« Le langage est un pouvoir. Celui qui a un discours construit, qui parle mieux et qui fournit du sens, dispose d’une arme. A l’inverse, l’incapacité à dire le réel, à le classifier à travers le langage, rend vulnérable, prisonnier du monde et réduit aux dimensions d’un leurre l’esprit critique. »
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Tant que la communication est là, chacun tire de l’échange un enrichissement intellectuel, puisqu’il peut accéder à un point de vue différent du sien, susceptible de l’étendre et de le compléter. Mais la communication n’est pas seulement un processus intellectuel. Elle est aussi et avant tout une relation affective. La communication suppose une unité. En communicant, nous ne faisons pas que partager des idées, nous partageons aussi des émotions, des sentiments ou un avis, nous partageons une commune présence. Communiquer, c’est être ensemble, être unis. L’enrichissement que l’on tire de la communication n’est pas seulement fait pour l’intellect
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- Jean-Claude Tournand écrit : «Il a fallu que s'élaborent au moyen d'une longue expérience les règles de chaque genre, que les écrivains apprennent à en dominer les contraintes et à conquérir à travers elles l'art de communiquer leurs plus intimes pensées. L'idéal classique exige à la fois une idée suffisamment claire pour être totalement communicable, et un langage suffisamment précis pour communiquer cette idée et elle seule : l'idée ne doit pas échapper au langage, mais le langage doit rendre toute la singularité de l'idée. Cet accord profond qui supprime toute dualité entre la vérité d'une pensée et la justesse de son expression ne se distingue pas de la beauté. (...) C'est déjà par le moyen d'un discours bien lié que Descartes prétendait devenir «maître et possesseur de la nature», et il est bien, en cela, le premier des classiques. Sa méthode ne consiste-t-elle pas à réduire toute difficulté en un langage clair qui est analyse, mise en ordre, de telle sorte que la vérité apparaisse comme d'elle-même ? Aucune idée n'est admise pour vraie ni aucune œuvre admise pour belle si le langage n'élimine pas toutes les ombres, de manière à garantir que l'on n'a pas triché avec la réalité. Les Pensées de Pascal témoignent d'un vaste effort pour expliciter la mystérieuse action de la foi, et, lorsqu'on veut désavouer la raison, c'est à la raison que l'on demande ce désaveu. L'art de plaire lui-même doit pouvoir s'exprimer logiquement. Toute l'esthétique classique se réduit à chercher, toujours plus loin dans la complexité vivante d'une réalité - visage, idée, sentiment -, l'ordre qui permet de la saisir, à inventer entre les ressources du langage l'équilibre qui correspond seul à cette réalité-là, et à n'admettre dans l'œuvre aucun élément qui ne participe pas à cette correspondance.» (Introduction à la vie littéraire du XVIIe siècle, Bordas, 1970.) Acceptez-vous cette vision du classicisme ?
- Descartes - Discours de la méthode: Le bon sens est la chose du monde la mieux partagée
- L'historien des idées Roger Paultre voit ainsi le passage de l'écriture préclassique à celle qui suit 1650 : «L'art de la rhétorique ; sa pratique et sa typologie aux subdivisions sans cesse augmentées, débordent largement la période qui nous occupe, et la culture antérieure à 1650 lui assigne une place qui va bien au-delà d'une simple technique littéraire : c'est parce que le monde est formé d'un réseau de ressemblances qu'il est possible de substituer à un mot un autre mot qui, par analogie, sympathie, convenance ou émulation, en est suffisamment proche. Le jeu combiné des similitudes englobant l'abstrait et le concret, les mots et les choses, conduit une partie du savoir à s'exprimer naturellement en figures : le mot qui se substitue à l'autre élargit le sens primitif pour contribuer à proclamer toujours davantage l'harmonie du monde. Cependant, les figures qui ne relèvent que de structures de langage, sans faire intervenir l'expérience des choses, échappent à la ressemblance. Ce n'est que lorsqu'une certaine coupure se sera produite entre la connaissance et la rhétorique que la littérature, l'art et la critique réduiront les figures fondamentales à une technique de langage, suffisamment libérée des contingences de la réalité du monde et du poids des choses pour n'être reconnue que comme un effet de style.» (Les Images du livre, Hermann, 1991.) Pensez-vous que l'écriture classique ait renoncé à une adéquation profonde avec «la réalité du monde» et le «poids des choses»?
- Commentez ces réflexions de Cl. Mauriac (André Breton, Grasset, 1949) de l'activité surréaliste : «Le surréalisme n'aurait-il rien apporté d'autre qu'une critique des modes traditionnels de la connaissance et de l'expression que notre dette à son égard serait encore immense. Nous aurons à voir s'il n'a fait que cela et comment il l'a fait. Nous devinons tout de suite qu'une entreprise aussi gigantesque ne peut se solder que par un échec. Si le surréalisme pose mieux les problèmes qu'il ne les résout, c'est sans doute pour s'être attaqué à l'inattaquable. Non certes, encore une fois, que nos façons de penser soient les seuls concevables. Mais elles sont les seules que l'homme de notre civilisation ait élaborées et auxquelles il se soit tenu depuis qu'il a pris conscience de lui-même. Tout aurait pu être autre, si l'esprit s'était engagé à l'origine dans d'autres voies. Mais tout a été, tout reste ainsi et le pli a été pris depuis si longtemps et si solidement qu'on ne voit pas quelle force pourrait désormais en changer le sens. C'est la gloire d'André Breton que de s'être dévoué avec une grande simplicité à cette tentative surhumaine. Dût-il y échouer - et que pourrait-il faire d'autre ? - qu'il lui reviendra - et à ses continuateurs - le mérite de l'avoir tentée.»
- Nous avons beau nous émerveiller chaque fois de pouvoir nous laisser prendre par la fiction, cette médaille a son revers, du point de vue même du roman. Il n'est pas de lecteur qui ne se sente confusément que celui-ci est bien d'autres choses que sa fiction, qu'il tient pour nous en réserve bien d'autres expériences non moins étonnantes qu'elle nous dérobe parce que sa loi naturelle est de tendre à occulter tout ce qui n'est pas elle. N'en va-t-il pas ainsi du langage auquel pourtant la fiction doit exister? Plus transparents, plus neutres seront les mots et leurs enchaînements, plus pleinement s'imposeront à l'esprit du lecteur la représentation ou le sens dont ils sont porteurs." Henri Godard, Le roman modes d'emploi