Devoir de Philosophie

A-t-on besoin d'une culture universelle ?

Publié le 09/07/2009

Extrait du document

culture

L'idéal unificateur de l'Humanisme est-il en train de devenir réalité, une réalité qui tournerait au cauchemar, identifié par Jacques Lesourne sous l'expression de «culture universelle «? Celle-ci paraît être d'abord le produit d'une époque de communication. Elle s'exprime en anglais, dans les aéroports, les grands hôtels, les centres économiques des mégapoles, les séminaires des chercheurs. Bref, c'est la culture d'une certaine jet set qui ne concerne qu'une « élite « internationale, habituée aux voyages et aux échanges. Mais cette culture « aristocratique « a la propriété de disposer de medias puissants propres à une culture de masse. De fait ces « acteurs de la culture universelle « diffusent par l'intermédiaire des grandes agences d'information ou des feuilletons télévisés une culture standardisée. Peu à peu se dessine et s'impose ce new way of life, une accoutumance aux repas hamburgers-frites, façon Mac Donald, des téléfilms, façon Dallas, des chansons, façon Madonna... tout cela en même temps à Hong-kong, Miami, Dakar, Madrid et Paris. Ainsi, le tour du monde peut aujourd'hui s'effectuer sans le moindre dépaysement. Évidemment, cette pseudo-culture universelle n'est universelle que si le monde appartient bien aux états-unis. Car il ne s'agit plus ni moins d'exporter des produits américains à travers l'exploitation d'un mode de vie que l'on présente comme un modèle. Il ne faut donc pas s'étonner que certains effets de cette promotion « culturelle « à l'échelle planétaire relèvent parfois du pathétique et du dérisoire. On a vu ainsi apparaître sur les registres d'état civil français des petites « Sue-Helen « et des petits « John Ross «, victimes de la fascination que semblent exercer sur leurs parents les personnages particulièrement odieux du feuilleton Dallas. Quand tous les Sue-Helen et les John-Ross de France et de Singapour se donneront la main pour fredonner ensemble Like a virgin... Vision d'horreur ! Ainsi la « culture universelle « s'oppose radicalement à la civilisation à laquelle sont attachés les humanistes. A l'universel de ceux-ci répond aujourd'hui la particularité d'intérêts économiques bien localisés. La standardisation du mode de vie contemporain ne laisse pas en effet de susciter au moins une question : est-il possible — comme le croyaient les humanistes du xvie siècle et ceux du xviiie — d'unifier les hommes sans les dégrader ? Le sublime de l'entreprise saura-t-il se débarrasser du grotesque de notre réalité ?

