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Grand cours: L'HISTOIRE (c de f)

Publié le 22/02/2012

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histoire

II) LES AMBITIONS ET LES LIMITES DE LA SCIENCE HISTORIQUE : LES PROBLEMES EPISTEMOLOGIQUES

Dans cette partie, nous analyserons les finalités, les méthodes et les limites du travail de l’historien. Nous examinerons les problèmes épistémologiques que soulève la connaissance historique : problème du fait historique, de sa constitution, de sa mise en relation avec d’autres faits ; problème de la quantification et de ses limites ; problème de la vérité que produit le récit historique et du rapport entre le discours historique et la subjectivité. En clair, la connaissance historique peut-elle être objective ? En quoi consiste la vérité historique ? L’histoire peut-elle finalement se prévaloir du statut de science à l’instar des autres sciences comme la physique, la biologie, etc. ? Cette question devra être rattachée au cours intitulé « constitution d’une science de l’homme « consacré à  l’épistémologie des sciences humaines.

A) LE METIER D’HISTORIEN

Comment l’historien s’y prend-il pour comprendre le passé ? Quelles sont les caractéristiques de la connaissance historique ?

1.     Les méthodes et le problème de la quantification

Le matériau de base sur lequel travaille l’historien est l’ensemble des documents, écrits ou non, que le passé a légués, volontairement ou pas. Le travail sur les sources est un des piliers du métier d’historien.

L’historien est d’abord celui qui va directement aux documents, décrypte, analyse les documents, constitue des fiches. La rigueur de l’information tient d’abord au souci de trouver les bonnes sources et de les interpréter correctement. Il s’agit de reconstruire une image cohérente du passé avec les pièces d’un puzzle.

La tâche essentielle de l’historien est ce qu’on appelle la critique interne : vérifier l’authenticité supposée d’un document, fixer une date.

Problème aussi de la quantification des données. L’histoire est passée d’un langage qualitatif (celui du romancier : on parlait d’une population nombreuse, d’un pays riche, puissant, etc.) à un langage quantitatif : on mesure une population, la richesse d ‘un pays, la force d’une armée. Invention de nouveaux signes ou concepts liés à ce travail de quantification : pyramide des âges, PNB, PIB, taux de natalité, taux de mortalité, taux de croissance, etc. Cette quantification est la condition de l’objectivité et de la rigueur en science.

Rôle fondamental de l’informatique pour traiter des données de plus en plus nombreuses et complexes. Du coup, les problèmes de l’authenticité et de la datation échappent à l’intuition, à la subjectivité de l’expert pour être résolus en laboratoire. Avant d’être jugé ou expliqué, un phénomène doit être mesuré.

Mais si le chiffre semble donner à l’histoire son brevet de scientificité, la quantification en histoire a des limites qui permettent déjà de souligner les limites de la scientificité du travail de l’historien.

L’utilité de la quantification dépend d’abord des champs d’étude, certains s’y prêtant mieux que d’autres. Par exemple, il est clair que la démographie et l’économie se prêtent bien aux analyses quantitatives, tandis que les relations internationales, les phénomènes politiques, culturels s’y prêtent plus difficilement.

En second lieu, le nombre ne fait en histoire ni loi ni sens. C’est tout le problème des statistiques et des sondages en sciences sociales (exemple des sondages électoraux). Par exemple, les guerres ne son tpas toujours gagnées par les armées les plus puissantes ou les plus nombreuses (exemple de la guerre du Vietnam  selon le nombre les américains devaient gagner mais la détermination d’un peuple à se battre pour son indépendance vaut bien des hélicoptères), les monnaies ne sont pas toujours les signes fidèles de l’économie. Tout n’est donc pas quantifiable en histoire. Rôle fondamental, en histoire, des facteurs psychologiques, moraux qui ne sont pas quantifiables.

Plus important peut-être, enfin, le repli vers le quantitiatif peut signifier le renoncement à l’intelligibilité, l’abandon empirique au « cela est ainsi «, illusion d’une scientificité dans la forme et non dans le contenu. Ce problème est particulièrement vrai avec les sciences économiques.

2.     Le découpage du temps

Outre le problème des sources, l’historien est confronté à un autre grand problème, celui du découpage du temps. Comment périodiser l’histoire, diviser le passé en périodes historiques ayant une certaine unité ?

