce que la nature a fait de lui : « [] un animal est au bout de quelques mois ce qu’il sera toute sa vie, et son espèce au bout de mille ans ce qu’elle était la première année de ces mille ans «   (Rousseau, Discours sur l’origine de l’inégalité). Les animaux n'ont presque pas besoin d'éducation (l'espèce humaine qui, de toutes les espèces animales, connaît la période de juvénilisation la plus longue) : exemple des jeunes tortues qui trouvent spontanément, aussitôt sorties de l'oeuf, la direction de l'océan et savent immédiatement accomplir les mouvements qui leur permettent de marcher, de nager, de survivre.

L’homme, au contraire, reçoit un héritage culturel qui constitue le point de départ pour les innovations, les découvertes, les progrès que la génération nouvelle ajoute à l’héritage et transmet à la génération suivante.

2.     La mémoire

Outre la perfectibilité, la liberté, la conscience, il y a, au fondement de l’histoire, la mémoire.

Vivre dans le présent ne nous donne aucun moyen de le comprendre. Des acteurs de l’histoire on pourrait dire ce que Jésus disait de ses bourreaux : « ils ne savent pas ce qu’ils font «. Une histoire immédiate est impossible : l’histoire du présent n’est pas dans les journeaux d’aujourd’hui mais dans les futurs livres d’histoire. De sorte que l’histoire traite moins du vécu que de l’avoir vécu. La mémoire, sous la forme notamment de l’écriture, libère en quelque sorte le phénomène de l’instant pour lui donner un sens en lui conférant une épaisseur temporelle.

Or, nous n’avons pas à  proprement parler une mémoire, nous sommes une mémoire. Se souvenir, ce n’est pas seulement être, c’est faire être. Les amnésiques sont bel et bien perdus eux-mêmes ; ils ont perdu leur identité, leur être. Je suis ce que j’ai été. Par ailleurs, que seraient les siècles passés sans les traditions, les monuments, les documents, les livres, les musées qui en perpétuent le souvenir ? Et le sentiment d’appartenir à un même passé, de s’inscrire dans une même histoire, dans une même culture, n’est-il pas constitutif de l’identité d’un peuple ou d‘une nation ?

Or, il n’y a pas de mémoire sans choix. Le dictionnaire de l’Académie de 1694 définissait l’histoire comme la « narration des actions des choses dignes de mémoire «. On appelait alors historique ce qui était susceptible d’être imité, le passé servant d’idéal pour le présent et le futur. Or, pourquoi diable nous intéressons-nous au passé ? Le passé, puisqu’il est aboli, ne devrait pas nous préoccuper. Or, les hommes déploient des efforts infinis pour empêcher le passé de s’abolir : en témoignent les récits historiques, les biographies, les recherches généalogiques, les collectons de souvenirs, etc.

Première raison sans doute : il est impossible à l’homme de vivre dans le seul présent. Une figure fondamentale de notre intérêt pour le passé réside sans doute dans la nostalgie, le mythe d’un paradis perdu que nous portons en nous, comme le signale Alquié dans Le désir d’éternité. «  Les seuls paradis sont les paradis perdus  «  (Milton, Paradise lost) : il n’y aurait pour l’homme de paradis possible que dans la nostalgie, dans ce qui est passé. Le passé, c’est à la fois la force des géniteurs et l’innocence de l’enfance. Le passé nous intéresse comme un rêve et nous comprenons dans le thème de l’enfance cet attachement viscéral pour le passé qui est davantage que de l’intérêt.

Deuxième raison  également : si nous sommes intéressés par le passé, c’est parce qu’il a une façon nsistante et parfois insupportable de s’immiscer dans notre vie présente. Sur un plan psychologique et individuel déjà, nous sommes dépendants, dans notre présent, de ce que notre passé a été  et il faut l’affronter pour pouvoir  être dans ce présent et pour tracer notre avenir. C’est ce que montre la psychanalyse : le passé n’est pas seulement dans ce que nous avons perdu ; il détient la clef des mécanismes profonds qui sont à l’oeuvre en nous. Exemple du « travail du deuil « chez  Freud qui se distingue en trois phases successives : d’abord une phase d’idéalisation de ce qui est perdu ; ensuite une phase dans laquelle le sujet s’identifie avec ce qu’il a perdu (phase de dépression) ; cette phase est suivie par une autre qui met terme au travail du deuil et qui consiste à tuer le mort.

En ce qui concerne notre intérêt pour le passé collectif – ce qui est proprement l’histoire -, une troisième raison, qui recoupe la seconde, et que nous étudierons dans une partie spécifique (il s’agit d’un autre fondement de l’histoire), se fait jour : nous nous intéressons au passé pour que notre présent ait un sens. C’est tout le problème de la causalité qui, nous le verrons, constitue un des grands problèmes épistémologiques de l’histoire et de la science en général.