Nous entendons le mot culture en deux sens. On peut partir d'un fait simple: la culture de la terre. Il y a là, à la base, quelque chose de naturelle, de donné, qui est la terre. Puis l'homme en extrait les potentialités par une pratique qui lui est propre. Ainsi, l'agriculture exploite des ressources naturelles en vue d'en acquérir un produit propre, allant parfois jusqu'à réinventer ces ressources qui lui sont données au tout départ. Peut-être pouvons-nous voir l'homme de la même manière: il y a un substrat humain à la base: l'homme est un être naturel, il appartient à l'ensemble des êtres vivants qui vivent sur terre. Mais il développe à partir de ce substrat, des facultés, des capacités qui lui sont propres, il développe des potentialités qui ne sont sont qu'en puissance en lui (comme le langage, l'art...). En ce sens, la culture est un processus commun à tout homme. Mais d'un autre côté, l'homme exploite ou réinvente sa nature de manières différentes à travers la surface du globe. Un rapide coup d'œil sur notre planète nous entraîne rapidement à apprécier une multiplicité de cultures. La culture peut donc être vue comme un vecteur d'actualisation des facultés proprement humaine, et ce vecteur ne prend pas le même visage selon le point spatio-temporel où il s'exprime. Alors, comment parler d'un vecteur « universel «? Le terme « universel « est embêtant puisqu'il nous révèle simultanément toute la prétention, peut-être, d'un autre mot qui l'englobe, à savoir celui d'universalité. Lorsque nous parlons d'universalité, nous entendons certes tout homme, mais au fond également, bien plus encore. En effet, dire de quelque chose que c'est universel, c'est entendre que cela vaut pour tout homme, et même, par extension, pour toute entité humaine qui figurerait dans l'univers. Le jugement universel embrasse l'infini du cosmos pour aller à la rencontre de toute créature humaine susceptible d'exister, même bien au-delà de notre simple et réduit habitat cosmologique. Tout être doué de raison se retrouve englobé dans ce jugement, même celui que l'on fantasme à l'autre bout de la noirceur cosmique. A contrario, le universel, c'est ici, sur cette parcelle d'espace: il manque cette nécessité que conserve intrinsèquement la notion d'universalité. En effet, l'universel renvoie au démantèlement d'une logique interne à l'oeuvre dans l'objet étudié. Ainsi, Newton parlait de gravitation universelle, en ce sens même qu'il s'agissait là d'une nécessité à laquelle aucun corps ne peut échapper. Même s'il lui était difficile de comprendre le rôle ou l'identité de cette force à l'oeuvre, il avait découvert une ligne régulière de l'univers. Ainsi, si l'universel c'est la nécessité, le universel, ce n'est que le général, soit ce qui vaut pour un ensemble de cas donné: c'est ce qu'on appelle le particulier. Le universel, ce n'est donc pas proprement ce qui s'impose de manière intrinsèque comme nous l'avons vu avec l'universel, mais ce qui s'impose plutôt de manière extérieure, ce que l'on constate sans bien en comprendre la logique, si tenté qu'il y en ait une d'ailleurs. Ceci nous mène tout droit à l'idée qu'une culture universelle serait un phénomène particulier qui s'impose de force et non de droit (universel). Ainsi rentrons-nous dans la sphère purement phénoménale. La notion « universelle « nous oriente proprement à la surface du globe, contre l'intériorité essentielle, le mythe de l'intérieur comme l'appelle Nietzsche i.e celui d'un aspect caché des choses qui travaillerait notre monde par l'intérieur. Nous troquons une métaphysique des fonds contre celle, plus concrète peut-être, des forces à l'oeuvre. 

culture

« obéissant à un confortable délire rationnel.

Au lieu précisément de laisser travailler à vide cette raison, attendons devoir avant de penser, constatons en somme. Une fois quitté le champ de la nécessité et des idées parcourant un réseau logique bien tracé, nous constatonscette fois-ci un champ de force à l'oeuvre dans le monde.

Ce vecteur d'actualisation des potentialités humainesqu'est la culture se diffracte en mille faisceaux aussitôt rentré dans l'atmosphère.

Les hommes ne se sont pas élevésde la même manière, et au sommet de leurs monuments culturels, ils n'ont eu de cesse de loucher sur les culturesvoisines.

Ce regard sur l'autre, c'est à vrai dire toujours un regard contre l'autre, un regard où l'on ne songe à saréussite qu'au prix de la périgée de l'autre.

A la surface du monde, les guerres éclatent à tous les temps, et lesoppositions blocs à blocs des entités culturelles résonnent comme le puissant son de l'inéluctabilité.

Aussi, lapremière réponse serait d'avancer que, de culture universelle, il n'y en a précisément pas précisément parce que lemonde semble être trop étroit pour l'ambition et le déploiement des forces antagonistes des hommes.

Même àl'époque de la mondialisation, cette dernière semble vouloir tirer une étoffe qui ne pourra recouvrir tout le monde, aupoint de la déchirer en son centre.

La balkanisation du monde, où chacun se replie sur son noyau identitaire, c'estcela proprement le visage véritable de notre planète. Cependant, on remarque l'existence de puissances qui imposent leur culture aux autres.

Certes, le phénomène est toujours éphémère: les empires finissent par se défaire, même si cette érosion progressive ne peut être appréciéedurant la vie d'une seul homme.

Mais elles existent: c'est ce qu'on appelle une hégémonie.