La signification donnée au fait historique dépend de l’échelle de temps choisie. Le découpage, par exemple, de l’histoire de l’humanité en préhistoire (période qui va de la naissance de l’homme à l’entrée dans l’histoire proprement dite que l’on situe avec l’invention de l’écriture, il y a environ 5000 ans en Mésopotamie), Antiquité (de la naissance des grandes civilisations en Mésopotamie au 3e millénaire avant J.C. – mésopotamienne, égyptienne – jusqu’à la chute de l’Empire romain au Ve sicècle ap. J.C.), Moyen Age (du Ve siècle jusqu’à la Renaissance : 1453 – prise de Constantinople par les Turcs et 1492, découverte de l’Amérique par Colomb), Renaissance, époque moderne et contemporaine, est historiquement daté et revêt un caractère européocentriste. Cette périodisation perd de sa pertinence pour les civilisations non occidentales.

1.     Le temps de l’historien ne se confond pas avec le temps historique correspondant à l’événement effectivement vécu. Pour tenter de dépasser les découpages liés à l’histoire politique de l’Europe, Braudel découpe l’histoire selon des temps différents. Dans La Méditerranée et le monde méditerranéen au temps de Philippe II, il propose de découper l’histoire en trois étages auxquels correspondent des niveaux d’explication et des temporalités différents. L’historien s’appuie sur la mémoire et les mémoires individuelle et collective sont des constructions; le passé est objet de constructions et de déconstructions successives.

2.     Le premier étage : la longue durée du temps géographique, celle des rapports de l’homme avec son milieu. Par exemple, le mode de vie des paysans qui vivent dans un temps « long et presque immobile «. Leur histoire est « lente à couler et à se transformer, faite bien souvent de retours insistants, de cycles sans fin recommencés «.

3.     Le deuxième étage : le temps conjoncturel et cyclique de l’économique, temps de l’histoire sociale, celle des groupes, des Etats, des sociétés. Là, les évolutions se comptent en décennies.

4.     Une troisième temporalité correspond à l’histoire traditionnelle, l’histoire événementielle de l’individu et du politique, une histoire « à oscillation, brève, rapide, nerveuse… «.

5.     Tout mode de périodisation induit une vision de l’histoire. La multiplicité des objets dont traite l’histoire entraîne une multiplicité des représentations du temps. Le temps de l’historien ne se confond pas avec le temps historique correspondant à l’événement effectivement vécu. Braudel, par exemple, propose d’articuler différentes échelles de temps en distinguant : la longue durée du temps géographique, le temps conjoncturel et cyclique de l’économique, l’histoire événementielle de l’individu et du politique. L’historien s’appuie sur la mémoire et les mémoires individuelle et collective sont des constructions; le passé est objet de constructions et de déconstructions successives.

3.     De quelques manières de faire de l’histoire 

La connaissance du passé peut se faire de différentes manières, selon différents styles. L’historiographie contemporaine conjugue souvent ces différentes approches qui souvent n’arrivent pas à livrer une image globale, cohérente, synthétique de tel ou tel phénomène. L’histoire-problème

Elle adopte une démarche qui se veut scientifique : mettre au jour les causes d’un phénomène, dégager les structures, les logiques des phénomènes. S’interroger, par exemple, sur les causes de la révolution russe, la nature du nazisme.

1.     L’histoire compréhensive

L’objectif est de reconstituer l’univers mental, des événements tels que les ont vécus et ressentis les acteurs. Genre proche du roman historique, qui fait une place au récit, à l’art de l’écrivain. Rôle essentiel joué par l’imagination et la réflexion de l’historien . Pour comprendre un phénomène historique (une guerre, par exemple), il ne suffit pas de mettre en avant les faits mais de « regarder les choses avec les yeux de ces guerriers « (Georges Duby, L’histoire continue), tenter de regarder les choses avec les yeux du guerrier, de s’identifier avec les acteurs. Duby dit qu’il s’agit d’un « effort d’incorporation imaginaire «, de « revitalisation « (ibid.) qui exigent que l’historien mette du sien, du subjectif.

2.     L’anthropologie historique

Elle étudie les pratiques alimentaires, sexuelles, les modes vestimentaires, les relations de parenté.

3.     La synthèse historique

Restituer une période, une société dans sa globalité (par exemple, Braudel, La méditerranée et le monde méditerranéen à l’époque de Philippe II).

4.     La monographie

Reconstituer dans le détail l’intégralité des données d’un objet historique très précis : la vie d’un village, par exemple (Le Roy-LADURIE, Montaillou ; village Occitan).

L’idéal, qui n’est pas encore atteint, serait une histoire globale ou totale qui réunirait le causal et le compréhensif, les ordres économique, social, culturel, politique, affectif, etc. Une histoire qui ferait place aux causes, aux structures, tout en faisant revivre les acteurs, leurs émotions, leurs rêves, leurs représentations, etc. Une histoire, en bref, qui saurait faire la place aux tendances et aux mouvements de fond tout en respectant la part des individualités et du hasard.

