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Grand cours: L'HISTOIRE (d de f)

Publié le 22/02/2012

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histoire

 

III) LA QUESTION DU SENS DE L’HISTOIRE

Les deux sens du mot « sens « - signification (intelligibilité, cohérence : « le sens d’un mot «) et direction (orientation vers un but : « une voie à sens unique «) – sont liés. Le sens d'une phrase, c'est ce qu'elle veut dire : sa signification est en même temps son but. La signification donne une utilité, une destination. Le sens d'un acte ( ce qui permet de le comprendre), c'est le résultat qu'il vise. Par exemple, en psychanalyse, dégager le sens d'un symptôme, c'est découvrir le but vers quoi il tend. A contrario, un acte insensé est un acte dont on ne voit guère ni la signification ni le but. Le sens – comme signification – donne un sens – comme destination.

Dès lors, demander si l’histoire a un sens, cest poser deux questions intimement liées : cet entassement prodigieux de civilisations, de conquêtes, de guerres, d’actions humaines, que signifie-t-il ? Tout cela va-t-il quelque part ? L’histoire ne nous est connue que par le travail des historiens. Mais l’entrecroisement des causalités mises en évidence par les diverses écoles d’historiens ne donne à penser l’histoire que comme une suite de hasards, tant que ces causalités ne sont pas coordonnées entre elles (problème de l’histoire totale). S’il faut chercher un sens à l’histoire, c’est d’abord parce que ce sens ne se laisse pas voir immédiatement.

A) LA NEGATION DU SENS DE L’HISTOIRE

Comme nous l’avons signalé dans l’introduction, le spectacle apparent de l'histoire (les guerres, les conflits, les malheurs de toute sorte) peut donner à penser que les événements du monde sont désordonnées, que les faits et les gestes du passé ont lieu en pure perte, que les hommes, en empruntant des chemins dissemblables, n'ont aucune destinée commune. Mais l’incohérence de l’histoire est un scandale pour la raison : tandis que la nature paraît sagement ordonnée, les hommes sont censés être rationnels, mais se conduisent de la manière la plus déraisonnable (inintelligente, voire criminelle), contraire aux exigences qui rendraient leur conduite sensée. Dire que l'histoire n'a pas de sens, c’est la désigner comme incohérente, désordonnée, absurde, aléatoire, contingente, sans finalité. D’autre part, l’idée d’une rationalité de l’histoire n’est-elle pas sinon illusoire, du moins dangereuse ?

1.     L’absurdité de l’histoire

A. Camus, Le mythe de Sisyphe : Sisyphe est le personnage emblématique de l’absurdité de l’existence. Il fut condamné, en châtiment de ses crimes, à rouler, dans les Enfers, un gros bloc de rocher jusqu’en haut d’une montagne ; à peine était-il en vue du sommet qu’une force magique lui détachait la pierre des mains ; le roulait roulait jusqu’en bas, et Sisyphe devait tout recommencer. Et ceci dans l’éternité. D’où vient ici le sentiment de l’absurdité ? Qu’est-ce qui, d’une façon générale, constitue l’absurdité d’une situation ? La répétition, l’absence de but rationnel, la souffrance.

1.     – La répétition

Il y a une répétition rassurante (celle des anciens mythes de l’éternel retour) et il y a celle, harassante, qui cloue l’homme à une tâche sans fin. Exemple du fameux « métro-boulot-dodo «. L’histoire nous donne à voir le triste spectacle de la guerre qui fait revivre toujours les mêmes horreurs, des peuples qui se libèrent d’une tyrannie pour replonger dans une autre semblable. Idée que l’histoire n’avance pas, qu’elle piétine, qu’elle bégaie.

2.     – L’absence de but rationnel

Idée que les efforts des générations, les sacrifices, les énergies dépensées ont eu lieu en pure perte (ex. De la guerre). Absence de Dieu, le progrès comme idole. Perspective nihiliste : « rien ne vaut la peine de rien « (Léo Ferré). Le nihilisme est la doctrine qui a fortement marqué la pensée russe au XIXe siècle. Le nihilisme russe proclame la négation de toutes les valeurs reconnues comme fondamentales, transcendantes ou sacrées; le nihilisme, en proclamant le " rien ", nie toute valeur transcendante et n'accorde d'importance qu'à la destruction et à la mort. Sur le plan politique, le nihilisme appelle à une destruction de l'Etat, à une suppression de toute autorité, au nom d'un idéal de liberté très proche de l'anarchisme Le nihilisme trouve dans l'oeuvre de Dostoïevski notamment des premières illustrations littéraires, sous la forme de personnages liant l'affirmation de l'inexistence de Dieu à celle d'une égalisation de toutes les actions et valeurs – " Si Dieu n'existe pas, alors tout est permis! ".

