À la différence biologique des sexes, qui permet la reproduction de l'espèce, s'ajoute une différence sociale des sexes, qui s'est construite au cours de l'histoire. Cette différence a le plus souvent pris la forme d'une domination de la femme par l'homme, domination que consolident des mécanismes économiques, politiques et culturels. Malgré les engagements de la plupart des États à contribuer à promouvoir l'égalité entre les sexes, l'affirmation d'une identité féminine spécifique rencontre encore de nombreux obstacles. Après des siècles de rapports sociaux étroitement liés à la place des individus dans la production, il est difficile d'imaginer qu'il ait pu y avoir des sociétés presque exclusivement tributaires des rapports de parenté. C'est pourtant à ces faits préhistoriques (dont il peut subsister des traces chez certains peuples) qu'il faut retourner pour comprendre le premier état de la condition féminine. Cette compréhension ne peut cependant être qu'incertaine, puisque ces sociétés ne conféraient pas à l'individu (homme ou femme) la considération et l'autonomie qui sont les siennes dans les sociétés modernes. Mais il est possible de savoir malgré tout, grâce aux préhistoriens, que les femmes y ont été au centre de la vie sociale, notamment au début du néolithique, en raison de leur fonction de génitrices, qu'il fallait protéger pour assurer la survie, mais aussi en raison du type de division du travail entre les sexes. Ce que l'on a parfois appelé la première révolution du néolithique conduisit les femmes à un certain monopole économique et technique : seules à pratiquer l'agriculture et l'élevage, elles détenaient aussi les savoirs qui allaient déclencher des progrès décisifs (poterie, filage, tissage). C'est peut-être en relation avec cette capacité des femmes à transmettre les savoirs aux générations suivantes que s'institua, dans des sociétés gouvernées par les liens de parenté, la règle de filiation matrilinéaire (c'est-à-dire que les enfants appartiennent au clan de la mère). On peut considérer que c'est la seconde révolution du néolithique (révolution métallurgique entre 6000 et 3000 avant J.-C.), au cours de laquelle l'homme remplaça la femme comme agent de la production agricole, qui mit fin à cette prééminence féminine et inspira les institutions qui allaient durablement soumettre les femmes aux hommes. Complétez votre recherche en consultant : Les corrélats famille famille - 1.SCIENCES HUMAINES - L'ethnologie de la famille matriarcat néolithique préhistoire - L'homme préhistorique et ses activités - Des prédateurs aux producteurs - Les activités domestiques Production et qualification au féminin Ainsi, c'est dans l'usage différencié des techniques capables d'éloigner la menace pesant sur l'espèce que s'inscrivait la logique des rapports entre les sexes. C'est sans doute cette logique qui conduisit les femmes à développer de façon originale les secteurs qui leur étaient concédés (surtout la famille), mais qui les priva d'une grande partie des bénéfices de l'aventure humaine à laquelle elles participaient. Un bilan, parmi d'autres, établi à la fin de la décennie de la Femme (1985), par les Nations unies, traduit partiellement cette réalité : les femmes, qui représentent la moitié de la population mondiale, effectuent les deux tiers des heures de travail de l'humanité, mais ne perçoivent qu'un dixième des revenus et ne possèdent qu'un centième des biens matériels. Le travail des femmes est pourtant difficile à évaluer de façon précise, parce que tout un pan des activités féminines, c'est-à-dire les tâches domestiques et l'éducation des enfants, ne fait pas l'objet d'une pleine et entière reconnaissance sociale : ces travaux, en effet, ne sont pas pris en compte par l'économie nationale. Les femmes elles-mêmes, héritant de conceptions qui présentent ces activités comme des occupations pour lesquelles elles seraient naturellement faites, tendent à passer sous silence ce que ces activités peuvent avoir de contraignant, surtout lorsqu'elles précèdent et suivent une journée de travail salarié. Et c'est sans doute la massive mise au travail salarié des femmes qui constitue le phénomène décisif dans les transformations de la condition féminine. Déjà, dans les sociétés préindustrielles, les femmes prenaient une part non négligeable aux travaux agricoles (tel est encore le cas dans les sociétés agraires du tiers-monde, où le travail de la terre est régi par une stricte division des tâches entre les hommes et les femmes). En outre, au XIXe siècle, les femmes (et les enfants) furent massivement employées, dans les premières manufactures, à des postes subalternes et mal payés. Elles sont encore, même dans les sociétés