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Y a-t-il lieu de distinguer des vérités d'expérience et des vérités de raison ? Les vérités de raison ne sont-elles elles-mêmes que d'anciennes acquisitions de l'expérience? Ou bien faut-il penser qu'elles sont déjà nécessaires à l'homme pour comprendre les enseignements de l'expérience ?

Publié le 22/06/2009

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Voilà un sujet on ne peut plus classique, mais posé sous une forme nouvelle et en même temps parfaitement claire. Tout candidat qui connaît l'essentiel du problème de la raison a les éléments nécessaires et suffisants pour le traiter. La difficulté, dans ce cas, est de substituer aux termes et aux cadres dans lesquels la question est traitée dans le cours ou dans le manuel les termes et les cadres utilisés dans renoncé. Ce qui instruit l'homme, c'est l'expérience, c'est-à-dire l'exercice de ses facultés et le contact avec les choses : l'aveugle dont la vue n'a jamais été impressionnée par les rayons lumineux ne sait pas, en définitive, ce que c'est que la lumière et les couleurs. Sans doute, nous apprenons beaucoup de choses en écoutant les autres, en particulier nos aînés et nos maîtres; en lisant des livres et des périodiques; mais ceux auprès desquels nous nous instruisons ne font que nous exposer leurs expériences ou celles qui ont été faites par d'autres. Immédiatement ou médiatement, toute connaissance vient de l'expérience. Il ne faudrait pas croire cependant que l'homme se contente d'expérimenter ou de constater ce qui est : il éprouve de plus une tendance incoercible à chercher le pourquoi de ce qui est, à en découvrir les causes et les raisons. Ainsi, les divers faits d'expérience arrivent à s'enchaîner en une série régulière de causes et d'effets s expliquant les uns les autres : peu à peu la science se constitue. Mais il arrive que le « pourquoi « qui peut encore se poser ne comporte pas de réponse : parfois par ignorance; parfois aussi parce que l'affirmation dont on demande le « pourquoi « ne peut pas être démontrée, étant elle-même le levier et la condition de toute démonstration : ainsi le physicien pose comme principe évident, mais indémontrable — c'est-à-dire ne pouvant pas être justifié par un « parce que « — que les mêmes causes dans les mêmes circonstances produisent les mêmes effets; le géomètre, que deux quantités égales à une troisième sont égales entre elles. Ces propositions, qui s'imposent à l'esprit, mais qu'il est impossible de prouver, constituent les principes de la raison, les vérités de la raison. Elle sont, en effet, le ressort et le levier du raisonnement : le principe de causalité pousse le physicien à chercher dans leurs antécédents l'explication des faits dont il est le témoin; le principe d'identité légitime la conclusion, en assurant le penseur qu'elle est impliquée dans les propositions ou prémisses d'où elle est déduite. Mais cette distinction de deux sortes de vérités — vérités d'expérience et vérités de raison — est-elle fondée ? Ne pourrait-on pas ramener les vérités de raison aux vérités d'expérience ? Faut-il admettre, au contraire, que l'expérience présuppose les ventés de raison et qu'il n'y a d'expérience instructive que grâce à elles ? * * * Avant d'entrer dans l'exposé et la discussion des hypothèses qui se présentent à l'esprit, précisons bien la nature et les caractères essentiels des deux types de vérité en question. Les vérités d'expérience sont l'énoncé d'un fait. Je suis assis et j'écris; des enfants jouent sous ma fenêtre; hier il pleuvait... : voilà des vérités d'expérience, celles qui se rapportent à un fait particulier. Il est plus fréquent, en effet, de réserver le nom de vérité à des propositions générales qui résument un grand nombre de faits : c'est une vérité d'expérience que l'eau éteint le feu, que les fruits sont mûrs en automne, que le manque de sévérité est source d'indiscipline... L'expérience nous apprend comment les choses sont et comment elles agissent : elle ne nous apprend pas pourquoi elles sont ainsi. Sans doute, grâce aux progrès des sciences et à la réflexion personnelle, je puis bien expliquer chimiquement l'extinction du feu par l'eau, le travail de maturation des fruits sous l'influence de la chaleur ou le désordre d'un groupement sans sanctions par la psychologie des foules ou par la psychologie tout court. Mais il y aura toujours, au bout de la série d'explications que je pourrai fournir, un fait qui restera inexpliqué : ce fait, ce sera au moins l'existence du monde, ma propre existence que je constate sans pouvoir l'expliquer par des raisons semblables à celles par lesquelles j'explique une panne ou une impression mélancolique. Par suite, les vérités d'expérience — le mot lui-même le dit — ne peuvent être connues que par une expérience, directe ou indirecte. C'est par une expérience directe que, regardant sous ma fenêtre, j'apprends que des élèves jouent. Mais je puis, tout en restant à ma table, aboutir à la même connaissance : les entendant crier et interprétant leurs cris, j'en conclurai qu'ils sont en train de jouer : dans ce cas, c'est indirectement que l'expérience m'instruit. Au contraire, les vérités de raison sont l'énoncé, non d'un fait, mais d'un principe de droit. Je ne puis pas être en même temps assis et debout; deux choses égales à une même troisième sont égaies entre elles; les mêmes causes produisent les mêmes effets : voilà des vérités de raison. Il est- classique de ramener les vérités de raison à deux : le principe d'identité — « ce qui est est « —, plus employé sous sa forme négative, le principe de contradiction — « la même chose ne peut pas à la fois être et n'être pas « —; ensuite, le principe de raison suffisante — « tout être a sa raison d'être « —, d'où dérive le principe de causalité, ressort fondamental des sciences expérimentales, « tout commencement a une cause «, « les mêmes causes dans les mêmes circonstances produisent les mêmes effets «. La raison ne nous apprend pas ce qui est : l'expérience seule peut nous apprendre la réalité des choses. Par la raison, nous connaissons seulement les conditions absolues de l'existence et de la possibilité des choses. Je ne unis pas, indépendamment des données de mes sens, si les élèves sont dans la cour ou à l'étude; mais je sais, sans avoir besoin d'être informé par la vue ou par l'ouïe, que, s'ils sont dans la cour de récréation, ils ne sont pas dans la salle d'étude. De même, je ne sais pas si la pendule que j'ai vue arrêtée hier soir est actuellement en marche; mais je sais, sans l'avoir vue depuis, que, si elle marche, c'est qu'on l'a remise en marche. Ces affirmations s'appuient sur des vérités de raison. Mais d'où sais-je que tout ce qui commence ou change a une cause; que la même chose ne peut pas à la fois être et n'être pas ? C'est le problème de l'origine des vérités de raison ou des principes directeurs de la connaissance qui divise les philosophes.