D’autre part, pour que l’histoire eût un sens, il faudrait qu’elle fût une, que l’humanité constituât une grande famille, avec une démarche commune. L’ethnocentrisme s’oppose à cette idée mais aussi un certain relativisme : il n’existe pas d’humanité abstraite, au sens de soustraite aux différences culturelles, la nature humaine en se réalisant qu’en s’inscrivant dans des cultures particulières. Il ne saurait donc y avoir de règles universelles, les normes variant avec les sociétés.

3.     – La souffrance

Hegel : l’histoire universelle n’est pas « le lieu de la félicité. Les périodes de bonheur y sont des pages blanches «. Les peuples heureux n’ont pas d’histoire. Le bonheur est inconciliable avec l’histoire. Joyce : « L’Histoire est un cauchemar dont j’essaie de me réveiller «. Si l’homme est un être historique et fini, il ne saurait y avoir pour lui de bonheur éternel et infini. « Aussi le prétendu bonheur serait-il un arrêt de l’histoire, un refus de cette inquiétude humaine qui est source de dépassement et de progrès « (Jean Lacroix, Le désir et les désirs, p. 78). Hegel va même jusqu’à affirmer que les peuples heureux n’ont pas d’histoire - cela sans doute est également vrai pour les individus).

On peut dès lors se demander si toutes les souffrances accumulées au cours de l’histoire ont un sens : pourquoi tous ces sacrifices ? Ces souffrances sont-elles la voie du bonheur, d’un plus grand bien ? Par exemple, La tragédie d’Auschwitz a-t-elle un sens ? Lévinas prétend justement que le sens d’Auschwitz est qu’il n’a pas de sens. Lui en donner un, justifier Auschwitz pour, par exemple, conserver le concept de Dieu (Dieu : le sens du sens, le haut de gamme du sens), n’est-ce pas finalement justifier l’injustifiable et s’interdire de penser le mal le plus radical dans ce qu’il a d’abject, de profondément énigmatique et ineffable ? Donner un sens à Auschwitz, n’est-ce pas insulter la mémoire des victimes et absoudre, d’une certaine façon, les bourreaux ? Donner un sens à la souffrance et en faire le passage nécessaire d’un plus grand bien (thème des lendemains qui chantent, de l’enfer comme antichambre du paradis : « C’est l’heure des brasiers et il ne faut voir que la lumière «, José Marti), n’est-ce pas nier la souffrance et en gommer l’indicible horreur ?

Au total, l’omniprésence de la destruction, de la mort, de la souffrance sous toutes ses formes (guerres, crises économiques, misère, etc.) – voilà qui donne le sentiment d’une absurdité et d’une cruauté de l’histoire.

2.     Le hasard

Il existe une autre façon de nier le sens de l’histoire : c’est d’y repérer le rôle prédominant du hasard.

Le hasard n’est pas ce qui n’a pas de cause : rien de ce qui existe n’est dépourvu de cause (c’est ce que Leibniz appelle le principe de raison suffisante : tout ce qui existe a une raison d’être). Mais il existe des événements que nous ne pouvons pas prévoir, soit à cause de la faiblesse de nos moyens d’information, soit à cause d’un trop grand nombre de causes convergentes : exemple du numéro gagnat de la roulette. Lorsque nous disons que la dame de pique a été tirée par hasard, nous voulons dire qu’il n’y a pas eu d’intention à l’origine de cette carte tirée – mais il était néanmoins nécessaire que cette carte se fût trouvée là où elle était.

Du coup, le hasard n’est pas nécessiarment la contingence : un événement contingent est un événement qui aurait pu ne pas arriver. Par exemple, l’arrêt de la bille de la roulette sur un numéro donné est nécessaire, une fois données les conditions initiales (vitesse de rotation de la roue, force du jet de la bille, etc.) ; mais comme cet événement n’est ni voulu ni prévisible (seul Dieu qui pourtant, comme le dit Einstein, ne joue pas aux dés !), on le qualifiera de hasard.