les plus développées, proportionnellement plus nombreuses dans les secteurs en crise (textile), ainsi que dans les tâches d'exécution. Or si le principe « à travail égal salaire égal « a tendance à être de plus en plus reconnu, il n'en va pas encore de même de l'égalité des responsabilités à diplôme égal. Néanmoins, la féminisation récente et importante des activités tertiaires, qui sont en plein développement, conjuguée avec la généralisation de l'enseignement, induit tout à la fois une promotion des travailleuses et une prise de conscience plus intense de leurs droits et possibilités (voir plus loin). Il convient toutefois de relativiser ces processus. Dans le secteur tertiaire comme ailleurs, la barrière s'est déplacée : c'est l'accès aux fonctions de conception et de décision qui s'avère maintenant difficile, souvent parce que les stratégies scolaires que les parents ont eues pour leurs filles ne les ont pas conduites dans des filières susceptibles de permettre l'accès à ces niveaux. Si la scolarisation massive des années soixante a permis aux filles des pays développés de rattraper les garçons (en temps consacré aux études), elle n'a pas supprimé les disparités d'orientation : la « préférence « des filles pour les filières courtes à visée professionnelle (et tertiaire) sanctionne au moins autant leur formation morale de fille que leur perspicacité quant à l'offre réelle d'emploi féminin sur le marché. Complétez votre recherche en consultant : Les corrélats éducation famille famille - 1.SCIENCES HUMAINES - La sociologie de la famille Les livres femme - caissières d'hypermarché, page 1881, volume 4 femme - employées de banque, page 1881, volume 4 femme - manifestation d'infirmières à Paris en 1989, page 1883, volume 4 Ritualisation de la féminité L'image de la femme soumise ou secrète, maternelle ou fatale, n'est pas seulement sécrétée par les représentations masculines. L'éducation morale des petites filles est faite de l'accumulation de stéréotypes d'une féminité ritualisée, qui peu à peu s'intériorisent sous la forme de modèles de mère, d'épouse, de maîtresse ou de servante, etc. Comme la célébration de la différence y est étroitement mêlée à la reconnaissance de l'infériorité, ce sont des modèles particulièrement tenaces, quand bien même les conditions objectives de vie et de travail de la femme changeraient. On voit ces modèles à l'oeuvre d'une manière particulièrement solennelle dans les sociétés agraires, qui disposent en général d'un puissant appareil religieux capable d'en faire des piliers de la vie sociale. On ne peut comprendre le sens de l'honneur chez les Kabyles si l'on oublie que l'honneur des hommes (le nif), viril, protecteur et droit, dévolu aux « êtres du dehors «, doit équilibrer l'honneur des femmes (la hurma), faible, impur, gauche et tordu, caractéristique des « êtres du dedans «, et cela grâce à l'institution du mariage : celui-ci doit arriver tôt dans la vie de l'adolescente (« La honte c'est la jeune fille «, dit un proverbe) pour qu'elle n'ait pas le temps de donner libre cours à sa nature diabolique (et de devenir une « vache de Satan «). Mais cette division sexuelle du monde rituel s'accompagne aussi d'une division sexuelle du travail, tout aussi cohérente rituellement : il est déshonorant pour un homme de transporter du fumier, de l'eau ou du bois de chauffage, activités qui reviennent aux femmes. Dans les sociétés industrialisées, la ritualisation de la féminité prend d'autres formes, sans doute plus contrastées, et, qui plus est, différenciées selon les couches sociales d'une manière plus accentuée. Les publicités et les conseils des magazines féminins en sont les fleurons, qui s'emploient à nous faire reconnaître, dans la profondeur d'un regard soutenu par le maquillage adéquat, la qualité d'une âme. D'une manière générale, la démonstration d'une excellence corporelle et mentale féminine, martelée par les spots, les photos et les films, produit des effets d'adhésion différents quoiqu'elle vise indifféremment tous les groupes sociaux. C'est que la distance initiale au schéma d'excellence, produite par l'origine sociale et/ou la profession, n'est pas la même dans tous ces groupes sociaux : d'où l'intense effort de correction de leur image qui est exigé de nombreuses femmes d'origine modeste - ou qu'elles s'imposent - lorsqu'elles accèdent aux nouvelles professions de représentation. Complétez votre recherche en consultant : Les corrélats amour maternel beauté Kabyles maquillage mode - Suivre la mode - La mode : une lecture du monde social Les livres femme - une image raffinée de la femme, page 1882, volume 4 femme - communauté matriarcale de Juchitán, au Mexique, en 1989, page 1880, volume 4 