Toujours dans un jeu deforce incessant, certains blocs s'imposent à la face du monde et dictent pour un instant les règles de lacompétition.

En ce sens même, la culture universelle c'est toujours la culture d'un monde, d'une vision et d'uneconception du monde qui s'impose sur les autres.

L'empire diffuse ainsi son fonctionnement, ses modus operandi , ses codes.

On pourrait parler d'irradiation culturelle pour symboliser cette puissance des flux de contamination, unepuissance continue, parfois même imperceptible, mais tout à la fois nocif puisque dissolvante.

En effet, une identités'impose toujours parce qu'en aval, une autre est perdue. Schmitt: un pour tous, tous contre un II. La culture universelle fait donc en un sens, même tacite, la promotion d'une forme de violence à l'oeuvre pourassurer une hégémonie culturelle.

Comme nous l'avons compris, la culture universelle c'est avant tout la culture d'unmonde qui pose sa suprématie à l'échelle du globe.

La culture universelle s'impose, non de droit, mais toujours deforce, non logiquement, mais bien par la force des choses.

Toute culture universelle est prise dans cet écueil del'impérialisme, qui diffuse un Nous-sujet où chaque identité culturelle est passée à la centrifugeuse.

Le problèmeétant alors que, sous cette stratégie hégémonique, naissent des esprits qui ne la perçoivent que comme une lentesynchronisation des identités à une seule prévalant sur toute autre.

Cette pandémie ne tarde pas à fixer desantagonismes persistants avec les identités irréductiblement imperméables à ce développement. L'idée qu'une culture se développe au dépend d'autre, et qu'elle génère des antagonismes, posent certes unproblème dans l'œuf, bien qu'on ne soit pas, au fond, étonné d'une telle chose.

Cependant, et c'est là peut-êtretoute la problématique de cette notion de culture universelle, c'est qu'elle n'assure sa suprématie et sa cohésioninterne qu'au prix de cet antagonisme.

C'est précisément ce que Schmitt, à l'échelle politique, nous explique dans La notion de Politique .

On peut transposer son raisonnement et comprendre que la constitution d'un bloc synchronisé de cultures, formant par la-même une culture universelle, ne peut se faire que grâce à un antagonisme fondamentalqui pourrait au fond et de manière basique s'énoncer comme suit: les ennemis de mes amis sont mes ennemis.

A finde consolider des liens internes, cette culture universelle nécessite un ennemi commun.

Attention cependant de nepas se tromper sur cette notion d'ennemi.

Comme le rappelle Schmitt: « L'ennemi (...) ne sera pas nécessairement mauvais dans l'ordre de la moralité ou laid dans l'ordre de l'esthétique, il ne jouera pas forcément le rôle deconcurrent au niveau de l'économie, il pourra même à l'occasion, paraître avantageux de faire des affaires aveclui.

Il se trouve simplement qu'il est l'autre, l'étranger, et il suffit pour définir sa nature qu'il soit dans son existencemême et en un sens particulièrement fort, cet être autre, étranger (...) ». Cette discrimination spécifique du politique irradie le champ culturel, et nous entraîne à penser l'idée de cultureuniverselle comme un non-sens.

Aucune culture ne peut recouvrir le monde, sans faire usage de la force, sansconstituer pour son bien un ennemi commun au bloc qui assure la consolidation de ses liens intérieurs.

La cultureuniverselle est la culture d'un monde contre un autre monde, un tours de force qui trouve sa justification dansl'antagonisme qu'il génère lui-même par sa mise en place.

L'hégémonie en tolère d'ailleurs qu'un temps cettediscrimination Nous/l'autre: bientôt, l'ennemi, ce « monstre inhumain, qu'il ne suffit pas repousser mais qui doit être définitivement anéanti » assure la propagande ainsi qu'une chasse au sorcière: la culture devient universelle en éradiquant toute forme d'altérité possible, une fois même que ces dernières ont permis par un jeu indirect, sonédification.

Machiavel: que la guerre cesse enfin! III.. »

↓↓↓ APERÇU DU DOCUMENT ↓↓↓

Liens utiles