Cette idée nous est suggérée par la physique aujourd’hui. Le chaos est un système sensible à la plus faible variation de ses conditions initiales et dont l’état futur n’est pas prédictible, c’est-à-dire calculable par des équations,  parce qu’il semble se comporter de façon totalement désordonnée  exemple de l’évolution de l’atmosphère terrestre qui ne eput être prévue, sauf à, très court terme. Dans un tel système, l’état final n’est pas dérivable de son état antérieur : on parle d’état non ergodique. Le monde, et l’histoire a fortiori, avec ses milliards d’êtres humains agissant en tout sens, peut être assimilé ainsi à un chaos dans lequel le plus léger déplacement de forces (exemple de la bourse) a des conséquences incalculables.

Certains philosophes ont fait du hasard le maître de l’histoire placée sous le signe d’une radicale contingence. Pascal écrit ainsi que le nez de Cléopâtre, s’il eût été plus court, la face du monde eût été changée : moins belle, la reine d’Egypte n’aurait pas fait aussi longtemps oublier à Antoine ses devoirs politiques ; Octave n’en aurait pas profité pour préparer son accession au trône, il ne l’aurait pas emporté sur Antoine. Sans la beauté de Cléopâtre, Antoine serait devenu l’empereur de Rome à la place d’Octave – et tout cela à cause d’un nez. Pascal montre, à travers cet exemple, la vanité de l’histoire humaine.

En insistant sur le rôle déterminant du hasard en histoire, on majore, par conséquent, le rôle des individus (cf. Supra) : idée que les grands événements tiennent souvent à des riens, qu’il suffit d’un homme, ou de son absence, pour que le cours des événements change de direction.

3.     L’histoire cyclique

L’idée que l’histoire est un éternel recommencement peut contribuer à renforcer cette négation d’un devenir historique sensé et orienté et accentuer le sentiment de l’absurdité de l’histoire, du moins du point de vue d’une conception occidentale d’une histoire cumulative et progressive.

On trouve cette idée dans la conception cyclique de l’histoire : les événements reviennent après un laps de temps plus ou moins long : les sociétés « primitives «, l’Inde, etc. Les sociétés dites primitives sont des sociétés contre l’histoire : pour elles, l’histoire ne fait ens ni pour leur présent ni pour leur futur. Thème de la tradition : la tradition est l’actualisation d’une valeur ancienne ; le passé informe le présent et l’avenir. Le cycle atténue l’imprévisibilité des événements. Les sociétés anciennes changeaient très lentement, à la différence des nôtres. Le mythe, le rite sont du temps immobile, une réactualisation dans le présent d’une origine imaginaire (« il était une fois «…).

Si le temps est une roue qui tourne, le présent est éternel, l’éternel présent est un éternel passé. Le temps y est vu comme refermé sur lui-même, comme un éternel recommencement. Conception très ancienne : mythe du serpent Ouroboros qui se mord la queue et se nourrit continuellement de lui-même.

On peut comprendre la genèse de cette idée : l’expérience nous donne maints exemples de ces « retours « : retour régulier des saisons, alternance des jours et des nuits, naissance-vie-vieillesse-mort-renaissance (Inde), retour apparent dans l’histoire de situations analogues (périodes de troubles suivies de périodes de répression et d’ordre, périodes d’abondance et périodes d’austérité, retours des modes vestimentaires ou autres, etc.). Nous avons vu, à travers le problème des leçons de l’histoire, qu’il ne faut pas confondre analogue et identique : on peut certes trouver des analogies entre la Révolution russe et la Révolution française, mais elles se sont produites chacune avec ses particularités (personnages, péripéties, causes ou facteurs différents).

Cette conception est problématique à plusieurs titres. D’abord, le mythe de l’éternel recommencement est aujourd’hui impossible à soutenir, en tout cas dans nos sociétés qui avancent à grand pas : la science nous explique que rien n’est éternel (nous sommes programmés pour la mort, nous sommes, comme le dit Heidegger, des êtres-pour-la-mort), pas même les étoiles. Le soleil se meurt, la lune ne repasse jamais par le même point dans l’espace.

L’histoire elle-même est l’épreuve de l’irréversibilité du temps : rien ne recommence. Par exemple, les ruines des civilisations disparues ne pourront jamais être relevées (exemple de Pompéi + Péplum d’Amélie Notomb). Rien ne se répète dans l’histoire : pas deux guerres, pas deux crises, pas deux révolutions identiques : 1939 n’est pas un 19714 bis, 1968 n’est pas le frère de 1848, la crise de 1974 n’a rien à voir avec celle de 1929, etc.