« des vérités de raison.Mais d'où sais-je que tout ce qui commence ou change a une cause; que la même chose ne peut pas à la fois êtreet n'être pas ? C'est le problème de l'origine des vérités de raison ou des principes directeurs de la connaissance quidivise les philosophes. * * * On pourrait d'abord répondre que les vérités appelées de raison ne sont, en réalité, que d'anciennes acquisitions del'expérience et se réduisent à des habitudes de pensée résultant d'observations répétées : c'est l'affirmationfondamentale de la philosophie empiriste.Mais qui a fait ces expériences qui ont amené la formation des idées de raison ? Chaque individu au cours de sespremières années ? Ou bien l'espèce humaine, tout au long de son histoire ?Il n'est pas nécessaire d'une longue réflexion pour prendre une conscience vive de toutes les connaissances quel'expérience nous a fait accumuler durant notre enfance : nous avons appris à connaître les objets qui existent etleurs qualités, c'est-à-dire les impressions qu'ils produisent sur nous : les couleurs et les sons, les odeurs et lessaveurs...; nous nous sommes constitué une petite physique qui nous permet de prévoir les phénomènes les plusordinaires et de réaliser nos petits projets de construction.

Mais l'expérience a-t-elle pu nous apprendre les véritésde raison, en particulier que tout a sa raison suffisante, que tout changement a une cause et que les mêmes causesproduisent les mêmes effets ?Les empiristes le prétendent.

Hume, en particulier, a proposé une explication du principe de causalité que l'empirismepostérieur n'a guère améliorée : la succession régulière des mêmes causes précédant les mêmes effets produit dansl'esprit de l'enfant une association indissoluble entre les deux faits qui se succèdent; en vertu de cette association,dès que nous pensons à la cause, la pensée de l'effet suit nécessairement.