3.     La causalité (analyse comparative d’un texte de Hegel et d’un texte de Marx)

L’homme ne s’intéresse pas seulement au passé sur un mode affectif, onirique, mythique : il s’y intéresse intellectuellement pour une raison très simple : expliquer un phénomène, une situation, c’est en déterminer les causes. La causalité est au fondement de la démarche rationnelle et scientifique. Or, la relation de causalité est une relation de temporalité (la cause vient logiquement avant, l’effet après). De ce fait, le passé est la condition même de la compréhension du présent. Le présent ne peut fournir seul les moyens de sa propre élucidation.

Aussi cherchons-nous à comprendre les événements passés pour trois raisons essentielles : parce que le passé détermine et explique le présent ; parce que le passé contient une bonne part de notre identité : on est, comme on l’a dit, ce qu’on a été ; parce que nous sommes hommes et que rien d’humain ne nous est étranger (chaque génération, par exemple, bénéficie, comme l’a montré Marx, du travail accumulé par les générations antérieures) .

Il en est de même pour tout : l’idée nouvelle (en science, par exemple) émerge des idées anciennes, de même qu’une vague repasse par le chemin de la précédente pour aller un peu plus loin. D’où l’idée que l’on pourrait tirer des leçons de l’histoire : le passé, en effet, est un répertoire infini d’échecs et de réussites. Des leçons pourraient, semble-t-il, en être tirées. Par exemple, le souvenir du nazisme rend méfiant à l’égard du racisme et du totalitarisme. Si le passé permet de comprendre le présent, nous devrions pouvoir tirer des leçons de l’histoire, c’est-à-dire du passé. Or, y a-t-il des leçons de l’histoire ? Cette question est une autre façon de traiter la question : «  quelle peut  être l’utilité de la connaissance du passé ?  «.

Nous envisagerons cette problématique à partir de l’étude comparative de deux textes : un de Hegel (les leçons de l’histoire), l’autre de Marx (l’histoire comme farce).

L’idée qu’il n’y a pas de leçons de l’histoire aboutit  à une sorte de paradoxe : la mémoire exprime davantage le sujet présent que l’objet passé. On ne pose jamais au passé que les questions auxquelles on sait répondre. Nous sommes intéressés par le passé puisque, de nos présents successifs, nous lui adressons toujours d’autres questions, nous revenons avec lui avec de nouvelles interrogations sans cesse renouvelées. C’est finalement notre présent qui renouvelle notre intérêt pour le passé plutôt qu’il ne nous écarte de lui. Le texte de Marx sur la farce de l’histoire permet de bien être en  évidence ce point.

S’il n’y a pas de leçons de l’histoire, comme le montre Hegel, si chaque événement est singulier, par opposition à la répétition cyclique des manifestations naturelles, peut-on alors parler de «  science historique « ? Ce problème épistémologique sera examiné dans la deuxième grande partie de ce cours. En attendant, penchons-nous sur la naissance et le développement de la connaissance historique. Quelle est l’histoire de l’histoire (ce qu’on appelle l’historiographie)

B) NAISSANCE ET DEVELOPPEMENT DE LA CONNAISSANCE HISTORIQUE

(documents annexes distribués aux élèves sur l’historiographie française, ainsi qu’une cartographie de l’historiographie contemporaine)

L’histoire proprement dite est née de la raison grecque et de l’écriture (pas d’histoire sans écriture). L’histoire est mémoire, substitution de l’authentique aux mythes, aux épopées, aux récits légendaires. Elle signifie d’abord l’élimination de tous les êtres et facteurs surnaturels. Un historien s’intéresse au réel.

Hérodote (485-425 av. jc.) est considéré comme le père de l’histoire. Comme Hippocrate, en médecine, dont Hérodote fut le contemporain, il se refusait à donner des causes surnaturelles à des phénomènes naturels. Hérodote a étudié les guerres médiques qui ont opposé les cités grecques unies sous l’égide d’Athènes à l’Empire perse de 490 à 479 av. jc. Hérodote décrit les guerres médiques et leurs causes lointaines.

L’autre père fondateur de l’histoire est Thucydide (460-396 av.J.-C) qui, dans La guerre du Péloponnèse, mène enquête en rassemblant des informations de toutes sortes, en contrôlant ses sources et, surtout, en recherchant la cause générale de la guerre (l’impérialisme d’Athènes).

Hérodote et Thucydide ont inventé une nouvelle façon de regarder le passé et ont jeté les bases de la méthode historique : recueil scrupuleux des témoignages, interrogation critique sur les faits rapportés, souci du détail, recherche des causalités et de leur enchaînement, conscience de la complexité et de l’enchevêtrement des événements, exposé objectif de ce que l’on sait, de ce que l’on ignore, de ce qui peut faire l’objet de débat, etc.

Le travail de l’historien n’est pas tant de raconter, à la façon du romancier, ce qui s’est passé. L’histoire n’est pas un récit mais une analyse ; elle révèle un travail de compréhension, une volonté de recherche explicative. L’historien est celui qui tente d’établir, à partir des faits, les causes, les enjeux, les conséquences de l’événement. L’historien ne se contente pas du pittoresque de la description, il a pour ambition essentielle d’extraire un certain ordre à partir du chaos des données.

Ne pas confondre la petite histoire et l’Histoire. La petite histoire est celle qui raconte au lieu d’expliquer, qui attache de l’importance aux détails et transforme en fait n’importe quel événement.