Soulignons d’autre part que cette idée d’un éternel recommencement est l’idée la plus désespérante qui soit : il s’agit là d’une éternité cauchemardesque qui ajoute à l’irréversibilité l’absurdité de la répétition identique. C’est aussi une idée paradoxale : cette succession de cycles a-t-elle eu un commencement ? Si oui, on peut supposer qu’elle aura une fin. Dans ce cas, pourquoi ces répétitions ? Problème du fini et de l’infini : s’il y a eu un commencement, un premier cycle (par exemple, le mythe originel, l’acte créateur), avons-nous été libres cette première fois ? Et qu’y avait-il avant ce commencement ? Si nous avons été libres au commencement, pourquoi ne le sommes-nous plus ensuite, pourquoi ces répétitions stériles puisque nous ne pouvons rien changer ? Pourquoi ce bégaiement du temps ?

Autre aporie : à l’intérieur de chaque cycle comme dans leur répétition, il y a bel et bien succession temporelle – ordre (avant, après), irréversibilité ; même s’ils sont identique, chaque cycle se situe nécessairement après un autre et avant un autre.

En somme, cette idée d’un éternel recommencement heurte autant notre raison que notre affectivité.

Conclusion :

L’idée d’un sens de l’histoire semble donc contraire non seulement à la réalité historique elle-même mais encore à un certain nombre de conceptions du temps : la répétition infernale des événements, l’absence de but rationnel et de sens a priori ou transcendant de l’existence, la mort, la souffrance, mais aussi le hasard, l’irrationalité des comportements humains, tout cela rend l’idée d’une rationalité de l’histoire illusoire, voire dangereuse, comme on l’a vu avec l’exemple de la Shoah. Or, peut-on en rester au constat pessimiste de l’absurdité de l’histoire ?

B) L’AFFIRMATION DU DEVENIR ORIENTE  ET LA QUESTION DU MAL

Est-il vain de vouloir chercher un sens à l’histoire ? Et est-il certain que l’histoire est dépourvue de signification et de finalité ? Si l’histoire n’a peut-être pas un sens, du moins a-t-elle peut-être du sens. Quelle signification convient-il de donner à la notion de sens pour que l’on puisse s’autoriser à parler d’un sens de l’histoire ? Si sens il y a, de quel sens s’agit-il ? Quelle est la fonction de cette notion de sens historique ou de devenir orienté ? A quel besoin fondamental renvoie-t-elle ?

1) Le problème de la théodicée et la question du mal

La présence du mal est un problème fondamental pour penser l’idée d’un sens de l’histoire. Comment concilier, en effet, le mal et la perspective d’un devenir historique orienté ? D’où vient le mal que nous faisons ? D’où vient que nous faisons le mal ? D’où vient le mal que l’homme fait à l’homme, le mal humain ? Peut-on l’expliquer, voire le justifier ?

1.     – L’origine du mal

Distinguons :

Le mal cosmologique : le mal présent dans l’univers (corruption, dégradation naturelle, souffrance, mort ;

Le mal cosmique : le mal que l’homme fait à l’homme (violence, meutre, meurtre de masse). Ce mal comprend : le mal fait selon des motifs et des mobiles ; le mal radical – la Shoah -, fait dans le seul but de faire le mal.

L’objet de l’histoire, de l’historien : le mal humain tel qu’il se donne à voir à travers les guerres, les massacres, etc. L’événement construit par l’historien est le mal en action. L’historien est celui qui explique le mal, si monstrueux soit-il puisque chaque événement est censé avoir une cause. E travail de l’historien, nous l’avons vu, consiste à déterminer les raisons du massacre, à retrouver la trame des décisions, des événements. L’historien rationalise et humanise le mal, en l’insérant dans une chaîne de faits. L’histoire succède à la mythologie ou à la narration biblique : elle veut illuminer les bas-fonds de l’humain, comprendre et expliquer le mal.

Or, le danger du travail historique face à la question du mal réside dans le glissement inéluctable vers l’apologétique du mal lorsqu’on en cherche la cause. Vouloir comprendre le mal, c’est vouloir l’expliquer, donc le fonder, le justifier. L’historicisation du mal aboutit à une relativisation du mal qui n’est plus considéré comme unique ou exceptionnel.

A la question : « pourquoi le mal ? «, l’historien n’apporte aucune réponse. On peut décrire les actes de l’extérieur, on ne réussira jamais à expliquer pourquoi les nazis ont commis ce qu’ils ont fait. La théologie, plus que l’histoire peut-être, apporte une explication à la question du mal, encore que, comme nous le verrons, la réponse théologique soit elle-même insatisfaisante.