B) LES LIMITES DE LA SCIENTIFICITE DU TRAVAIL DE L’HISTORIEN

Si l’histoire est allée vers une scientifisation de plus en plus grande de ses méthodes, le statut de l’histoire comme science demeure problématique. C’est d’ailleurs le problème des sciences humaines en général dont l’histoire n’est qu’un exemple. Si la recherche historique revêt un caractère scientifique, il est toutefois évident que la scientificité de l’histoire n’a pas la même rigueur et le même degré d’objectivité des autres sciences. Quelles sont alors les limites de la scientificité du travail de l’historien et, surtout, quelles sont les raisons de ces limites ? 

1.     Les signes de ces limites

Il y en a trois principaux :

1.     Le problème de la causalité

D’abord, le désaccord permanent des historiens pour expliquer et juger un même phénomène, désaccord qui, nous allons le voir, est lié en partie à la difficulté de l’établissement de la causalité en histoire. Alors que dans les sciences expérimentales les divergences initiales entre les scientifiques font place à une reconnaissance unanime, dès lors qu’un résultat a été trouvé, démontré et vérifié, cet accord n‘existe pas en histoire. Ils divergent sur la question des causes et des conditions, ainsi que du jugement global que l’on peut porter sur tel ou tel phénomène.

Le problème de la causalité, soulevé par Hume, est aggravé en histoire : d’abord, une cause n’est jamais observable en tant que telle et c’est pourquoi l’histoire du présent n’est pas dans les journaux d’aujourd’hui mais dans les futurs livres d’histoire ; seules peuvent être perçues des consécutions assez communes pour donner lieu à des hypothèses.

D’autre part, la répétition des phénomènes sur laquelle se fonde la science physique n’est pas repérable dans le monde humain (cf.cours sur le temps) : en histoire, il n’y a pas vraiment de lois donc pas de prédictibilité. L’historien peut juste se contenter de trouver des liens entre les faits. Et c’est justement, montre Hegel, parce que l’histoire n’obéit à aucune loi universelle qu’on ne peut en tirer aucune leçon.

Par ailleurs, corrélation n’est pas raison : les coïncidences existent. Toute la difficulté de l’historien est de savoir qu’une chaîne de causalité commence à tel maillon et s’arrête à cet autre. La chaîne de la causalité a de multiples ramifications. L’historien parle de facteurs plutôt que de causes. Par exemple, une famine apparaît après une mauvaise récolte, celle-ci étant due à la sécheresse : on n'affirmera pas pour autant que le climat est la cause de la famine. L’historien doit également prendre en compte d’autres facteurs tout aussi déterminants comme les facteurs économiques et sociaux sans lesquels une mauvaise récolte semblable n’aurait pas les mêmes conséquences catastrophiques. La notion de facteur permet de souligner l’enchevêtrement ou l’entrecroisement de multiples réseaux de causalités.

1. 2  L’impossibilité de faire la moindre expérience

 

Les hypothèses élaborées par les historiens ne peuvent pas véritablement être vérifiées. On ne peut revenir en arrière. Les hypothèses en histoire, à la différence des hypothèses dans les autres sciences, sont invérifiables, excepté les hypothèses qui peuvent être confirmées par des documents. Certains historiens, par exemple, ont vu dans la faiblesse de Louis XVI l’une des causes de la Révolution française. Comment vérifier l’hypothèse ? On ne peut revenir en arrière, déloger L.XVI de son trône, mettre un autre roi à sa place et voir ce qui se passera.

1.      L’imprévisibilité

La connaissance du passé ne nous assure aucune prévision, aucune connaissance du futur. L’histoire, à la différence de l’astronomie, n’induit aucune prédictibilité. En astronomie, la connaissance des lois de la mécanique céleste permet de prévoir les éclipses du solei, l’amplitude des marées. En histoire, les phénomènes ne sont pas suffisamment répétitifs pour qu’on puisse en tirer des lois : aucune guerre ne se passe exactement comme une autre, toute crise est nouvelle – notion de primultimité.

Exemple : un historien expert en questions monétaires n’est pas mieux placé que quiconque pour prévoir le cours du dollar dans la semaine qui vient.

Au total, la volonté affichée par la connaissance historique d’être une connaissance objective et rigoureuse du passé, rencontre des limites. Quelles sont les raisons de ces limites ?

2.     Les raisons de ces limites

Ces raisons sont à mettre en relation avec la spécificité de l’objet qu’étudie l’historien : le passé humain.