femme - préparatifs de mariage en Algérie (région d'Oran), page 1882, volume 4 Conquête d'une identité féminine C'est précisément cet effort artificiellement demandé qui est apparu insoutenable aux mouvements féministes du XXe siècle : ils ont au moins autant insisté sur le droit de la femme à échapper aux images qui l'emprisonnent (et qui la privent de la maîtrise de son corps comme de sa fécondité) que sur son plein accès à l'emploi et à la citoyenneté. Très minoritaires sont les femmes qui occupent des fonctions électives, et c'est toujours un événement lorsque certaines d'entre elles accèdent à des responsabilités ministérielles. Lentement, et d'une manière très contradictoire, ont émergé les éléments permettant la construction d'une identité féminine positive, c'est-à-dire qui ne se définisse pas seulement par rapport à l'homme. Il est certain que, pour fragiles qu'elles soient, les institutions (ministères des Droits des femmes, législations...) qui ont ainsi été conquises ont constitué un point d'appui considérable pour ce changement d'image. Mais les femmes, qui ont, à divers moments du passé, largement participé aux mouvements sociaux dans une perspective d'émancipation d'un peuple ou d'une ethnie (révoltes paysannes, Résistance française), n'ont guère transféré cette capacité revendicative au service de la défense de leurs propres droits. Elles savent pourtant inventer des formes d'action impressionnantes : que l'on songe aux « folles de la place de Mai « à Buenos Aires, tournant silencieusement pendant des années pour réclamer leurs enfants ou époux disparus. Cette évolution suit à peu près un rythme identique dans tous les pays industrialisés, mais elle est beaucoup plus lente dans le tiers-monde. Il est pourtant admis par tous les spécialistes que les programmes de développement agroalimentaire ne sauraient y réussir s'ils n'impliquent pas pleinement les femmes, ce qui suppose de faire évoluer leur condition en général. Pourtant, trop de pays aspirant au développement prétendent le faire au détriment de cette émancipation, voire en laissant les plus traditionalistes continuer à exercer sur le corps féminin un marquage, une mutilation, ou encore en interdisant qu'il soit dévoilé (port du tchador). Les divergences d'opinion, au sein de la communauté internationale, sur la place de la femme dans la société, reflètent de plus en plus les oppositions entre États laïques et États religieux. Tenue en 1995, la quatrième conférence mondiale des Nations unies sur les femmes a fait apparaître que les progrès de leur condition, sensibles au cours des vingt années précédentes, se ralentissaient globalement et que la marche vers l'égalité des sexes refluait dans des domaines comme ceux du travail, mais aussi de l'éducation, de la santé ou de l'accès aux responsabilités du pouvoir. Il n'est pas nécessaire de présupposer une identité féminine unique et intemporelle, mais, lorsqu'on considère une activité sociale donnée, on ne peut la comprendre sans tenir compte de la spécificité féminine. Complétez votre recherche en consultant : Les corrélats Beauvoir (Simone de) excision féminisme Mill John Stuart Les médias Beauvoir (Simone de) Les livres mode - garçonne, 1925, page 3243, volume 6 femme - La Naissance de Vénus, par Botticelli (vers 1486, détail), page 1880, volume 4 femme - Julie Clark, pilote de DC 9 sur les Northwest Airlines, page 1882, volume 4 femme - le mariage de Benazir Butho, le 19 décembre 1987, page 1883, volume 4 Les droits de la femme Garantie en France par la Constitution dès 1946, l'égalité des droits des hommes et des femmes dans tous les domaines a dû, pourtant, être réaffirmée par diverses mesures législatives, tant l'évolution des mentalités est lente : en matière d'attribution ou de perte de la nationalité (1973) ; en matière de direction morale et matérielle de la famille (1970) et en matière de résidence (1975) ; par l'assimilation de la discrimination sexuelle à la discrimination raciale (1975). D'autres mesures ont connu un grand retentissement, telles la loi sur l'interruption volontaire de grossesse (1975) ou les dispositions réprimant le harcèlement sexuel (1992). Complétez votre recherche en consultant : Les corrélats démocratie - Les critiques de la démocratie démocratie - Les pays démocratiques féminisme IVG (interruption volontaire de grossesse) Les médias femme - la scolarisation des filles : la persistance des héritages Complétez votre recherche en consultant : Les indications bibliographiques C. Baudelot et R. Establet, Allez les filles, Le Seuil, Paris, 1992. A. Goldman, Combats de femmes, Casterman, Paris, 1996. E. Sullerot, le Fait féminin : qu'est-ce qu'une femme ?, Fayard, Paris, 1978.