1.2 – Le mythe adamique de l’origine du mal

Dans la perspective judéo-chrétienne, la question du sens de l’histoire est envisagée à partir d’une source transcendante – Dieu – qui se révèle dans la temporalité de l’histoire. Cette question du sens de l’histoire est articulée directement sur le problème du mal. Dans la Bible, le mal est pensé comme péché (latin peccatum : la faute). Le péché est une faute ayant le caractère d’une offense à Dieu, engageant une responsabilité personnelle du fait d’une libre désobéissance, ou exprimant la nature foncièrement impure de l’homme. Cette notion a surtout un caractère religieux.

Le mythe de la faute adamique est l’archétype de l’explication de l’origine du mal. La souffrance (la mortalité, la douleur de l’enfantement, la nécessité du labeur) s’introduit dans le monde à la suite de la transgression par l’homme de la loi divine, comme sa juste rétribution. Le mal physique découle du mal moral. L’origine du mal est rapportée à un ancêtre de l’humanité. Cette origine est définie comme un événement qui consiste dans le passage de l’innocence au péché, comme une véritable catastrophe dont l’homme est responsable. Le mythe de la chute nous dit le surgissement du mal dans une création déjà là et originellement bonne. L’homme est désigné comme étant lui-même la source du mal.

Le mythe adamique est l’histoire de la tentation qui écartèle le péché entre plusieurs responsables. Selon Ricoeur, on peut parler d’une diffraction du péché en une chaîne compliquée d’intermédiaires.: il y a l’homme tenté qui est à l’origine le « zéro éthique « (Laplantine, in Le philosophe et la violence, p.76) ; puis la tentatrice tentée, Eve tentant l’homme mais séduite par le serpent ; Satan, le tentateur ; enfin, il y a l’objet de la tentation : devenir semblable à Dieu, franchir la limite qui sépare la créature du Créateur. Le péché est le fait de l’homme qui, prenant conscience de lui-même et se plaçant au centre de l’univers, impose sa mesure à tout ce qui l’entoure ; le péché consiste dans la prétention de s’égaler au Créateur.

Eve signifie l’occasion de la chute ; elle est la fragilité du coeur de l’homme toujours prête à désirer le « mauvais infini « : idée que l’homme a un penchant au mal.

Le personnage de Satan suggère une extériorité du mal par rapport à l’homme, structure cosmique du mal. Il y a un « déjà là « du mal que l’homme ne commence pas absolument. L’homme n’est pas le méchant absolument mais le méchant par contagion.

La Bible ne parle du péché que dans la perspective du salut. Ce qui caractérise le judéo-christianisme, ce n’est pas tant le pessimisme de la chute que l’optimisme de la croix. Le sens véritable de l’humanité actuelle se trouve découvert de façon rétroactive, d’avant en arrière : non à partir de l’homme-Adam, mais à partir de l’homme-Christ. Grâce que Dieu a faite à l’homme en Jésus Christ, don à partir duquel l’homme peut se connaître comme pécheur. Dieu, par la croix, révèle à l’homme la gravité et la profondeur de son mal. Le Christ est venu dans le monde pour supporter la souffrance jusqu’à la passion et jusqu’à la mort. Il n’est pas venu pour détruire la croix mais pour s’étendre dessus. Trilogie création-péché-rédemption.

Or, comment Dieu a-t-il pu se laisser vaincre par le péché d’Adam ? Le christianisme évite le dualisme (le christianisme est un monothéisme radical et intégral qui exclut le dualisme) en expliquant que Satan n’est pas un autre Dieu mais une créature de Dieu ; Satan fait partie de la création, insoumis à Dieu, il est vaincu par le Christ. La question rebondit avec la présence, dans l’histoire, d’un mal encore plus radical, la Shoah qui a fait subir à la foi religieuse le plus grand traumatisme. Pourquoi Dieu n’est-il pas présent lorsque le meurtre est commis, pourquoi n’intervient-il pas ? Comment le mal est-il possible, si l’on conçoit Dieu comme étant le maître de l’histoire ? Comment le mal a-t-il pu être crée par un Dieu bon ? L'omnipotence de Dieu entre en contradiction avec sa bonté. L'existence du mal sur la terre semble limiter la puissance de Dieu, sa bonté, sa connaissance Les théodicées prétendent répondre à ces questions.

 

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