1.1- La primultimité derechef

Seul ce qui peut être conceptualisé peut devenir objet de connaissance. Il n’y a de science que du général : par exemple, on peut conceptualiser la chute des corps ; que ce soit plume ou plomb, tous les corps tombent de la même façon. Qu’en est-il des événements historiques ?

Ils ne se déroulent jamais deux fois de la même façon , chacun d’eux est singulier (cf. Texte de Hegel sur les leçons de l’histoire). Rappelons les deux textes de Marx et de Hegel : toutes les fois que l’on a compris un événement come le retour d’un événement antérieur (1939 – la seconde guerre mondiale -  comme un 1914 – la 1ère guerre ; 1973 – la crise pétrolière – comme un 1929), l’on s’est condamné à n’y rien comprendre et l’on a pratiqué la pire des politiques – celle qui consiste à croire qu’il suffit d’appliquer des recettes toutes pour agir.

Par ailleurs, si expliquer, c’est réduire l’inconnu au connu, dégager des constantes, des généralités, comment expliquer scientifiquement un fait historique ? Dans l’histoire, il n’y a pas de constante universelle à la différence de l’univers physique. Par exemple, ce qui est néfaste à une époque peut s’avérer bénéfique à une autre, et inversement. Rien ne revient, rien ne se répète – d’où l’impossibilité de formuler la moindre loi en histoire.

2. 2 - La subjectivité

Autre raison : il ne suffit pas en histoire de constater un fait, il faut l’interpréter. Les faits sont faits par l’historien . Parler de Croisade, de Renaissance présuppose tout un travail de l’esprit. Les contemporains n’ont pas conscience qu’ils vivent au Moyen-âge, par exemple. Les faits ne s’imposent pas d’eux mêmes. Le chimiste qui étudie une substance, étudie un objet extérieur, étranger, il n’a rien à voir avec l’objet qu’il considère.

Or, l’historien étudie un objet vis-à-vis duquel il ne peut se sentir étranger, cet objet est un objet humain. Lorsque l’objet est de même nature que le sujet qui l’étudie, l’idéal d’objectivité absolue – de détachement, de désintéressement – est impossible.

La subjectivité commence en amont avec le choix de l’objet d’étude. L’interprétation historique ne peut faire l’économie de présupposés d’ordre philosophique. De toutes les causes et conditions possibles d’un événement, d’une société, etc., laquelle paraît déterminante ?

Certains historiens font la part belle aux grands hommes et aux facteurs idéologiques (les libéraux) : exemple, sans Lénine, pas de Révolution russe ; les croisades sont des guerres de religion. Pour d’autres (les marxistes), l’histoire s’explique essentiellement par des facteurs techniques et économiques : les grands hommes sont porteurs de forces qui les dépassent.

Autre exemple : comment interpréter la politique nazie d’extermination du peuple juif ? Dans les années 60 et 70 en Allemagne, une querelle d’historiens eut pour objet l’interprétation du nazisme. Selon certains historiens (les « fonctionnalistes «), la décision prise en 1942 à la conférence de Wannsee d’exterminer tous les juifs d’Europe est la conséquence nécessaire de l’histoire de l’Allemagne depuis le début du siècle (pangermanisme, antisémitisme, défaite de 1918, chaos économique et social de l’après-guerre, crise de 1929, arrivée des nazis au pouvoir), etc. Selon d’autres historiens (les « intentionnalistes «), l’extermination des juifs a été personnellement décidée par Hitler. Dans ce débat, ce qui est en jeu c’est la question de l’importance respective de la nécessité et du hasard en histoire : selon les fonctionnalistes, l’extermination des juifs est déterminée par le passé de l’Allemagne et les circonstances de la guerre ; selon les intentionnalistes, le pouvoir d’un seul individu (Hitler) demeure décisif. Plus le rôle de l’individu est grand, plus la part de hasard est étendue (et si Hitler était mort en 1939 ? Et si Lénine n’avait pas existé ? Pascal à propos du nez de Cléopâtre).

Donc pas d’histoire sans philosophie et sans idéologie. L’abondance des documents et la précision scientifique ne suffisent pas à trancher dans un tel débat. L’historien ne peut faire l’économie du hasard, de la nécessité, de la liberté, des intentions, des motivations. Il ne peut pas non plus échapper au jugement et à l’engagement. Toutes ces questions sont de nature philosophique et non pas scientifique.