En définitive, le principe de causalité etles vérités de raison en général ne sont que des habitudes de penser acquises par l'expérience.Mais l'empirisme et l'associationnisme supposent que nous observons une régularité parfaite dans le monde et que lacause d'aucun phénomène ne nous échappe.

Or, nous le savons, pour l'homme instruit lui-même, il reste bien desanomalies inexpliquées, bien des faits dont la cause est inconnue.

Pour l'enfant et le primitif, à plus forte raison, lanature doit paraître comme un vaste chaos régi par des "volontés capricieuses et non par des lois constantes" :c'est avec raison qu'Auguste Comte a vu, dans ce qu'il a appelé le stade théologique, le premier degré de la penséephilosophique et scientifique.Ensuite, si le lien qui unit l'idée de commencement ou de changement à l'idée de cause résultait de l'expérienceseule, il devrait se fortifier avec l'expérience elle-même et, par suite, avec l'âge.

Or, que constatons-nous? Quel'enfant, dès qu'il a pris conscience de la vérité du principe de raison suffisante, se fonde sur lui avec une assurancequi ne sera jamais dépassée, et même que l'expérience ne fera qu'affaiblir : il faut une certaine maturité pour serendre compte que tout n'est pas explicable et que la raison suffisante de bien des choses nous échappe et peut-être nous échappera toujours.On ne peut donc admettre que les vérités de raison ne sont que d'anciennes acquisitions individuelles.Ne pourrait-on pas y voir d'anciennes acquisitions de l'espèce humaine ?Pour avoir une idée de ce que nous devons à l'héritage de ceux qui nous ont donné la vie, il n'est que de comparerla pensée d'un petit Parisien de nos jours avec celle d'un petit sauvage : on croirait presque des êtres d'espècesdifférentes.Mais une question subsidiaire se pose : comment les enfants héritent-ils de leurs parents au point de vuepsychologique? Comment les acquisitions des parents passent-elles aux enfants ?Il est d'abord un premier mode de transmission, analogue à la façon dont se transmettent les biens de la fortune :l'enseignement, l'éducation, l'exemple.

Ce premier acquis de la toute première éducation est capital.

Mais peut-onexpliquer par là la formation des vérités de raison ? Évidemment non; ou, du moins, cette explication ne fait quereculer la difficulté : il faut, en effet, expliquer d'abord comment le premier éducateur a appris les principes qu'il ainculqués à ses descendants, ensuite comment l'enfant est éducable, tandis que le petit de l'animal ne l'est pas.

Ildoit y avoir chez l'enfant un pouvoir d'acquisition qui manque aux animaux.Aussi les philosophes ont eu recours à un mode de transmission semblable à l'hérédité physiologique, ou plutôt seconfondant avec elle : les acquisitions individuelles laisseraient des traces dans le cerveau et seraient ainsitransmises par la naissance à toute la descendance; cet acquis s'enrichissant de génération en génération, onarriverait à la formation de vérités fermes, aussi évidentes que les faits dont on a l'expérience immédiate, sinon plus.C'est la théorie évolutionniste émise par Herbert Spencer.

Que faut-il en penser ?Personne ne songe à nier l'hérédité physiologique : les enfants, habituellement, ressemblent à leurs parents.

Mais,même du point de vue physiologique, il est fort douteux que les acquisitions des parents passent aux enfants, qui,semble-t-il, ne transmettent à leurs enfants que ce qui constituait leur propre patrimoine : l'enfant du sportifn'héritera pas de la musculature que son père a acquise par l'entraînement de sa jeunesse, et le fils d'un comptablene sera pas paralysé des jambes du fait que son père est resté assis durant toute sa vie.De même, au point de vue psychologique, on ne peut pas mettre eh doute des ressemblances fréquentes entre lecaractère et les aptitudes des parents et celles des enfants.

Mais ce qui est transmis, ce sont les dispositionsspéciales à une lignée, non les habitudes et les connaissances acquises par les parents au cours de leur vie.Ensuite, cette hérédité s'explique, non par une transmission d'âme à âme, mais par le conditionnement du moral parle physique : héritant de l'organisme de leurs parents, les enfants héritent par là même des aptitudespsychologiques qui en résultent. Les premiers hommes n'ont donc pas transmis à leurs descendants les habitudes de penser acquises parl'expérience.

Par conséquent, l'expérience de l'espèce rie peut pas, pas plus que l'expérience individuelle, expliquer laformation des vérités de raison.. »

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