Principe essentiel de la rationalité scientifique, mis en  évidence par Hérodote : les causes et les effets doivent se situer sur le même plan, on ne peut assigner les dieux comme causes d’événements qui affectent la nature ou touchent les sociétés humaines. L’historien, de plus, est celui qui apportera ordre et clarté dans le fouillis où les faits s’entrecroisent et qui déterminera des relations entre ces faits. Quelle est alors l’intention historique depuis Hérodote ? Etablir des faits, parvenir à une connaissance valide et vraie, tenter une synthèse établissant des liens de causalité. Il ne s’agit pas de raconter ce qui s’est passé ; l’histoire n’est pas tant un récit qu’une analyse ; elle révèle un travail de compréhension, une volonté d’extraire un certain ordre à partir du chaos des données, comme un biologiste cherche des lois dans le fourmillement de la vie.

L’histoire de l’histoire se caractérise par la scientificité de plus en plus poussée des méthodes d’investigation, liée aux progrès techniques, scientificité qui, nous le verrons, peut donner l’illusion que l’histoire est une authentique science (c’est l’illusion que connaissent ou ont connue la plupart des sciences humaines. Cf. Le cours « constitution d’une science de l’homme «). Ces méthodes d’investigation (procédés de datation, critique documentaire, utilisation de l’informatique et des méthodes quantitatives, etc.) permettent à  l’historien d’utiliser des documents fiables.

La constitution de l’histoire scientifique s’est faite en plusieurs temps (exemple de l’historiographie française – cf. Document joint) :

1.     Aux alentours de 1830-1860 , l’école romantique (A. Thiery, Michelet, etc.) qui pose les prémices d’une histoire scientifique : histoire érudite, exaltant la grandeur des héros, participant d’ailleurs à la construction nationale, volonté d’écrire « une histoire totale «  (Michelet) à partir de documents originaux.

2.     A partir de 1860, influence du positivisme (Taine, Ernest Renan, Fustel de Coulanges) : élaborer une histoire rationnelle en s’inspirant des sciences de la nature. En 1876, Gabriel Monod fonde La revue historique où est développée une méthode positiviste, inspirée des travaux des historiens allemands. Lire encadré. Histoire qui s’attache essentiellement à la reconstruction minutieuse des événements, en dehors de toute interprétation. « Histoire-bataille «, histoire événementielle qui reconstitue Waterloo, « histoire-biographie « qui dessine la vie de Napoléon. Histoire soucieuse des faits et des événements.

3.     Renouveau des années 1900. Le grand tournant est celui de l’école des Annales qui ouvre l’histoire sur de nouveaux horizons.

3.     Lire le document. L’école des Annales (Annales d’histoire économique et sociale), fondée par Marc Bloch et Lucien Febvre en 1929, va orienter nombre de travaux historiques contemporains. L’école des Annales se constitue notamment contre l’histoire événementielle et positiviste.

4.     A l’événement, fuyant et impalpable, les Annales substituent de longues séquences, de longues durées, ouvertes à l’économie et à la sociologie. Le temps historique n’est plus linéaire mais il comporte des cassures, des ruptures, des discontinuités (intérêt, par exemple, pour l’histoire populaires, les révolutions, les émeutes…). On passe d’une histoire-récit à une histoire-problème fondée sur la description des structures sociales et sur la mise au jour des tendances et des cycles longs du changement.

5.     Une inflexion est donnée  à ce projet des Annales, dans les années 1974, avec ce qu’on appelé la «  nouvelle histoire «  puis, à partir de 1988, par le « tournant critique «.

6.     Le développement de la connaissance historique va dans le sens d’un élargissement spectaculaire du « territoire «  (E. Leroy-Ladurie) des historiens, du champ de recherches. Elargissement géographique, temporel. Ouverture de l’histoire vers les problématiques des sciences humaines (économie, anthropologie…), déplacement de l’intérêt vers l’infra-histoire (histoire sociale, vie quotidienne, histoire des pauvres, des femmes…), la vie économique (histoire des prix, de la croissance, des entreprises, etc.), les configurations culturelles (histoire des moeurs, des idées, des sentiments, etc.). L’histoire devient boulimique – elle traite de tout. Pendant l’histoire a été  celle des rois, des batailles, des révolutions ; elle est devenue celle des hommes dans leur vie quotidienne. Il n’y a plus de limites au « territoire de l’historien «.

CONCLUSION :

L’intérêt intellectuel de l’homme pour son passé renvoie donc à la nécessité, pour donner un sens à son présent, d’en donner un au passé lui-même, le passé étant la condition même de la constitution du présent, même si, comme nous l’avons vu à travers le thème des leçons de l’histoire, la connaissance historique exprime davantage le sujet présent que l’objet passé. L’histoire, en tant que discipline, a elle-même sa propre histoire : les manières d’écrire l’histoire changent, évoluent tant sur le plan des méthodes d’investigation que sur celui des préoccupations. En tout cas, l’histoire prétend depuis longtemps proposer une connaissance scientifique du passé humain. C’est précisément cette prétention qu’il va s’agir maintenant d’examiner.

 

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