Signalons aussi qu’aucun historien ne peut sortir de son présent. « Il n’y a d’histoire que du présent « (Lucien Febvre). La tendance d’une époque est de regarder le passé non tel qu’il est mais telle qu’elle est. Chaque époque tire à elle le passé comme une couverture. Difficulté donc de mettre entre parenthèses la subjectivité de l'observateur : Raymond Aron montre que l'historien ne saurait survoler l'histoire; il vit dans l'histoire, il appartient à une époque, un pays, une classe sociale; l'histoire est un acte de l'historien qui appartient lui-même à un moment de la réalité historique; l'historien constitue sa vision de l'histoire à partir de perspectives philosophiques ou politiques.

Par ailleurs, la connaissance que nous prenons des faits humains s'introduit comme nouveau facteur déterminant dans la réalité de ces faits eux-mêmes (difficulté d'apprécier l'importance de ce facteur perturbant) : exemple, en ethnologie, perturbation liée à la présence de l'ethnologue lui-même.

1.     - Expliquer et comprendre

D’où la distinction, opérée par Dilthey,  entre expliquer et comprendre.

L'explication est le propre des sciences physiques : il s'agit de déterminer les conditions d'un phénomène, en dégageant des lois qui ignorent le particulier.

La compréhension, qui devrait caractériser les sciences humaines, est le souci de se placer au point de vue du sujet, de la conscience, pour revivre à l'intérieur les phénomènes étudiés. Par exemple, on peut certes expliquer l'amour par des raisons physiologiques, psychologiques, sociologiques, etc. Mais pour comprendre ce phénomène le savant doit en quelque sorte l'avoir en quelque manière éprouvé. De plus, il n'y a pas d'action mécanique de l'environnement sur l'homme : les facteurs matériels ne modifient l'homme que dans la mesure où il leur donne une signification en les intégrant dans son univers mental. Il n'est pas possible d'abstraire un fait de conscience vécu par un individu de la situation d'ensemble de cet individu, ni cette situation d'ensemble de son contexte social et historique.

On ne saurait se contenter d'expliquer les comportements humains en mettant en relation leurs aspects mesurables. Il faut aussi les comprendre, c'est-à-dire découvrir leurs significations. Contre les sciences humaines positivistes qui considérant l'homme comme un objet, certains courants des sciences humaines se sont orientés vers une approche phénoménologique désireuse de comprendre l'homme comme sujet, en tenant compte du fait qu'il vit par et dans un monde de significations (psychanalyse, psychologie de la forme, anthropologie culturelle…).

2.     – L’expérimentation

Le physicien et le chimiste travaillent au laboratoire dans des conditions bien déterminées (de température, de pression) et observent des réactions qui dépendent de facteurs en nombre limité. L'investigation d'un fait humain, au contraire, réclame une analyse quasi infinie. On ne peut qu'exceptionnellement isoler des séries de faits comme le chimiste ou le physicien au laboratoire. Par exemple, Durkheim découvre dans des statistiques qu'en Prusse les protestants se suicident plus que les catholiques. Il néglige en fait de nombreux facteurs : les catholiques prussiens sont en majorité des ruraux d'origine polonaise; leur faible taux de suicide s'explique-t-il par leur religion, leur situation de campagnards, leur origine nationale ?

D'autre part, l'expérimentation n'est pas toujours possible : on peut y suppléer par des analyses statistiques et un traitement mathématique des données obtenues. Les sciences humaines utilisent d'ailleurs de plus en plus l'outil mathématique. Mais la rigueur du traitement mathématique d'une enquête d'opinion, par exemple, ne garantit pas la sûreté des méthodes d'information et des interprétations. L'essentiel est d'interpréter, de saisir la signification des comportements humains (on ne peut éviter aussi facilement les interprétations arbitraires et les extrapolations abusives).

Conclusion :

Singularité des événements historiques, nécessité des présupposés philosophiques et idéologiques, impossibilité de quantifier toutes les données, irréductibilité de la subjectivité de l’historien, rôle fondamental de la liberté, du hasard, des significations, toutes ces raisons interdisent à l’historien la voie royale des sciences exactes. Faut-il s’en plaindre ? Cela dévalorise-t-il l’histoire ? Il s’agit plutôt de reconnaître la spécificité de la connaissance historique qui ne peut se calquer sur le modèle des sciences expérimentales précisément parce que l’objet de connaissance est l’homme. L’histoire est une connaissance interprétative à vocation scientifique plutôt qu’une science. Elle ne peut présenter un corpus de vérités définitives. Le travail d’interprétation est infini. Si vérité il y a, elle procède d’un effort de totalisation, de synthétisation des points de vue possibles à partir d’un souci de rigueur, d’objectivité relative, de critique documentaire. 

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